Ce que vit l'arc sud de la Méditerranée fait partie de ces impossibles qui ont été dépassés en ce XXIe siècle, considérant que la révolution arabe, au-delà des craintes, a imposé une troisième voie parmi les alternatives au néolibéralisme. Entre le réflexe identitaire ex- primé par l'islamisme poli- tique et le dogme collectiviste, les peuples ont placé l'humanisme comme revendication principale du soulèvement. Au Maroc, le conservatisme sécuritaire et rentier a réagi via son bras politique, d'abord par la tentative d'imposer des constructions intellectuelles aléatoires en vue de protéger ses intérêts. Les polémistes officiels se suffisent au travestissement du sens de l'attachement des populations à la monarchie. Ils manipulent des renversements qui dénoncent la non-préparation du peuple à la démocratie, justifiant la tutelle de l'Etat par son indispensable accompagnement de l'apprentissage politique de la société. Il y aurait là un besoin présumé de paternalisme dans l'inconscient primitif des « su- jets », qui justifie la déchéance de leur capacité citoyenne. On retrouve la tentative d'introduire le darwinisme en poli- tique pour rendre plus lent le concept de « processus » en démocratie. Ces certitudes sont appuyées par une réa- lité liée à l'analphabétisme et la pauvreté, niant le fait que l'obscurantisme est le terreau de la conscience politique radicale. Parenthèses L'oligarchie tente ensuite la division de la conscience collective. Les clivages tradition- nels qui opposaient socialistes et capitalistes, laïques et islamistes, se sont au contraire réorganisés autour d'un clivage consolidé opposant l'« anti-système » au « système », même si le régime a réussi, jusque-là, à maintenir une dose de régime dans l'opposition et une parenthèse d'opposition dans le régime. La réaction de celui-ci s'est aussi manifestée dans la réitération d'une vieille polarité entre partis nationaux et ceux du ministère de l'Intérieur, qui a fédéré des « for- mations » sans racines socio- politiques, puisant leurs voix dans les structures féodales du monde rural et les zones péri-urbaines et « bidon- villoises », pour atténuer le « tsunami » islamiste. A l'approche des élections anticipées, le pouvoir a finalement laissé vaincre les islamistes pour coller à la tendance populaire comme en Egypte ou en Tunisie, et annoncer des mentalismes. Considérant par l'actualité que l'année 2012 re- présente la seconde phase du Printemps arabe, et que la monarchie reste enracinée dans la configuration socio-politique du Maroc, il continue d'être indispensable de résoudre l'équation entre deux postulats en concurrence, liés à la notion de « légitimité» dans le droit à disposer du pouvoir : le contrat social, formalisateur de la volonté collective, et la référence historique. Equilibre « L'idéologie » démocratique s'est prononcée sur le fait que tout pouvoir doit être l'émanation de la libre volonté du peuple, même si certains auteurs, par honnêteté intellectuelle ou connivence avec les autorités politiques, éclairent sur l'existence du totalitarisme dans l'idée même de la démocratie. La conciliation entre les deux paradigmes n'est envisageable que lorsque d'une part le pouvoir, entier, est dévolu à la population à travers ses représentants, et d'autre part que l'unité imagée de l'Etat-Nation soit du ressort du roi. Conscient de cette réalité, le régime a tenté la cohabitation entre ces légitimités via la coexistence de deux environnements à la fois traditionnel et moderne, à savoir le Makhzen comme fonctionnement traditionnel du système et un autre espace dans lequel évolue une marge d'expression et des carrés de gouvernance isolés. C'est cet équilibre mêlant féodalisme et institutionnalisme virtuel, impliquant un immobilisme politique et économique, qui est dénoncé par l'opinion publique à travers le Mouvement du 20 février. C'est cette na- ture hybride du « système » qui a imposé des formes de conservatismes dans les tentatives de réformes qui ont suivi les premiers temps de la rupture, comme la répression paramilitaire des manifestations et l'intimidation de l'es- pace public par des hordes de « baltajis ». En revanche, ces procédés ont prouvé l'inexistence des partis dits représentatifs, considérant que leur effectivité aurait évité à l'Etat de mobiliser parmi les classes désagrégées par les moyens de corruption. Le régime ayant ainsi fait de sa réponse constitutionnelle un rendez-vous manqué plutôt qu'un compromis, renforce la rhétorique du « 20 février », malgré son es- soufflement passager. Dans l'esprit des commanditaires, ces méthodes doivent avoir un sens, certainement celui de travestir la représentativité nationale, pour neutraliser un pouvoir qui serait mis entre les mains d'une population à même de demander des comptes sur les richesses du Maroc. A force d'insister, ces régimes peuvent produire l'appel à de nouvelles formes de souveraineté portées parles sphères les plus extrêmes du monde « anti-système », dont le « 20 février », après une année de résistance, n'en est qu'une simple compo- sante.