Après le Grand voyage, Ismaël Ferroukhi signe Les Hommes libres. Un film coup de poing présenté au 13e Festival National du Film de Tanger, qui exhume un pan de l'Histoire, les Maghrébins résistants et le personnage de Si Kaddour Ben Ghabrit délivrant de faux papiers aux juifs sous la France occupée. Ismaël Ferroukhi : «Cela m'a particulièrement touché, d'apprendre qu'il y avait eu en France des Maghrébins résistants, chose qu'on ne nous a jamais enseignée à l'école». Comment est-née l'idée de ce film ? Un jour, j'ai découvert un article dans les colonnes du Nouvel Observateur. Il rendait en fait, hommage à un ancien résistant qui venait de mourir. J'ai appris en parcourant cet article, que cet homme avait caché des juifs et des musulmans sous l'occupation française à la Mosquée de Paris. J'ignorais totalement, qu'à cette période , il y avait des Maghrébins en France, précisément avant 1960 ! La Mosquée de Paris existait depuis 1926, en commençant à faire des recherches, j'ai découvert qu'il y avait une vie pour la communauté maghrébine : un cabaret où se produisaient des danseuses orientales, un hôpital et la mosquée accueillait des artistes, des chanteurs et des musiciens issus du Maghreb qui célébraient l'art oriental. Cela m'a particulièrement touché, d'apprendre qu'il y avait eu en France des Maghrébins résistants, chose qu'on ne nous a jamais enseignée à l'école. En poursuivant ces recherches, j'ai fait appel à Pascal Le Portoma, qui a travaillé pendant plus de dix ans sur l'islam en France. Il a ainsi découvert des documents cachés. Avez-vous rencontré des difficultés en souhaitant exhumer ce pan de l'Histoire occulté ? Oui, j'ai été confronté à des extrémistes de tous bords, mais cela m'a conforté dans mon désir de véracité, afin de servir au mieux la dramaturgie de ce film. D'emblée, j'ai ressenti, le besoin de réaliser un travail de mémoire, un documentaliste m'a accompagné dans cette démarche, j'ai rencontré de nombreuses personnes, qui étaient liées par leurs grands-parents, leurs tantes, leurs oncles à cette histoire. J'ai d'ailleurs eu la chance de rencontrer la famille du chanteur juif algérien, Salim Halali, l'une des plus belles voix de la chanson arabe et la nièce de Si Kaddour Ben Ghabrit, recteur de la Mosquée de Paris, joué par Mickael Lonsdale, qui m'a appris au plus fort du tournage que Si Kaddour Ben Ghabrit avait sauvé sa tante ! Je suis venu au Maroc, où j'ai aussi rencontré sa famille et ses amis, j'avais besoin de savoir quel homme il était, en plus de ce que j'avais pu lire à son sujet. Ce travail de recherche intense a nécessité plus d'une année, et il était ,à mes yeux, indispensable. L'élément le plus incroyable, a été la découverte, d'un film documentaire de treize minutes, retrouvé à Berlin et qui filmait la Mosquée de Paris, Si Kaddour Ben Ghabrit, les cabarets , les danseuses orientales et les musulmans en 1941… A partir de ce document, je n'avais plus aucun doute quant à la véracité de ce propos. Si Kaddour Ben Ghabrit est l'une des figures centrales des Hommes Libres… L'histoire des juifs et des musulmans de ce temps s'articule autour de lui. C'est un personnage emblématique de la France de cette époque-là, qui se trouvait dans une grande ambiguïté : il était proche des autorités françaises pétainistes et collaborationnistes, mais en même temps proche du Sultan du Maroc. Or, le Sultan du Maroc protégeait les juifs à cette époque et avait refusé de les livrer aux autorités de Vichy. Après la guerre, il a été décoré de la médaille de la Résistance. Alors que je désespérais, au fil de ce projet, compte tenu des difficultés - car ce sujet dérangeait - j'ai rencontré par hasard un vieil ami. Il m'a alors demandé le propos de mon prochain film, lorsque je lui en ai fait part, il m'a confié que Si Kaddour Ben Ghabrit avait sauvé sa grand-mère, infirmière, qu'il a fait rapatrier au Maroc, où elle est devenue l'infirmière de Sa Majesté le roi Mohamed V. Elle a, de plus, été décorée par le Wissam Alaouite. A nouveau, je me suis dit : « Il faut que je fasse ce film ! » (Sic). Les Hommes Libres révèle également, les Maghrébins résistants attachés à Messali Hadj… Ce sont des ouvriers maghrébins, surtout algériens, engagés dans la résistance par l'intermédiaire de leur engagement politique. En 1936, beaucoup d'entre eux ont participé aux manifestations du Front Populaire dans les usine : la solidarité politique s'articulait autour des grèves ouvrières et certains ouvriers maghrébins deviennent solidaires de leurs camarades français qui s'engagent dans la Résistance. La majeur partie des Algériens engagés politiquement sont des militants nationalistes : ils suivent Messali Hadj, leur grand leader, qui a refusé la collaboration avec l'Allemagne et a été condamné en 1941 au bagne et à la confiscation de tous ses biens par le régime de Vichy. Je voulais rendre hommage à ces hommes que les historiens ont appelé « les hommes invisibles », totalement occultés par l'Histoire. L'Histoire nous donne des leçons de vraies leçons de liberté. Youness (Tahar Rahim) est un homme qu'on ne peut pas acheter et très attaché à sa famille et à sa communauté. J'ai fait ce film pour ouvrir un débat. A la prochaine rentrée scolaire, ce pan de l'Histoire devrait figurer au programme de l'Education nationale.