Le Printemps arabe est l'événement phare de l'année 2011. Amnesty lui consacre tout un rapport avec quelques lignes sur le Maroc. Des lignes où rien n'est dit sur les récentes libérations des détenus politiques. Le point. Pour les peuples du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, 2011 a été une année sans précédent». C'est par ce constat que débute le dernier rapport, rendu public lundi, d'Amnesty international. Un tour d'horizon des principaux événements et manifestations, baptisés Printemps arabe qui ont chamboulé la carte politique de la région. Le document de l'ONG, basée à Londres, accorde plus de place à la Tunisie, l'Egypte, la Libye, les trois pays ayant connu un changement de régime en 2011. Quant au royaume, au même titre que l'Algérie, il figure dans la rubrique «Ailleurs dans la région». Dans les quelques lignes réservés au Maroc, les marches initiées par le Mouvement du 20 février tiennent, incontestablement, le haut du pavé dans le rapport d'Amnesty. «Des manifestations organisées via les réseaux sociaux (…) pour réclamer une réforme constitutionnelle, une «vraie démocratie» et la fin de la corruption». Le document détaille ensuite la réponse du monarque à ces revendications : «le roi a alors promis d'entreprendre des réformes de fond et de respecter les droits humains. Il a nommé le 3 mars un nouveau médiateur chargé des droits humains a-u niveau national. Le 9 mars, il a annoncé la mise en place d'une Commission consultative pour la révision de la Constitution, chargée de proposer des réformes démocratiques». Dans les quelques lignes réservées au Maroc, les marches initiées par le M20F tiennent, incontestablement, le haut du pavé dans le rapport d'Amnesty. Toutefois le rapport d'Amnesty souligne que «le 13 mars, les forces de sécurité ont utilisé une force injustifiée, blessant plusieurs dizaines de personnes, pour disperser une manifestation pacifique tenue à Casablanca. Les actions de protestation se sont poursuivies de manière sporadique. En juillet, par exemple, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour réclamer des changements politiques supplémentaires après que le gouvernement eut annoncé que ses propositions de réforme constitutionnelle avaient été soutenues par 98,5 % des votants lors d'un référendum national. » égypte Promesses non tenues Malgré sa promesse de mettre fin à l'état d'urgence, le Conseil suprême des forces armées a maintenu et élargi la Loi relative à l'état d'urgence de façon préjudiciable pour les droits humains, précise AI. Le Service de renseignement de la sûreté de l'Etat a été démantelé, mais ses méthodes – arrestations et détention arbitraires, torture, détention sans jugement ou procès inéquitables devant des tribunaux militaires – perdurent, reproduites par les forces de sécurité des militaires au pouvoir. «En dépit des promesses de liberté d'expression, d'association et de réunion, force est de constater que la critique des nouvelles autorités n'est pas tolérée, que des militants sont pris pour cible et que des ONG sont menacées d'instructions pénales inquisitrices», lit-on dans le rapport. Des manifestants pacifiques continuent d'être dispersés par la force, ce qui se traduit par des affrontements avec la police antiémeutes et par des morts. Les pouvoirs publics ont promis une plus grande participation politique de tous les Egyptiens, mais les femmes sont une nouvelle fois marginalisées. De nombreux syndicats indépendants se sont créés, mais les autorités ont interdit la grève. «Les Egyptiens se sont vu promettre un avenir meilleur mais, presqu'un an après, des millions de personnes continuent de vivre dans des bidonvilles et dans la pauvreté, et attendent toujours de pouvoir faire entendre leur voix», s'indigne l'ONG. Assez, pas assez ! « De nombreux protestataires ont estimé que les réformes n'étaient pas suffisantes car le roi restait le chef de l'Etat et conservait le commandement de l'armée. En septembre, des milliers de Marocains ont de nouveau défilé à Casablanca pour protester contre la corruption du gouvernement et réclamer des réformes. Des manifestations ont également été organisées contre les élections législatives en novembre, qui s'inscrivaient dans le cadre des réformes proposées par le roi ». Fidèle à son habitude, Amnesty ne s'est pas focalisée sur les libérations, au cours de l'année 2011, de détenus d'opinion, salafistes ou même pro-Polisario, se contentant d'émettre cette observation «même si quelques prisonniers d'opinion ont été relâchés au cours de l'année, d'autres ont été emprisonnés et plusieurs des militants sahraouis remis en liberté étaient toujours poursuivis pour menace à la «sûreté intérieure» du Maroc». Et rien de plus. Une donne qui n'est pas sans remettre en cause la neutralité de l'ONG. Et pour cause, aucune mention de la libération, 14 avril 2011, de 96 détenus dans des affaires de terrorisme. Libye Le grand défi L'une des tâches les plus difficiles qui attend le nouveau gouvernement va être de s'attaquer au lourd héritage de l'impunité, profondément ancrée dans le pays depuis quatre décennies, et d'offrir des recours et des réparations aux nombreuses victimes de violations des droits humains et à leurs familles. Le CNT a promis d'enquêter sur les violences commises par toutes les parties au conflit, y compris sur l'exécution extrajudiciaire présumée du colonel Kadhafi et des membres de sa famille, et d'en traduire les responsables en justice. «Cependant, des mécanismes doivent maintenant être mis en place pour enquêter efficacement sur tous les crimes relevant du droit international et les autres violations graves des droits humains qui ont été perpétrés. Il faut préserver et mettre en sécurité les éléments de preuve, comme les archives et les fosses communes – en particulier au vu des vols et des incendies de documents, ainsi que des exhumations ad hoc, qui ont eu lieu après que Tripoli fut tombée aux mains du CNT», recommande Amnesty. Le conflit en Libye a fait de nombreuses victimes parmi les civils et les combattants des deux camps, et des milliers de personnes ont été victimes d'arrestations arbitraires, de torture, d'homicides illégaux et d'autres graves atteintes aux droits humains. Il a provoqué de nombreuses destructions de biens et d'infrastructures publics et privés, et de grandes souffrances. «Néanmoins, il a aussi mis fin au long régime répressif du colonel Kadhafi. Les nouvelles autorités sont aujourd'hui confrontées à un énorme défi en cette période de transition pour le pays, mais elles ont aussi l'occasion unique de corriger les nombreuses erreurs du passé et d'instaurer des garanties efficaces pour éviter qu'elles ne se reproduisent», conclue l'ONG. «intelligence avec un Etat ennemi» Une mesure qui a profité également au trublion rifain Chakib El Khyari, le président de l'association Rif des droits de l'Homme, incarcéré en 2009 pour avoir dénoncé ouvertement le trafic de drogue à Nador et l'accès à des postes importants de personnes impliquées dans un réseau de trafic de drogue, démantelé en janvier 2009 dans la ville. Trois saharaouis défendant clairement les idées du Polisario ont été touchés par la même grâce, Ali Salem Tamek, Brahim Dahane et Ahmed Naciri avaient bénéficié de la liberté provisoire. Leurs procès pour «intelligence avec un Etat ennemi», l'accusation qui leur a voulu une détention en 2010 n'est plus d'actualité. Tunisie Des réformes et des résistances Pour l'ONG, le gouvernement provisoire a manifesté l'intention de la nouvelle Tunisie de respecter les droits humains en ratifiant d'importants traités internationaux dans ce domaine. Par ailleurs, en août, les autorités ont adopté une loi visant à mieux organiser les professions juridiques. Parallèlement, les juges ont continué de faire pression en faveur de réformes du système judiciaire afin d'améliorer l'indépendance de la justice et de limiter l'ingérence de l'exécutif. Des mesures importantes ont aussi été prises pour assouplir les règles strictes qui limitaient la liberté d'expression et d'association. «En novembre, la nouvelle loi sur la presse et une loi sur la liberté des communications audiovisuelles ont levé les restrictions pesant sur les journaux et ont accordé davantage de liberté aux journalistes, notamment en supprimant les peines de prison pour diffamation», peut-on lire dans le rapport. Selon le ministère de l'Intérieur, en septembre, 1 366 associations et 111 partis politiques avaient été autorisés. Le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), parti de l'ancien président Ben Ali, a été dissous.Cependant, à l'inverse de cette tendance à la libéralisation, le gouvernement provisoire a prolongé l'état d'urgence en août pour une période indéterminée, maintenant ainsi des restrictions sur certains droits fondamentaux. Par ailleurs, les forces de sécurité ont continué de réprimer durement les manifestations. «Elles ont utilisé des gaz lacrymogènes, et même des balles réelles, contre les protestataires. Dans un cas, cette répression a fait au moins trois morts et de nombreux blessés », lit-on. De nouveaux cas de torture et d'autres mauvais traitements aux mains de la police ont aussi été signalés. Pire encore, les nouvelles autorités n'ont pris aucune mesure significative pour remédier aux atteintes aux droits fondamentaux commises par le passé, selon AI. Ni la police, ni l'appareil judiciaire – deux institutions directement responsables ou complices de graves violations – n'ont été véritablement réformés. Le ministère de l'Intérieur n'a pas dit ce qu'il adviendrait des anciens responsables de la Direction de la sûreté de l'Etat, laissant à craindre qu'ils n'échappent à la justice et ne soient mutés dans d'autres services chargés de l'application des lois.