Quelques jours nous séparent de la nouvelle année, et toujours pas de gouvernement qui se profile à l'horizon. On a beau critiquer les spéculations, parfois abusives, de la presse; mais le premier responsable de ce cafouillage n'est autre que le chef du gouvernement. Pour cela, Le Soir échos dresse les sept erreurs commises par Abdelilah Benkirane. Révolution communicationnelle, avez-vous dit ? Les observateurs n'ont pas tari d'éloges sur le compte du nouveau chef du gouvernement, lorsque celui-ci organisait des conférences de presse quasi-quotidiennes. Problème, depuis samedi dernier, Abdelilah Benkirane a complètement disparu de la circulation, aussi bien que ses lieutenants, d'habitude plutôt bavards. Contacté par Le Soir échos, le constitutionnaliste Abderrahmane Benyahya est du même avis. Pour lui, « le grand problème est le manque de communication, aussi bien de la part de Abbas El Fassi que de la part du chef du gouvernement nommé, Abdelilah Benkirane ». Et d'ajouter : « Pour mettre en pratique la nouvelle Constitution, il faudrait communiquer beaucoup plus avec les citoyens. Il n'y a pas de honte à dévoiler les difficultés auxquelles sont confrontés les membres de la majorité ». En effet, se murer dans le silence est loin d'être la solution adéquate, d'autant plus que les spéculations vont bon train, aussi bien sur internet que dans la presse écrite. D'après la nouvelle Constitution, rien n'oblige le chef du gouvernement à présenter la structure finale du gouvernement au roi. Approche participative ? Pas si sûr ! Au lendemain de la nomination de Abdelilah Benkirane par le roi, le chef du gouvernement a aussitôt promis aux médias une approche participative dans sa relation avec ses alliés de la majorité, notamment en matière de composition du gouvernement. Or, le principal reproche que semble faire le parti de l'Istiqlal au leader du PJD est justement de ne pas avoir mis en pratique cette approche. Selon le politologue Mohammed Darif, « parler d'une approche participative revient à ne pas prendre en compte le nombre de sièges obtenus par les différents partis, pour distribuer les porte-feuilles ministériels ». Pourtant, lorsque l'on voit la liste des ministres qui a filtré récemment dans la presse, on remarque que le PJD obtient plus du double du nombre de ministères obtenus par l'Istiqlal. Ce qui contredit les promesses de Benkirane. C'est visiblement une approche comptable qui a été élaborée par le chef du gouvernement, ce qui ne plait évidemment pas à tout le monde, et en premier lieu,à l'Istiqlal. Présentation de la liste au roi : procédure anticonstitutionnelle ? Rien n'oblige le chef du gouvernement à présenter la structure finale du gouvernement au roi. D'après la nouvelle Constitution, le chef du gouvernement est responsable de ses ministres, et c'est à lui de les nommer tous. Néanmoins, Abdelilah Benkirane s'est précipité samedi dernier en envoyant la liste des ministrables au roi, mettant un peu plus de cafouillage au sein de la majorité. Selon Abderrahmane Benyahya, par ailleurs membre du Conseil national de l'USFP, « le chef du gouvernement n'a le droit de demander d'avis à personne », avant d'ajouter : «Je ne comprends pas lorsqu'on me dit que Benkirane a élaboré la structure du gouvernement, et l'a ensuite envoyée au Palais royal, pour approbation. Le chef du gouvernement n'est sensé recevoir d'approbation de personne. Le seul maître à bord est Benkirane et personne d'autre », conclut-t-il. Ceci n'empêche évidemment pas que le roi pose son véto, mais après la constitution du gouvernement. Promesses non tenues Voici une promesse qui est passée quasi-inaperçue. Au lendemain de la victoire du PJD lors des récentes Législatives, Abdelilah Benkirane nous avait promis un gouvernement réduit, avec une mini-équipe de 15 ministres. Aussitôt nommé chef du gouvernement, Benkirane change de discours et commence à parler d'un gouvernement composé d'entre 20 et 25 porte-feuilles. Aujourd'hui, on parle d'une trentaine de ministres. L'écart entre la promesse et la réalité est tout simplement le double. Abdelilah Benkirane qui au départ, promettait le sérieux et l'honnêteté aux Marocains, a vite désenchanté en échouant à tenir sa première promesse. D'autres « petits mensonges » suivront. Le dernier en date : la promesse de l'annonce du gouvernement lundi dernier ! Divisions au sein de la majorité Le clash survenu entre le PJD et le PI en début de semaine ne s'est toujours pas dissipé que l'on commence déjà à parler de désunion de la majorité. En effet, le parti de l'Istiqlal aurait été furieux de ne pas avoir obtenu le ministère des Transports. Pire encore, le secrétaire général du PI Abbas El Fassi aurait présenté de manière unilatérale ses ministrables au chef du gouvernement. Ce qui aurait mis en colère le reste de l'appareil exécutif du parti historique. Pour Mohammed Darif, « il y a un vrai problème au niveau de l'Istiqlal. Ce qui pourrait influer le vote de la majorité lors de la présentation du programme gouvernemental par Abdelilah Benkirane », En d'autres termes, si les 60 députés de l'Istiqlal n'arrivent pas à s'entendre et ne votent pas tous le vote de confiance, le gouvernement serait rejeté, et l'on assistera à une crise politique que personne ne saurait résoudre. Ajouté à cela les voix déjà divergentes au sein d'un autre parti de la majorité, le PPS. Celui-ci est divisé entre les « participationnistes » et les défenseurs du retour à l'opposition, menés par le virulent Saïd Saâdi. Excès d'optimisme « Au début, il pensait que la mission était facile. Tout le monde félicitait et faisait les yeux doux au parti vainqueur des élections. Tout le monde cherchait à faire réussir cette expérience qu'on appelle aujourd'hui « la seconde alternance ». Or, la réalité est toute autre », souligne Mohammed Darif. Tout se passait vite au lendemain de la nomination du chef du gouvernement, même trop vite. Les alliances se nouaient si rapidement que Abdelilah Benkirane était obligé de s'expliquer tous les jours devant la presse. Les observateurs, Mohammed Darif compris, savaient très bien que la tâche n'allait pas être facile. Le PJD n'a jamais participé à un gouvernement. Son côté novice l'a poussé à se précipiter et annoncer une issue rapide à la formation du gouvernement. Mais, on assiste aujourd'hui à l'opposé de ce qui était prévu. La formation du gouvernement s'enlise, et ne sera certainement pas connue avant 2012. Benkirane un peu « trop » consensuel Au départ, les observateurs s'attendaient à un homme à poigne, capable d'assumer ses choix, et de les imposer. Bref, quelqu'un qui osera dire « non ». Pourtant, nombre d'observateurs commencent à douter de la volonté de Benkirane de garder son indépendance. Devenu « mou » pour certains, l'on critique, désormais, sa façon de parler au monarque. Lorsque le roi lui avait demandé s'il était toujours fâché avec Fouad Ali El Himma, Benkirane lui a répondu « Je ne peux me fâcher avec le conseiller de Sa Majesté ». Le chef du gouvernement a par ailleurs multiplié les déclarations où il minimisait les retombées de la nomination de Fouad Ali El Himma au poste de conseiller du roi. Hier pourtant, ils étaient les plus grands ennemis du monde, et bien des analystes ont interprété cette nomination comme étant néfaste pour l'avenir du gouvernement Benkirane. D'aucuns commencent à douter du caractère intransigeant et indépendant de Benkirane.