Les femmes d'El Hajeb y trouvent conseil, refuge et consolation. L'Espace multifonctionnel des femmes en situation difficile vient d'être inauguré. Ses parrains, le Maroc et la Pologne, l'ont baptisé à juste titre « Ibtissama » (sourire). Il n'a pas attendu des années pour gagner en popularité. À El Hajeb, tout le monde connait l'Espace multifonctionnel des femmes en situation difficile (EMF), situé avenue Hassan II. À l'entrée du bâtiment flambant neuf, un écriteau annonce au public le nom du centre, « Ibtissama », et énumère les bonnes volontés qui y ont contribué de près : le ministère du Développement social, de la Famille et de la Solidarité (MDSFS), l'INDH, le Conseil provincial d'El Hajeb et l'Entraide nationale. Un peu plus bas, une plaque fait office de motion spéciale au bailleur de fonds sans lequel le fonctionnement du centre n'aura pas été possible : la République de Pologne. À travers son ambassade à Rabat, ce pays ami a réussi à déployer les grandes ailes de l'aigle blanc qui lui sert d'emblème pour offrir une aide si précieuse à des femmes en détresse. Visite guidée « Bienvenue ! Vous avez fait bon voyage ? », demande Naïma El'amri, la coordinatrice de l'EMF, en accueillant ses visiteurs. Régulièrement, un groupe de cadres et de responsables se rend au centre pour s'enquérir de son fonctionnement et surtout apporter une bonne dose de chaleur humaine car, par ce froid glacial, c'est le moyen le plus efficace contre les rigueurs de l'hiver d'El Hajeb. Au fil des visites, c'est une amitié très forte qui s'est tissée entre l'ensemble des maillons de la chaîne de l'EMF. Ce matin, Saïda Idrissi Amrani, chef de la division des affaires de la femme au MDSFS, Amina Slimani, chef de service de la promotion de la femme au sein du même ministère, et Beata Burchert-Pelinska, Premier secrétaire chargée des affaires politiques et culturelles de l'ambassade de Pologne, ont fait le déplacement. À l'EMF, les femmes cherchent à se délivrer de leurs lourds secrets. Des travailleuses du sexe, des mères célibataires, des femmes victimes de violences conjugales viennent y raconter leurs calvaires. « Nous les écoutons d'abord, pour ensuite, les accompagner et les orienter. Elles se sentent en confiance et cela nous aide à mieux réussir notre mission », indique la coordinatrice. Pièce par pièce, Naïma fait le guide pour présenter fièrement les différentes composantes de l'EMF : « Parce que nous accueillons des femmes dans un état parfois grave, nous avons prévu une infirmerie pour donner les premiers soins et 14 lits pour l'hébergement d'extrême urgence», tient-elle à faire remarquer. Des confidences et un calvaire Le centre est né de la volonté de renforcer les capacités des femmes et jeunes filles en situation difficile de la région afn de les rendre autonomes. Mais avant d'arriver là, le centre s'engage à prendre en charge leur hébergement provisoire. « Nous avons aussi 15 lits réservés aux mères célibataires à l'étage. Souvent, elles fuient leur famille pour cacher leur grossesse, puis leur accouchement », explique Naïma. Pour en faire profiter un maximum de bénéficiaires, l'hébergement destiné en priorité aux victimes de la violence ne peut être que provisoire. Les bénéficiaires profitent d'un accompagnement médical, psychologique, légal et social. Elles ont également droit à des services de médiation familiale. Alors que la coordinatrice fait un compte rendu des activités du centre, sa collègue Asmae Lamrani de l'EMF, arrive accompagnée d'une jeune femme. « Je pense qu'on n'a plus le choix, notre médiation n'a rien donné », regrette-t-elle avant de s'assoir l'air épuisée. Elle a tenté de régler le problème de cette jeune mère célibataire à l'amiable, mais son initiative sans succès. La victime qu'on appellera Radia souffre le martyre depuis qu'elle a noué une relation amoureuse avec un homme marié. « Je suis tombée enceinte et il m'a promis de m'aider », lance-t-elle. Radia, originaire de Meknès, a gardé son secret avant de disparaitre dans la nature. « J'avais peur surtout de mon grand frère qui, j'en suis certaine, n'hésitera pas à me tuer s'il apprenait la vérité. Je suis alors partie à Casablanca où j'ai été prise en charge par une association. J'ai accouché dans une maternité et c'est là que j'ai appelé le père du bébé pour l'en informer », confie-t-elle, avant de plonger dans un long silence. Quelques minutes plus tard, elle soupire, puis poursuit son récit : « Il m'avait promis de m'aider et je l'ai cru ! Il est rapidement venu me rejoindre et a pris l'enfant en me donnant sa parole de résoudre le problème ». Cette solution s'est révélée être un enlèvement, car la maman n'a jamais revu son fils. « Six mois sont passés et je ne sais pas à quoi il ressemble ! Mon partenaire m'a recommandé de rester tranquille et m'a assurée que mon enfant est entre de bonnes mains, celles d'une cousine à lui à El Hajeb. Je suis donc venue, ici, pour la voir et reprendre mon fils », révèle-t-elle. Soutenue par Asmae, cette rencontre ne s'est pas déroulée comme prévu. « Je n'ai pas pu voir mon enfant ! Elle m'a demandé de lui payer une indemnité alors qu'elle sait très bien que je n'ai rien, je ne travaille même pas ! », s'indigne-t-elle. « Je vais confier le dossier à notre bénévole au tribunal pour qu'elle l'étudie avec un avocat. Ce n'est qu'ainsi qu'on obtiendra justice », affirme Asmae. En attendant, la mère de l'enfant devra se reconstruire, en suivant des cours d'alphabétisation pour apprendre un métier. Aidée par l'EMF, Radia a réussi à se réconcilier avec ses parents qui lui rouvrent de nouveau la porte du foyer familial. Elle parviendra avec l'EMF de Meknès et celui d'El Hajeb à donner un sens à sa vie. Le centre compte parmi ses activités l'alphabétisation comme objectif et moyen d'encourager les femmes à participer et à assister à d'autres activités de sensibilisation et d'éducation à la citoyenneté et aux droits humains. Une seconde chance Le centre veut également leur offrir une formation professionnelle et des services d'accompagnement pour l'obtention de micro-crédit leur permettant de créer des activités génératrices de revenus (AGR). Une des priorités de l'EMF reste la réinsertion socio-économique. « Regardez ce réfectoire et cette cuisine. Tout a été équipé du mieux que possible afin que les bénéficiaires puissent y trouver les outils nécessaires à leur formation. Elles pourraient, éventuellement, avec le développement du centre, transformer ce réfectoire en restaurant grâce auquel elles pourraient disposer de revenus et permettre au centre de multiplier ses bénéficiaires », souligne Amina Slimani. Les ambitions et les bonnes volontés ne font qu'un à l'EMF où l'expérience polonaise semble avoir tracé un chemin sûr pour les femmes. Une grande aventure L'EMF, ce sera donc un combat collectif, un défi pour les partenaires. « C'est le premier centre du genre à El Hajeb. Ici, les femmes sont maltraitées le plus souvent par leurs proches, elles vivent dans la détresse. Leur décision de pousser la porte du centre est le premier pas d'une grande bataille », déclare le délégué de l'Entraide nationale de la province, El Hassan Chibi. Pour lui, l'EMF a tout pour réussir, mais il doit se doter en ressources humaines suffisantes. « Des travailleurs sociaux formés dans un Institut spécialisé à Tanger seront bientôt affectés au centre. Nous parviendrons ainsi à assurer une gestion et un suivi », souhaite-t-il. Au-delà d'une seconde chance, c'est un réveil des consciences que l'EMF tente de déclencher en rappelant que l'équité sociale reste l'enjeu du développement durable. 3 QUESTIONS À … Beata Burchert-Pelinska, Premier secrétaire, chargée des affaires politiques et culturelles de l'ambassade L'Espace multifonctionnel des femmes en situation difficile est né d'une volonté maroco-polonaise. Pourquoi cet intérêt particulier à la femme ? La Pologne suit de très près les réformes que connait le Maroc à différents niveaux et plus particulièrement dans le domaine social. La condition de la femme nous intéresse personnellement, car nous sommes convaincus que c'est la femme qui est à la base de la famille, la clé du développement d'un pays. C'est elle qui veille sur l'éducation des enfants et c'est donc d'elle que dépend l'avenir de la nation. Si elle se retrouve dans une situation de vulnérabilité, elle doit trouver une aide en toute urgence. L'EMF d'El Hajeb est né pour répondre à cette volonté : offrir des solutions à des femmes en difficulté. Quel est l'apport polonais au EMF d'El Hajeb ? Notre apport se décline en deux niveaux, à commencer par l'équipement du centre entièrement financé par le ministère des Affaires étrangères de la République de Pologne. Le second concerne la formation du personnel de l'EMF, nous avons d'ores et déjà envoyé un groupe en Pologne à cette fin et pour partager notre expérience dans le domaine. Les parrains du projet suivent, à présent, son fonctionnement et sont toujours prêts à assurer le monitoring à chaque fois qu'il sera nécessaire. Comptez-vous multiplier ce genre de partenariat, créer d'autres centres ? Nous ne ménagerons aucun effort pour cela. Nous espérons que le ministère des Affaires étrangères polonais aura la possibilité de financer d'autres centres dans d'autres régions du Maroc. Malgré les avancées et les projets, il est impossible d'affirmer que le problème de la femme est résolu tant qu'elle fait toujours l'objet de violences conjugales et sexuelles, et de harcèlements. Ce qu'il faut, c'est une sensibilisation des consciences. Nous essayons, en Pologne, de développer la prévention de ce genre de fléau par justement la sensibilisation de toute la société sans oublier les auteurs des violences. Nous travaillons sur l'écoute des couples et des familles. Pour les victimes, nous avons des centres d'hébergement d'urgence, d'aide sous plusieurs formes et de médiation.