On peut dire sans aucune réserve que les élections qui viennent de se dérouler au Maroc sont une réussite remarquable en termes de démocratie malgré les multiples obstacles et problèmes qu'il a fallu surmonter pour parvenir à ce résultat. Il y a eu d'abord le débat relatif à la fixation de la date de cette consultation, entre ceux qui militaient pour le maintien de la date normale de renouvellement de la Chambre de représentants, c'est-à-dire en septembre 2012, et ceux qui, au contraire, souhaitaient qu'elle soit avancée. Les premiers voulaient que l'on laisse aux partis politiques un délai suffisant pour leur permettre de se préparer à la campagne électorale qu'ils devaient conduire ; les autres faisaient valoir qu'il était important de mettre en place la nouvelle Chambre le plus rapidement possible, car c'est elle qui aurait la responsabilité de la mise en œuvre de la nouvelle Constitution. Ce sont les défenseurs de cette deuxième thèse qui ont finalement eu gain de cause. Un lourd dispositif À partir de ce moment, tous les protagonistes de l'opération électorale se sont mis au travail chacun pour ce qui relevait de sa responsabilité. Le Parlement s'est attelé à la préparation des textes fondamentaux pour l'organisation des élections. Plusieurs dispositifs ont été adoptés, dans ce sens, dont la loi organique relative à la Chambre des représentants que le Conseil constitutionnel devait évidemment valider (22 octobre 2011, Bulletin officiel, p. 2346), la loi fixant les conditions et les modalités de l'observation indépendante et neutre des élections (loi 30-11 du 20 septembre 2011, Bulletin officiel, p. 2183), mais aussi la loi organique sur les partis politiques déterminant notamment les conditions de leur participation à la consultation et l'aide qu'ils pouvaient recevoir de l'Etat. De son côté, le gouvernement a élaboré par décret toutes les mesures concernant l'organisation juridique et matérielle de la consultation, la détermination des circonscriptions territoriales et l'établissement des listes nationales. Les délais ont ainsi été respectés et il convient d'insister sur le fait que le Maroc a une fois de plus démontré que ses institutions ont parfaitement maîtrisé l'ensemble du processus juridique, technique et matériel d'une consultation démocratique. La victoire du PJD est incontestable, mais elle n'est que relative. La campagne électorale, lancée le 12 novembre 2011, s'est déroulée sans incident notable. Ce qui prouve que les partis politiques et la population étaient conscients de la nécessité d'éliminer, autant que possible, tout ce qui aurait pu donner à penser que les règles du jeu démocratique, seules de mise en pareille circonstance, étaient oubliées. Difficultés Il a cependant été relevé que les partis ont trouvé certaines difficultés à mobiliser l'opinion. Il est en effet incontestable qu'un certain discrédit pèse sur l'action de la classe politique dans son ensemble ; cela résulte de l'usure du pouvoir pour la majorité et peut être aussi dû au manque de conviction de la part d'une partie des forces d'opposition dont on avait pu relever le flottement au cours de la précédente mandature. Enfin, le dénigrement systématique des institutions parlementaires et gouvernementales de la part des protestataires du Mouvement du 20 février, mais aussi de la part de certains organes de presse, ne contribuait pas à créer un climat particulièrement favorable pour la campagne des différents partis politiques sauf, peut-être, pour le Parti de la Justice et du Développement (PJD). Ce dernier était en effet le seul qui pouvait se prévaloir de n'avoir ni de près ni de loin participé à l'exercice du pouvoir. Sur un autre registre, le taux de participation, qui est de 45,4 %, a été beaucoup plus élevé qu'en 2007 et il faut s'en féliciter. Et le taux d'abstention ne tient pas à l'appel au boycott de ceux qui ne savent pas que la démocratie se gagne et se défend dans les urnes et non pas dans la rue. En revanche, il s'explique incontestablement par le fait que de nombreux électeurs potentiels dans les campagnes, mais aussi dans les banlieues urbaines, demeurent à l'écart du minimum de conscience politique nécessaire pour aller voter en raison de l'analphabétisme et de la marginalité socio-économique. Ce sera demain l'une des tâches prioritaires des nouveaux gouvernants que de réintégrer au sens fort du terme, dans la collectivité nationale, ceux qui, actuellement, en sont objectivement écartés. Quoi qu'il en soit, il faut souligner le caractère exemplaire du déroulement de ces élections qu'il s'agisse de la campagne électorale ou des élections elles mêmes ; la presse nationale, les organisations politiques, les observateurs sous la houlette du Conseil National des Droits de l'Homme et de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle, les observateurs étrangers, notamment du Conseil de l'Europe, la presse étrangère, tous de façon unanime, reconnaissent le parfait déroulement démocratique de ces élections. Les résultats définitifs que l'on connaît aujourd'hui ne sont donc pas une surprise sauf peut-être pour ceux qui prenaient leur désir pour des réalités. Il est loin le temps où tel parti réclamait la proportionnelle parce qu'il pensait que ce mode de scrutin était le seul capable de lui donner la représentation à laquelle il estimait avoir droit car affirmait-il : « Nous sommes la majorité dans ce pays ». Aujourd'hui, le processus est en marche et nous avons au terme de ces élections une image assez exacte de la répartition des forces politiques. Le PJD est arrivé en tête d'une façon tout à fait naturelle ; ne peuvent s'en étonner que les naïfs. Le parti islamiste, n'ayant jamais exercé le pouvoir, bénéficie d'un crédit qui n'est peut-être pas illimité mais qui est en tout cas beaucoup plus important que celui accordé à toutes les autres formations politiques. Sens politique Mais, ce qu'il faut souligner au premier chef, c'est l'exceptionnel sens politique des électeurs ainsi que les vertus du multipartisme que le Maroc a eu la sagesse d'instaurer à l'aube de la vie constitutionnelle en 1962. Les électeurs ont envoyé 107 députés du PJD siéger à la Chambre des représentants, mais ils ont élu aussi 60 députés de l'Istiqlal (PI), 52 du Rassemblement National des Indépendants (RNI ), 47 députés du Parti Authenticité et Modernité ( PAM ), 39 députés de l'Union Socialiste des Forces Populaires (USFP), 32 du Mouvement Populaire (MP), 23 de l'Union Constitutionnelle (UC) et 18 pour le Parti du Progrès et du Socialisme (PPS). Les autres formations n'obtenant qu'un nombre très réduit de sièges (13 sièges pour neuf formations). La victoire du PJD est incontestable, mais elle n'est que relative. Pour gouverner, il aura l'obligation de s'allier avec d'autres formations. Ce qui constitue tout de même une garantie, en ce sens, qu'il ne pourra pas, une fois installé aux commandes, disposer d'une liberté totale et qu'il devra respecter ce que sont les constantes de la société politique marocaine, à savoir, la liberté et les droits fondamentaux de l'individu ou, en plus clair, l'Etat de droit tel qu'il est universellement conçu. Mais ses alliés devront à leur tour faire preuve de loyauté vis-à-vis de l'alliance de façon à ce que l'efficacité gouvernementale soit à la mesure de l'attente des électeurs ainsi que des espoirs que les Marocains ont mis dans leur nouvelle Constitution par leur vote du 1er juillet 2011. C'est cela me semble-t-il, la principale leçon que l'on doit tirer de ces élections. Mais pour toutes les formations politiques, qu'elles soient demain appelées dans une coalition à se partager les responsabilités du pouvoir, ou qu'elles soient dans l'opposition, l'article 7 de la Constitution leur trace leur devoir qui est d'œuvrer à « (…) l'encadrement et à la formation politique des citoyennes et des citoyens, ainsi qu'à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques » dans le respect des normes constitutionnelles de la bonne gouvernance. Par : Michel Rousset Professeur honoraire à la faculté de droit de Grenoble Conseiller auprès du Centre d'Etudes Internationales