Les échanges entre poètes autour de la Méditerranée sont une tradition renouvelée depuis que des festivals de poésie se multiplient favorisant des rencontres, des échanges et, bien sûr, des traductions. A l'heure où le destin syrien apparaît comme une souffrance collective, trouverons-nous dans des poèmes publiés en 2002 par le Centre international de poésie à Marseille l'écho de quelque espoir ? L'actualité est si terrible que la mélancolie s'empare du lecteur au moment de relire ce petit ouvrage intitulé Damas / Marseille un échange de poésie contemporaine, fruit d'un atelier de traduction collective réalisé à Marseille, Damas et Alep en mai 2000 et qui fut publié à huit cents exemplaires avec le soutien du Centre culturel français de Damas et celui de la Région Provence-Alpes-Côted'Azur. On y retrouve les textes de six poètes : Nazih Abou Afach, Mamdouh Adwann, Nadine Agostini, Jean-Charles Depaule, Mohamed Fouad et Jean-Pierre Ostende, avec la participation pour la traduction de Mohamed Harga. A lire le poème Hirondelle de Nazih Abou Afach, traduit il y a onze ans, et à considérer la tragique situation syrienne d'aujourd'hui, difficile de s'empêcher de penser qu'une hirondelle ne fait pas le «Printemps arabe». Mais lisons : «Triste hirondelle / Naïve hirondelle / Sanglot qui coupe l'air… / Et éclaire le jour du noir de son indécision […] Comme si l'encre de ses ailes / Faisait le printemps / Et notre automne». Le poème suivant n'apparaît- il pas prémonitoire, si l'on songe aux réfugiés syriens en Turquie, au Liban ou en France : «Dans mon rêve l'homme chargé / Du dossier des réfugiés m'a demandé : / Pourquoi êtes-vous venu, étranger ? / Pour fuir de là-bas / D'un pays fou où l'on ne trouve plus / Qui prier / Sauf les tombes, les idoles / Et les arcs de triomphe dans le linceul de poussière / Le cadavre des fleurs étranglées / dans les noces barbares !» Ce poème de Nazih Abou Afach fut écrit à Paris en 1998. Il s'achève ainsi : «Je suis venu poursuivre ma vie en silence/ M'accoudant à une petite table dans un café/ J'écris lettres et poésie lutte contre le remords/ Je maudis les tyrans/ L'ennui/ Et les ruses de la vie / J'aila nostalgie d'un pays sauvage / Sans même l'espoir d'y mourir». Nazih Abou Afach qui a travaillé au ministère syrien de la Culture est aussi peintre. Lisons maintenant Mamdouh Adwan (né en 1941) qui a commencé à publier des poèmes dès le début des années 1960 et dont les pièces de théâtre on été mises en scène dans plusieurs pays arabes : «La pierre qui a pleuré / Et qui m'a surpris de ses sanglots / A la nostalgie d'une terre / depuis qu'elle l'à quittée». Mohamed Fouad (né en 1961) a participé à la fondation d'un Club littéraire pour les jeunes écrivains à l'Université d'Alep dans les années 1980, qui a joué un rôle important dans le mouvement poétique syrien. Parmi ces ouvrages : La tyrannie de la parole (Damas, 1990) et Laissé pour compte (Damas, 1998). Ses poèmes ne sont pas d'une gaieté folle. «Ainsi […] je ne serai pas heureux/ Tant que je n'aurai pas vu Damas» / Sur mes lunettes noires / J'ai soufflé pour y voir plus clair / Le premier homme que ma canne blanche a croisé / A trébuché contre l'extrémité du fil / Et il est tombé du septième étage / Plus besoin maintenant / D'achever ce que j'ai commencé / En effet l'odeur infecte a envahi mes narines». Sa vision d'Alep n'est pas plus réjouissante : «Là où le courrier reste dans les boîtes / Celui qui va / D'un café à l'autre, / Boit le café au sel. / Monte l'ennui / Petit à petit / Et les vieilles histoires / Seront inutiles / Pour passer le temps / Salut à toi l'insecte / Qui grimpes sur la table / Le garçon de café / Te chassera / D'un coup seul /De son torchon sale». Est-ce que le poète Jean- Charles Depaule, natif de Toulon et qui vit à Paris, proposait à ses confrère syriens ou marseillais des texte plus guillerets ? Lisons : «après l'école des soeurs / elle commence à se rendre compte de sa féminité / secrétaire dans une société pharmaceutique / concours de beauté-prix-films / un verre une cigarette / être la reine des coeurs / la voici lancée vers la gloire». Cette poésie qui nous offre comme une signalétique de la vie intérieure filmée en extérieurs imprime en nous une capacité d'imaginer l'autre. Son pouvoir est finalement bienfaisant même si un regret pointe lorsque Jean-Charles Depaule constate et confirme : «ton père n'était pas premier violon/ dans l'orchestre de l'Opéra du Caire».