Actuellement organisées à Marseille, les Rencontres d'Averroès mettent au cœur du débat les perceptions de l'islam en Europe, dans le contexte du Printemps arabe. Entretien avec le directeur de l'événement, Thierry Fabre, sur le thème de cette année «L'Europe et l'islam : la liberté ou la peur ?» Rencontres d'Averroès à Marseille « Penser la Méditerranée des deux rives», tel est le vaste objectif des Rencontres d'Averroès, dont la 18e édition se déroule actuellement dans la cité phocéenne. Directeur de l'événement et méditerranéen convaincu, Thierry Fabre revient dans cet entretien sur la nécessité de questionner le passé commun, de l'histoire des conquêtes à la naissance de l'slam européen, pour dépasser les peurs et repenser avec plus de justesse l'avenir des relations entre les deux rives. Cette nouvelle édition des Rencontres d'Averroès s'organise autour du thème «L'Europe et l'islam : la liberté ou la peur ?». Pourquoi avez-vous choisi une telle thématique ? Cette question se pose aujourd'hui fortement. L'expression «L'Europe et l'islam», je la dois à l'historien Hichem Djaït qui évoquait dans son ouvrage les relations entre ces deux ensembles. Un élément de tension est apparu. Un sondage franco-allemand paru début 2011 montrait une perception de l'islam extrêmement négative. (Cette enquête Ifop pour Le Monde montrait que 40% des Français et des Allemands estimaient que la communauté musulmane représentait «plutôt une menace sur l'identité du pays» ndlr). Et puis, il a eu Anders Breivik qui a tué près de 80 personnes en Norvège pour lutter contre le multiculturalisme et l'islamisation de l'Europe, sans parler des autres actes de terrorisme sur l'autre rive de la Méditerranée, à Marrakech, mais aussi les actes d'Aqmi ou des Shebab en Somalie. En même temps, il se passe un moment historique avec les Printemps arabes, qui sont la manifestation d'actes profonds de liberté. Il y a un décalage entre la perception en Europe et les revendications politiques dans le monde arabe. Justement alors même que le Printemps arabe a montré un visage libre de la rive sud de la Méditerranée, la montée de l'islam politique dans les urnes reste perçue comme une menace. Qu'est-ce qui ancre donc cette peur de l'Islam en Europe selon vous ? Il n'y a pas une clé qui ouvre les imaginaires historiques. De multiples sources et raisons expliquent cette situation, des Croisades à la décolonisation. Il y a un imaginaire de la peur qui s'est construit dans le rapport à l'islam, notamment depuis la révolution iranienne. Et il n'est d'ailleurs pas illégitime d'avoir peur. Les 30 dernières années ont été marquées par un summum d'actes violents, et pas uniquement contre des Européens. Il y a eu plus de 150 000 morts en Algérie avec l'interruption du processus électoral. Cette violence est politique plus que religieuse. Après la révolution de 79, puis l'impact du 11 septembre, toute l'extrême-droite européenne s'est construite contre l'immigration et l'islamisation de l'Europe. Le rapport à l'immigration a joué un rôle important. D'ailleurs, au Maghreb, on voit bien que les migrations des Africains subsahariens changent la donne et suscitent aussi des réactions. Dans ce contexte, quelle lecture faites-vous de l'affaire des caricatures de Charlie Hebdo ? Tout d'abord, il y a pour moi une liberté de penser et de publier qui sont totales, et pour laquelle il ne saurait pas y avoir de limites. Rien ne peut justifier l'attaque d'un journal. Après, c'est vrai que la ligne éditoriale de Charlie Hebdo est très obsessionnelle sur l'islam, depuis la publication des caricatures du journal danois jusqu'à ce numéro. C'est une position caricaturale. Or, ils se trompent sur la lecture de la situation en Tunisie, ils sont dans le prisme de l'islamisme tel que pensé ces 20 dernières années. Les Rencontres d'Averroès sont une tentative de dépasser les caricatures. Thierry Fabre, organisateur des rencontres d'Averroès De façon plus générale, n'y a-t-il pas une tendance à l'amalgame d'un grand nombre de médias européens dès qu'on évoque l'islam ? C'est confortable de garder le même discours depuis 20 ans. Une part des médias passe à côté du temps du monde, et de ce que Benjamin Stora appelle le «89 arabe». Beaucoup de Tunisiens ont été surpris, voire choqués du traitement de la presse européenne et particulièrement de la presse française. Alors qu'une liberté politique s'affirme, une peur se manifeste : c'est un paradoxe qui mérite d'être questionné. Quand on parle d'islam politique, il s'agit d'un islam conservateur et pas d'islamisme. Dans la presse, les catégories tendent à simplifier la complexité des choses. L'idée des Rencontres d'Averroès est justement de penser la Méditerranée des deux rives pour avoir d'autres types d'analyse et de paroles. L'islam d'aujourd'hui représente un spectre extrêmement différencié, une pluralité d'approches, de trajectoires et d'appréhensions. L'islamisme est un mot valise fourre-tout qui sert à faire peur et qui sert de repoussoir pour justifier les dictatures, présentées comme des remparts contre le péril vert. Ces chiffons rouges agités sont des éléments qui servent à justifier l'immobilisme. On a vraiment changé d'époque. Les rencontres d'Averroès appellent à dépasser les peurs et regarder l'avenir commun. C'est une nécessité car notre avenir est durablement lié.