Une masse impressionnante d'informations curieuses et de détails passionnants, d'analyses et d'évocations souvent pittoresques, à moins que de rappels d'événements cocasses ou tragiques, voilà, entre autres, ce que l'on trouvera en lisant le n° 81 (octobre 2011) de Qantara, magazine des cultures arabe et méditerranéenne publié chaque trimestre à Paris par les soins de l'Institut du monde arabe. Rien de ce qui est humain dans le monde arabe et méditerranéen n'échappe définitivement à la science des contributeurs, lorsqu'ils sont politologues, anthropologues, sociologues, spécialistes de l'alimentation et de la cuisine, archéologues ou cinéphiles. C'est dire la variété des thèmes abordés dans chaque numéro de Qantara et les heureuses surprises que l'on éprouve notamment à la lecture des dossiers de la revue. Cet automne, ce sont les voyageuses en Orient qui se trouvent mises à l'honneur. Je dois avouer immédiatement que j'ai éprouvé un choc en reconnaissant sur la couverture la chère Odette du Puigaudeau à dos de chameau. La photographie prise en Mauritanie date de 1934 et c'est trente ans plus tard qu'Odette, devenue R'batie, nous accueillait, mon frère jumeau, ma mère et moi dans la petite villa qu'elle occupait en compagnie de son amie Marion Sénones dont les aquarelles nous ravissaient. Sa biographe Monique Vérité, à laquelle on doit la résurrection des ouvrages d'Odette du Puigaudeau, y compris sa thèse Arts et coutumes des Maures raconte longuement la vie et l'œuvre de celle dont elle affirme à juste raison qu' « elle occupe encore aujourd'hui une place éminente dans la mémoire, la construction identitaire et le cœur du peuple maure. » Renée Champion qui a coordonné le dossier Voyageuses en Orient rit lorsqu'on lui oppose que la Mauritanie n'est certes pas l'Orient et qu'Odette et son dromadaire auraient pu laisser place en couverture à Lady Montagu qui, suite à son séjour à Constantinople (1717-18), introduisit en Grande-Bretagne l'inoculcation curative de la variole, une technique qu'elle avait apprise en Turquie. Parmi les figures de « voyageuses au regard neuf », Renée Champion évoque, pour le XIXe siècle, Cristina de Belgiojoso, « exilée politique italienne en Asie Mineure, où elle devient la propriétaire d'une ferme agricole près d'Ankara » et sa compatriote Carla Séréna, auteure de Mon voyage : Souvenirs personnels De la Baltique à la mer Caspienne (1881).Une des figures les plus intéressantes dans cet album d'ethnologues en herbe et de voyageuses empathiques, c'est Salmé bint Saïd (1844-1924), née princesse sur l'île de Zanzibar, qui épousa en 1867 son voisin, un négociant allemand, avant de s'expatrier avec lui en Allemagne et de publier anonymement en allemand en 1886 puis en anglais sous le nom d'Emily Salme Ruete, Mémoires d'une princesse arabe, que l'on peut lire en français (avec une introduction de Colette La Cour Grandmaison) aux éditions Karthala (1991). Autres femmes voyageuses, Eugénie le Brun (décédée en 1908) et Jehan d'Ivray (décédée en 1940) et qui s'installèrent toutes deux en Egypte pour suivre un mari égyptien rencontré en France, destin qui fut aussi celui de l'épouse de Taha Hussein et qu'elle a raconté dans son livre paru aux éditions du Cerf que j'ai longuement évoqué dans une chronique récente. Le dossier de Qantara est si riche qu'on n'en peut donner qu'une idée. Mon seul regret, c'est l'absence d'Emily Keene, la chérifa d'Ouezzane, à laquelle un ouvrage a été consacré (chez Eddif). Mais du moins se réjouira-t-on de lire Irène Maffi à propos d'Hilma Granqvist, une pionnière de l'ethnologie en Palestine. Granqvist (1890-1972) était une ethnologue finlandaise auteure de travaux centrés sur le village palestinien d'Artas, près de Bethléem. De superbes photographies illustrent l'article. Toutes sont parues dans Portrait of a Palestinian Village. The Photographs of Hilma Granqvist, Londres, éd. Karen Seger, 1981. La place manque pour détailler l'apport de Marie-Odile Delacour et Jean-René Huleu dans leur article Isabelle Eberhardt, une errante guettée par l'esprit. La postérité d'Isabelle – Si Mahmoud doit beaucoup à leurs efforts. Reina Lewis et Nancy Micklewright se sont intéressées à Grace Ellison Une Anglaise dans un harem turc. La journaliste, correspondante du Daily Telegraph avait séjourné en Turquie, à plusieurs reprises, entre 1908 et 1913 et elle y observa l'émergence des premiers mouvements féministes.Beaucoup de lecteurs de Qantara se régaleront de l'article d'Henrietta McCall Agatha Christie, la reine du crime en Mésopotamie. Enfin, il y a un voyageur et non plus une voyageuse, c'est le poète et traducteur Khaled Najjar dont Xavier Luffin a traduit un récit de voyage plein de vie Tunis - Alexandrie via El-Alamein.