Le parti islamiste a présenté, mercredi dernier à la CGEM, les grandes lignes de son programme économique pour la période 2012-2017. Les ambitions sont prometteuses, mais les failles restent nombreuses. En écoutant Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD, présenter les grandes lignes de son programme économique pour la période 2012-2016, à la veille des législatives du 25 novembre, l'assistance présente mercredi à une rencontre organisée par la CGEM avait l'impression que ce programme serait l'ancre de salut qui éviterait au pays de chavirer. À lui seul, le taux de croissance de 7% que les islamistes comptent atteindre, le cas où ils gagneraient la confiance des électeurs, annonce la couleur. Intervenant à l'occasion de la première séance d'une série de rencontres d'échanges et de débats avec les principales formations politiques, organisée par la confédération patronale, Benkirane affirme que le véritable problème dont pâtit le pays reste « purement politique ». Ajoutant qu'il n'est ni économique ni social… Etant donné que le politique et l'économique sont les deux revers de la même médaille, comment pourrait-on alors imaginer un programme électoral arriver à destination avec une seule roue. Rompre donc avec l'ordre établi, politiquement parlant, n'est qu'une promesse en l'air. Benkirane le reconnaît d'ailleurs : « le PJD est un espoir et j'espère que cet espoir ne sera pas étouffé ». Les « aspirations » économiques du parti islamiste, faut-il le dire, demeurent fort prometteuses sur papier. Mais, sur le terrain, il n'en serait rien. Et ce ne sont pas les preuves qui manquent. À commencer par le modèle économique adopté par le Maroc. Les PJDistes parlent d'une nouvelle approche de développement économique. Assistant à la présentation du programme, Ahmed Ouayach, président de la Comader, observe que l'architecture de cette feuille de route, plus ou moins structurée, porte à croire (à ses yeux bien sûr) que l'on est devant un « socialisme islamiste ». Une observation catégoriquement rejetée par Benkirane qui réplique que le parti emprunte la voie libéraliste quand il s'agit du système de production et la voie socialiste pour ce qui est de la distribution des richesses. Voilà une autre faille, mais cette fois-ci de taille. Le PJD rejoint le patronat sur l'idée d'abaisser l'IS à 25%, mais sans aborder la question de l'élargissement de l'assiette fiscale. Le modèle économique en place, béni d'ailleurs par le PJD et incapable de dépasser le seuil de 4,5 %, avait constitutionnalisé la « règle sacrée » des équilibres macro économiques. Alors que bon nombre d'économistes pensent que pour atteindre les 6,5 % de croissance prévus dans la vision CGEM-2020 ou les 7 % dont parle le parti de la Lampe, il faudrait « oser et innover ». Le PJD, il faut le dire, a placé la barre très haut. En atteste l'absence claire de mots «crise financière»,»rigueur budgétaire», «Printemps arabe»… Et le rural ? Plusieurs carences caractérisent en fait le modèle économique actuel : processus continu de l'industrialisation, source majeure de création d'emplois d'ailleurs ; large domination des secteurs à faible valeur ajoutée (BTP, Télécoms, services financiers…) ; maintien de l'économie de rente et des monopoles ; institutions peu crédibles ; crise d'élite de gouvernance… Sur le volet stratégies sectorielles, les PJDistes comptent les garder, tout en envisageant d'y introduire quelques mesures coercitives pour les rendre plus cohérentes. Quoi de plus curieux, surtout que la recette s'attelle à remédier au mal, plutôt que s'attaquer aux racines du mal. S'agissant de la répartition des richesses, le PJD promet une répartition égalitaire des fruits de la croissance, alors que son plan quinquennal ne mentionne en aucun cas le grand chapitre du monde rural, comme le souligne Ouayach. Et c'est là que le bât blesse, sachant que l'arrière-pays où les zones enclavées représentent le vrai Maroc. Ne les a-t-on pas qualifiées de « Maroc utile »… Pour la classe moyenne, autre point culminant, le parti entreprend théoriquement d'élargir la base de cette catégorie socio professionnelle, sans pour autant arriver à cerner concrètement son champ de définition. Au Maroc, il n'existe pas de classes sociales, mais plutôt des couches sociales, comme l'a souligné à maintes reprises, Rachid Belmokhtar, ancien président de l'université d'Al Akhawayn. C'est l'une des raisons qui apparemment expliquerait que le pays est resté jusque-là à l'abri du cyclone du Printemps arabe. Concernant le volet fiscal, le PJD rejoint le patronat sur l'idée d'abaisser l'IS à 25%, mais sans aborder la question de l'élargissement de l'assiette fiscale. Car, comme l'explique cet expert- comptable présent à cette rencontre, pour faire augmenter les recettes fiscales, il faudrait en contrepartie revoir à la baisse la pression fiscale, où le Maroc y figure parmi les champions au monde. « Islamiser » le secteur bancaire La question du système financier figure également dans la liste des réformes prévues par les islamistes. Ces derniers envisagent de recourir à la finance islamique pour résorber la problématique épineuse du financement de l'économie. Là, ils ont oublié qu'il faudrait d'abord décrocher le visa de l'autorité de régulation (Bank Al-Maghrib). Abdellatif Jouahri, gouverneur de la banque des banques, a été clair et ferme sur ce point : « Il n'en est pas question ». D'autant plus que le secteur bancaire marocain, faut-il le rappeler, est l'un des pionniers en termes de bénéfices générés (plus de 110 milliards de dirhams au terme de l'année 2010, soit le premier secteur). Autant dire que l'exercice n'est pas de tout repos pour les islamistes et que les promesses ne valent que par les actes.