David Cantero, coordinateur général de Médecins sans frontières (MSF) au Maroc, nous dévoile l'évolution du travail de l'organisation au Maroc. MSF est au Maroc depuis 1999. Pourquoi vos projets se focalisent-ils uniquement sur les migrants ? Aujourd'hui, il est vrai que notre population cible est constituée des migrants. Ce n'était pas le cas à notre arrivée au Maroc en 1999. Nous avons commencé à travailler avec la tranche de la population marocaine la plus vulnérable, en construisant notamment une maternité à Témara. Nous sommes également venus en aide à des enfants de rue et à des prostituées. Vers l'année 2002, nous avons noté une augmentation du nombre de migrants subsahariens dans le pays. C'était un groupe encore plus vulnérable que les deux premiers. Mais jusqu'à maintenant, nous travaillons toujours dans les cellules d'urgence de l'hôpital Ibn-Sina de Rabat, avec les enfants et les femmes victimes de violence sexuelle. En quoi la vulnérabilité des migrants est-elle plus forte ? A la situation de vulnérabilité qui se rapproche de celle des couches marocaines défavorisées s'ajoutent, pour les migrants, des facteurs de vulnérabilité supplémentaires. D'ailleurs, ils accumulent plusieurs vulnérabilités durant leur parcours migratoire, entre leur pays d'origine et le Maroc. On parle alors d'une vulnérabilité accumulée ! Dont celle d'être considéré comme « illégal ». Le mot « illégal » semble gêner le personnel de MSF. Pour quelles raisons ? Ces migrants sont considérés comme « illégaux », mais on pense plutôt qu'ils le deviennent. Ils ne le sont pas à l'origine. Ils n'ont pas de papiers, et ne peuvent donc pas vivre en toute dignité. Ils n'ont donc ni droit à l'éducation, ni droit au travail. C'est quand ils constatent qu'ils ne sont pas libres qu'ils sont poussés à l'illégalité. Et c'est dans ce cas que leurs actions sont réellement illégales. Or sur le terrain, il est difficile pour nous de travailler avec des personnes qui sont considérées comme illégales. Quels projets ont été mis sur pied au Maroc par votre organisation ? Deux projets ont été lancés au Maroc. Nous sommes présents à la fois à Rabat et à Oujda. à Rabat, on facilite l'accès aux soins aux victimes de violence sexuelle. En effet, parmi la population migrante, nous avons observé que la violence sexuelle est la forme de violence la plus courante durant tout le parcours migratoire. à Oujda, nous suivons le même objectif, mais cette fois-ci on s'adresse à l'ensemble de la population migrante. Notre rôle est un rôle d'intermédiation, et d'accompagnement vers notre centre de santé. Qu'apporte justement ce centre de santé ? Nous œuvrons à améliorer leurs conditions de vie. En particulier les conditions d'abris. D'autant plus qu'à Oujda, les migrants vivent souvent dans la forêt. On leur donne des kits d'hygiène. L'objectif est de diminuer leurs souffrances et de leur rendre leur dignité. La traite des migrants est-elle répandue ? Qu'avez-vous pu observer sur le terrain ? Si nous travaillons avec la population migrante, il y a toujours implication d'un réseau. Soit de trafic, soit de traite. Parfois, il est difficile de dissocier les deux. Dans le cas du trafic, il existe une sorte de contrat liant trafiquants et migrants. Une fois que le « service » est fait, la relation prend fin. Par exemple, si une personne paie pour traverser le détroit, dès qu'elle arrive en Espagne ou en Italie, elle est libre. En revanche, dans le cas des traites, les liens de dépendance et de soumission perdurent. Le but est que leur « entreprise » dure le plus longtemps possible. Comment arrivez-vous à dépasser ces réseaux pour atteindre votre population cible ? Dans tous les pays où MSF est présente, nous sommes amenés à négocier avec des acteurs armés pour qu'ils nous accordent l'accès aux migrants. Avant le Maroc, j'ai travaillé en Colombie, et j'ai beaucoup vu cela. Ce qui nous aide, c'est le droit international humanitaire qui est en vigueur. On ne peut pas toujours dire qu'il nous protège, mais cela aide au moment de la négociation. Avoir accès aux victimes de traites est un défi énorme ! Actuellement, nous pouvons dire que cet accès est très fragile. Au Maroc, c'est un peu différent, mais quand on travaille dans d'autres pays africains comme le Congo, l'Angola, ou la Tanzanie, il faut beaucoup d'effort pour réussir à soigner, ne serait-ce qu'un enfant, dans un endroit très isolé. Si un médecin marocain souhaite rejoindre une des actions de Médecins sans frontières, que doit-il faire ? N'importe quel médecin du monde peut intégrer MSF. Il faut cependant répondre à certains critères. Mais il ne faut pas s'attendre à de gros salaires ! Nous sommes tous salariés et percevons des salaires qui nous permettent à peine de vivre. Mais d'autres motivations viennent compenser ce manque.