Le plastique ou « Mica » est un thème abordé maintes fois, mais revêt, au Maroc, une portée vitale. Dans un pays où le plastique est encore à son état toxique et destructif, la démarche s'avère frontale et probante. Zoom sur l'exposition « Mica » de la villa des Arts. Si certains s'attendaient à ce que «Mica» prenne des allures de plaidoyer écologique, ils sont restés sur leur faim. Les cinq géniteurs de Mica ont tenu à jongler avec des dehors poétiques, ludiques ou satiriques non pour désacraliser cette matière universellement incriminée ou pour réveiller l'inconscient collectif foncièrement dépendant de ce matériau brutal, mais bien pour prendre un parti-pris graphique individuel, au-delà de la dimension moralisatrice et du format provocateur. Si le plastique est une matière à polémique, dévastatrice et morose, notamment au regard du mal-être écologique ambiant, elle peut aussi se muer en une représentation esthétique. La réflexion de Imad Mansour, plasticien et vidéaste irakien, s'approprie la métaphore qui oscille entre représentation esthétique et critique corrosive. La valse de bouteilles dansant avec leurs ombres qui nous accueille à l'entrée de l'espace tranche avec le mur de bouteilles moulées dans du plâtre, tel un cimetière d'objets inertes. Les sacs poubelle multicolores, enroulés en forme de fleurs au creux de mains en plâtre, renvoient à un univers poétique dont ne peut se détacher l'artiste, qui recherche l'essence brute des choses. La vidéo en 3D qui passe en boucle jongle entre le morbide et la beauté graphique. «J'étais réticent au fait de réaliser une vidéo en 3D justement parce que je suis contre ce médium. Je n'aime pas les effets spéciaux et je préfère le travail d'atelier et l'image en elle-même, sans transformation et sans montage mais j'y ai finalement pris plaisir, justement parce que l'idée est propice au thème», explique l'artiste. Toujours dans l'esthétique paradoxale, Saâd Tazi, artiste-photographe, s'est livré à un parallélisme visuel sur fond d'esthétisme cru et dérangeant, en empathie avec les affres de la planète. Sous son prisme poétique, il montre des carcasses de matière et pointe du doigt le catastrophique. « Plastic free », une série de photographies de sacs difformes gisant sur le sable, et «Free plastic», un panorama d'une pureté sauvage, explorent la dualité de la matière. L'artiste s'interroge sur le ballet incessant entre nécessité plastique et calamité plastique. Derrière chaque photo, le message est clair : « Agissons !» Du côté de Mohamad Rachdi, l'angle est plus ésotérique. Difficile de sonder l'approche de cet artiste, qui ne s'explique qu'au regard de son univers truffé de références bibliques, de symboles historiques et du culte des jardins éternels et de l'amour métaphysique, qu'il cultive depuis la genèse de son art. Ses deux mannequins en plastique sont séparés par un mur et liés par un dispositif plastique ou s'entremêlent une rivière de bonbons, signe de sensualité et de plaisir qui renvoie à l'élan érotique, et des accoutrements hauts en couleurs de deux personnages sortis d'un mythe. Pour Mohamad Rachdi, «Mica est sans doute un hommage à l'entrelacement entre le végétal et l'humain». La simplicité est souvent un paramètre propice pour la dérision. Mounat Charrat, peintre et plasticienne, s'est exprimée par le biais d'un concept qui lui ressemble, ou tout au moins obéit à son univers, voire l'épuré au service de la complexité. Son interprétation humoristique sert admirablement sa réflexion sur la durabilité de la matière versus la nature éphémère de l'être humain. Un constat incongru qui se mue en une interprétation caricaturale où se dressent, par exemple, des demi-silhouettes en plastique dont les têtes sont remplacées par des sacs en plastique, ou des horloges. Plus ludique dans son approche, Corinne Troisi n'a pas dévié de son parcours en s'exprimant souvent par des installations trompe-l'œil. En utilisant le plexiglas, l'artiste a monté une anamorphose géante, déconstruisant trois vaporisateurs que le spectateur ne peut reconstituer que d'un angle précis. Métaphore de la société consumériste ? Satire de l'imbroglio médiatique ? Corinne Troisi prend le parti du consommateur dépouillé de ses repères face à une réalité déstabilisante, voire même à une illusion . Assis sur le tabouret posé face à l'installation, le spectateur tente de déchiffrer l'énigme, puis se remet à tourner autour du cube décomposé, changeant constamment de point de vue. Dans un savant dosage de poésie et de dérision, « Mica » s'avère une représentation collective libre qu'aucun fil conducteur ne lie, à part les visions artistiques de chaque protagoniste. Toujours est-il que dans une perspective multi-conceptuelle, le synthétique s'érige au service de la symbolique. «Mica» siègera à la villa des Arts jusqu'au 29 octobre.