Le gouvernement algérien a donné lundi son feu vert à l'ouverture de l'audiovisuel et la dépénalisation du délit de presse. Le projet laisse les professionnels des médias sceptiques. Une nouvelle loi sur l'information a été adoptée lundi soir à l'issue d'un Conseil des ministres, annonçant la fin du monopole de l'Etat sur l'audiovisuel et la dépénalisation du délit de presse. Très attendu par la profession, le projet de loi reprend en les élargissant les dispositions de la loi d'avril 1990, relative à l'information et actuellement en vigueur : « Cela fait des années que les syndicats et les organisations pour la liberté presse demandent la dépénalisation et la fin du monopole de l'Etat », déclare au Soir échos Soizic Dollet, responsable Moyen-Orient et Afrique du Nord de Reporters Sans Frontières (RSF). Mais si, à première vue, un tel projet de loi paraît une belle avancée pour la liberté de la presse dans le pays, les professionnels des médias restent dubitatifs : « Les propositions faites semblent positives, mais on n' est pas à l'abri d'un retournement de situation. Les gens de la profession attendent que ce soient des avancées concrètes. Ils ont très peur de la manière dont le texte va être mis en œuvre », nous explique Soizic Dollet. Premier chantier annoncé : l'ouverture à la concurrence dans le domaine audiovisuel. Pour cela, le texte prévoit la création d'une « autorité de régulation » en charge de donner les autorisations. Toutefois, une « loi spécifique » relative à l'audiovisuel devra tout d'abord compléter le projet de loi. Après la rédaction de cette loi, ceux qui souhaitent mettre en place un nouveau projet de télévision devront conclure une « convention » avec la nouvelle autorité de régulation, auparavant « validée par une autorisation délivrée par les pouvoirs publics». Autant d'étapes préalables qui font douter les professionnels de la libération des ondes : « Connaissant “le système” opaque et lent de préparation des textes de lois en Algérie, l'ouverture effective de l'audiovisuel dans le pays risque de prendre plusieurs années », juge notre confrère algérien d'El Watan, Fayçal Métaoui. « Je doute de la crédibilité d'un tel projet. Quand on sait que l'Algérie dispose de cinq chaînes publiques, des clones de la première chaîne, on a de quoi s'en faire pour cette “ ouverture” qui sera certainement, un nouvel outil de corruption », estime quant à elle Faten Hayed, journaliste à l'hebdomadaire El Watan Week-end. Deuxième chantier : la dépénalisation du « délit de presse ». Ainsi, pour les journalistes auteurs d'articles jugés « diffamatoires », la peine d'emprisonnement est levée pour être remplacée par des amendes, allant de 50 000 à 100 000 dinars (5 500 à 11 000 DH, ndlr). De plus, les sanctions ne seront plus du ressort des ministères de la Justice et de l'Intérieur, mais d'une instance composée d'une moitié de représentants des journalistes. L'annonce des ces mesures par le gouvernement a surpris plus d'un. En effet, le président Bouteflika, qui se proclamait jadis « rédacteur en chef » de la télévision, et son Premier ministre Ahmed Ouyahia, sont connus pour leur hostilité à toute ouverture médiatique, jugeant la société algérienne pas encore « mûre ». En août, une première version du projet de loi avait été remise par le ministre de l'Information au Premier ministre, conservant les peines privatives de liberté et maintenant le monopole de l'Etat sur l'audiovisuel. « Cette première copie avait fait un tollé incroyable, notamment dans la profession », se souvient la responsable de RSF. Alors comment expliquer ce revirement ? « La profession a vraiment fait front », explique-t-elle, avant d'ajouter « Mais surtout, les autorités algériennes voient ce qui se passe à côté, en Tunisie, Egypte et Libye. C'est aussi un moyen de faire des réformes pour éviter d'être renversé par une révolution populaire ». En ce sens, le communiqué du Conseil des ministres indique que le projet de loi s'inscrit « dans le cadre des réformes politiques profondes » promises par le président Abdelaziz Bouteflika dans son discours du 15 avril dernier, prononcé dans la foulée des révoltes arabes. « Les réformes politiques initiées par Bouteflika sont une réponse à la tension sociale et à l'opposition. Mieux vaut prévenir une révolution que de la provoquer », renchérit la journaliste Faten Hayed.