Depuis que la date des futures élections législatives est fixée au 25 novembre, on assiste à un débat passionné autour du vote de la prochaine loi de Finances, alors qu'une possibilité serait à la fois plus démocratique et plus raisonnable : son report après le scrutin. Peu évoquée parmi les options – il semblerait aujourd'hui que l'on se dirige vers une solution « hybride » de débat de la loi avant les élections, le vote étant repoussé- la possibilité de reporter des quelques mois le vote de la loi de Finances par le Parlement a de multiples arguments qui viennent plaider en sa faveur, au premier rang desquels l'on pourrait citer la mise en adéquation du temps « technique » (celui du gouvernement) avec le temps « politique » (celui de la nation). Ce dernier s'est ouvert après la réforme constitutionnelle du 1er juillet 2011 et devrait précisément permettre au futur gouvernement d'exercer pleinement ses responsabilités et de se placer en architecte du déploiement de politiques publiques rénovées. Or, rénover les politiques publiques au Maroc, c'est d'abord penser l'Etat comme le prolongement naturel de la volonté générale, qu'il n'est pas possible de refléter fidèlement sans disposer des instruments budgétaires, financiers et monétaires. En effet, comment les Marocains pourront-ils rendre comptable le futur gouvernement de sa politique si ce dernier s'appuie sur une loi de Finances impulsée par le gouvernement actuel, qui vit ses dernières semaines ? Sans s'adonner à l'art subtil de la divination prospective, chacun d'entre nous imagine sans peine le discours du futur locataire des finances, qui aura alors beau jeu de se désolidariser de l'armature proposée par son prédécesseur, invoquant le sacro-saint concept de « Al yad kassira » (la main est courte). Dans le même ordre d'idées, comment pourrions- nous respecter le débat démocratique en privant le chef de la quatrième force politique du pays, le RNI, de se présenter dans des conditions normales au suffrage universel pour cause de débat parlementaire autour de la loi de Finances ? Les Marocains sont en droit d'attendre de leur classe politique qu'elle ouvre le débat durant la campagne sur la doctrine économique qui devrait être adoptée par le pays. A cet égard, le déficit de propositions est tout simplement consternant. A moins de trois mois d'élections cruciales pour l'avenir du pays, il ne se trouve pas une initiative audible en termes économiques qui soit soumise aux électeurs, notamment sur les sujets qui « fâchent » : l'avenir de la compensation, la convergence sectorielle, la réforme de la fiscalité, la place de l'informel ou la stimulation de la création d'entreprise. Même les « serpents de mer » chers aux économistes ne sont pas évoqués par les politiciens, pourtant prompts à la litote : taille de la commande publique, rationalisation du budget ou encore mise en agenda des priorités publiques d'investissement en sont quelques- uns. Pourtant, sur l'ensemble de ces sujets et bien d'autres encore, le citoyen devrait pouvoir recevoir les propositions des partis politiques, sur lesquels ces derniers seraient soumis à un « devoir d'inventaire » s'ils venaient à les renier une fois en responsabilité. D'un point de vue technique, il faut souligner que le report du vote de la loi de finances est rendu possible par la nouvelle constitution, qui prévoit dans son article 75 que « Si, à la fin de l'année budgétaire, la loi de finances n'est pas votée ou n'est pas promulguée en raison de sa soumission à la Cour Constitutionnelle en application de l'article 132 de la présente Constitution, le gouvernement ouvre, par décret, les crédits nécessaires à la marche des services publics et à l'exercice de leur mission, en fonction des propositions budgétaires soumises à approbation. » Cette disposition ouvre la voie à un report de la loi de finances qui ne serait pas contraignant pour la poursuite des activités normales de l'administration. Reste qu'un éventuel report de la loi de finances comporte malgré tout un désavantage pour les partis politiques marocains : les obliger à se responsabiliser, à sortir de leur « hibernation » intellectuelle afin de se positionner en tant que force de proposition. Ceci est sans nul doute le défi le plus important qu'il reste à relever pour le Maroc. Le report de la loi de finances serait un premier pas dans cette direction car il contraindrait les partis à se positionner sur le terrain économique et donc à « cliver » une partie de l'opinion, à la diviser sur des sujets engageants pour l'avenir du pays. Cet exercice, aussi fastidieux puisse-il paraître aujourd'hui à certains, porte un nom : la démocratie. Abdelmalek Alaoui Abdelmalek Alaoui est associé-gérant de la société de conseil en veille stratégique Global Intelligence Partners. Il est l'auteur du livre Intelligence Economique et guerres secrètes au Maroc (Editions Koutoubia, Paris). Cette question mérite un débat et une prise de position officielle du gouvernement et du SGG. Il en va de la crédibilité des changements en cours. M. Alaoui. Comment faire pour s'assurer que votre demande ait été entendue ?