Les lundi et jeudi, jours de souk rue des consuls, sont devenus au fil du temps des jours de guerre. Une guerre qui oppose les vendeurs de tapis sédentaires aux tisseuses venues vendre leurs tapis à même le sol. Les deux parties se sont confiées au Soir échos. Lundi matin. 9h30. D'habitude animée en début de semaine, Rabat est depuis quelques temps totalement amorphe. En cette période estivale, la capitale a été abandonnée par ses étudiants rentrés au bercail et par ses habitants qui savourent leurs derniers jours de congés avant le ramadan qu'ils préfèrent passer chez eux. La rue des consuls, au cœur de la médina, tarde à se réveiller. Les portes des échoppes s'ouvrent les unes après les autres, sans se presser, laissant apparaître les couleurs bariolées des produits artisanaux qui y sont vendus et qui caractérisent les lieux. On balaie, on arrose, on expose les plus beaux tapis à l'extérieur, on pose le tabouret à l'entrée et on attend le client. Le cœur n'y est pas vraiment. Et ça se sent. La raison de ce manque d'entrain ne tarde pas à montrer le bout de son nez. Plusieurs femmes arrivent, chargées de tapis de différentes tailles. Chacune d'entre elles cherche un périmètre au sol sur lequel elle installe une bâche, avant d'y exposer ses tapis «faits mains », par ses soins, comme elle tient à le préciser fièrement.Aujourd'hui, comme le jeudi, c'est jour de souk ! Plusieurs vendeurs de tapis, postés à l'entrée de leurs magasins, les fusillent du regard. D'autres préfèrent les ignorer. Ils font avec. Cette présence les gêne, mais ils préfèrent ne pas se ronger le sang. «On a beau se plaindre de cette concurrence déloyale, ça n'y change rien. Je préfère ne pas leur porter attention», lance l'un des vendeurs de tapis, installé sur la rue depuis plusieurs décennies.Tous ont un souhait commun. Celui de voir ces femmes déserter les lieux. (cf témoignages) A l'inverse, les femmes tisseuses se défendent, estimant qu'elles ont le droit de vendre leurs produits sur cette rue les jours de souk. Chaque partie campe donc sur ses positions. Aux autorités de faire la part des choses, en arrêtant de faire la sourde oreille. Des familles dépendent de ce commerce, dont l'anarchie commence à peser lourd. Mohamed El Alami «Ces femmes viennent de Khémisset, Tiflet out Salé et vendent les mêmes tapis que nous. Mais comme elles ne paient ni impôts, ni loyer, ni salaires, elles peuvent se permettre de vendre à moindre coût, à un prix défiant toute concurrence. On n'arrête pas de se plaindre au makhzen. Mais lorsque le caïd agit pour qu'elles désertent les lieux, elles reviennent peu de temps après. Comme les vendeurs de DVD.» Houda Aziz «Ces femmes viennent vendre des tapis depuis des années. Seulement au départ, elles ne vendaient que des tapis rbatis, qui n'étaient pas vendus dans les boutiques à l'époque. Résultat, ces tapis étaient achetés aussi bien par les vendeurs que par les particuliers. Elles étaient les principaux fournisseurs des vendeurs. Aujourd'hui, elles préfèrent brûler une étape et vendre directement au client ». Abderrahmane Sabiri «Elles peuvent vendre un tapis de 550 à 450 ou 400 DH. C'est un prix qu'on ne peut pas se permettre à cause des coûts et des taxes qu'on doit payer. Au final, quel que soit le prix auquel elles vendent, elles sont gagnantes. Au début, une association défendait nos revendications, mais depuis que le président est mort, personne ne l'a remplacé. Son successeur devrait être élu bientôt. Dans les années 1990, elles étaient peu nombreuses. Aujourd'hui, leur nombre augmente chaque semaine. Il faut qu'elles s'en aillent ! » Habiba Alami «Je travaille à Salé, c'est là-bas que l'on tisse nos «tapis rbatis». Les vendeurs de tapis nous en veulent terriblement et souhaitent notre départ et les lundi et jeudi, on a de plus en plus de mal à trouver un coin où s'installer. C'est vrai que je les comprends un peu, on vend souvent nos tapis moins cher qu'eux, mais il faut nous comprendre nous aussi. On a une famille à nourrir et on travaille dur pour tisser ces tapis.» Aïcha El Hadi «Le vrai danger, ce n'est pas nous. C'est le tapis «roumi». Ils nous a tous tués. Vendeurs dans les bazars comme tisseuses de tapis. Il ne faut pas rejeter toute la faute sur nous.» Zahra Moutawakil «On ne vient ici que deux demi-journées par semaine. Les vendeurs de tapis le savent. Ce matin, plusieurs d'entre eux ont jeté de l'eau sur les lieux où on s'installe habituellement, pour nous empêcher de vendre nos tapis. Pourquoi toute cette haine ? Ils ont tendance à oublier que sans nous, les tisseuses, ils n'auraient pas de tapis. Si je percevais une retraite, vous pensez que je serais ici à vendre encore des tapis à mon âge ? Je serais allongée devant la télé à me reposer plutôt que d'avoir à subir tout cela». Aucun article en relation !