Le dernier journal (août 1995) de Mohammed Khair-Eddine, qui fut publié en 2001, six ans après le décès du poète et romancier, aux éditions William Blake et Cie, à Bordeaux, se clôt sur un poème qui commence ainsi : «Accouplé à la branche frémissante / du figuier tutélaire vibrant / dans le silence du matin opalin, / le loriot chante l'éclat/ fugitif des facettes irisées que la mer / projette jusqu'ici… ». Ce sont ces vers sur lesquels se ferme le volume intitulé naturellement On ne met pas en cage un oiseau pareil et dont il est bien regrettable qu'on ne le trouve pas dans les librairies marocaines, ces vers où s'exprime une salutation déchirante : « il lance ses trilles et remballe / son instrumentation », qui me sont revenus en mémoire à la lecture d'une belle contribution de Mohamed Nedali, dans le numéro de ce printemps 2011 (n° 7) du Magazine littéraire du Maroc. Ce numéro contient outre Izenzaren, une légende amazighe de Nedali, un ensemble de textes de ou sur Mohammed Khair-Eddine et annonce la parution prochaine de Mohammed Khair-Eddine Essais critiques 1964-1995, sous la direction d'Alexandre, Khair-Eddine, Jean-Paul Michel et Abdellatif Abboubi (Bordeaux, William Blake et Cie). Le texte de Khair-Eddine donné à lire dans ce très riche numéro du Magazine littéraire du Maroc s'intitule Poésie et liberté. Il tient évidemment du cri du coeur : « Le Maroc a toujours été le pays des plus grands poètes oraux de tous les temps… Il n'est que de citer Sidi H'med Ou Moussa n'Tzerwalt et, plus près de chez nous, L'Haj Belaid de Ouijjane pour s'en convaincre… » Il faut absolument lire ce texte de Khair-Eddine une profession de foi et une mise en garde, bien dans la nature des poètes, contre « la plaie la plus grave de notre société : ramasser le plus d'argent possible en un laps de temps très court… » Le poète Jean-Paul Michel, fondateur des éditions William Blake et Cie et dédicataire du premier roman de Khair-Eddine Agadir rappelle : « Ceux qui ont connu Mohammed Khair-Eddine, ce frère définitif (…), ceux-la auront éprouvé avec la surprise de tant de franchise dans l'aveu du désir d'un retour à la beauté perdue de la vie au village, à la fin des fins, ce sentiment d'honnêteté supérieure qui fut toujours sa marque… ». Si un écrivain marocain de langue française me donne aujourd'hui encore ce sentiment d'honnêteté supérieure, c'est certainement Mohamed Nedali. Le romancier de Morceaux de choix, de Grâce à Jean de La Fontaine et de La Maison de Cicine est un modèle de rectitude intellectuelle, ce qui ne gâche rien de son talent de raconteur d'histoires. Le Magazine littéraire du Maroc vient de lui donner l'occasion de célébrer une formation musicale amazighe « qui, en chantant, nous a enchantés, nous les Berbères du Sud, plus de trois décennies durant ». Je me souviens fort bien de Nedali, m'accueillant à Tahanaout il y a quelques années et, très vite s'emparant de son luth pour interpréter une chanson des Izenzaren. Il raconte : « J'ai découvert Izenzaren en été 1976 au cours d'une émission de variété sur RTM. J'avais à peine quatorze ans et je me trouvais dans le café de mon village natal à regarder la télévision, divertissement encore rare à l'époque ». Et de saluer ensuite l' « œuvre monumentale menée à bien sans soutien» par Abdelaziz Chamekh qui ressuscita et modernisa la chanson berbère classique. Des textes d'Izenzaren Chamekh et d'Izenzaren Iggout sont donnés à lire dans le MLM. Iggout, le compositeur interprète, nous dit Nedali, « s'est retiré à Sidi R'bat, un hameau de petits pêcheurs situé au sud d'Inzegane, sur un site retiré et difficile d'accès». Le Magazine littéraire du Maroc n'est pas difficile d'accès. Le sommaire de son numéro 7 est riche. La place manque pour en détailler le contenu. Mais que de découvertes, entre les textes d'Azelarab Qorchi et d'Abdelhaq Anoun, les poèmes traduits d'Ahmed Lemsyeh et l'étude d'Aboulkacem Afoulay : Taska : le contexte d'émergence du champ littéraire amazigh. Au lieu de rejoindre le chœur des pleureuses affirmant que la vie littéraire marocaine serait contrainte à la fadeur sinon vouée à l'inexistence, lisez plutôt ce numéro du MLM. Les superbes peintures d'Abderrahim Yamou reproduites dans ce numéro ont inspiré à Bouthaina Azami des poèmes qui tâchent de se faire l'écho d'une œuvre picturale vibrante « d'une vie palpitante et d'une mort glacée et impassible ». Souvenons-nous aussi bien de Izenzaren Chamekh chantant : « Azouzeou n'sbah afd n'kkat neg izenzaren» : «Nous sommes izenzaren (rayons solaires) resplendissant dans la brise matinale ».