Après plusieurs semaines d'attente, l'autorisation de faire un reportage complet sur la police scientifique nationale est enfin donnée. Chaque jeudi et pendant tout l'été, Le Soir échos vous mènera au coeur des différents services de cette police faite d'experts, de scientifiques, de techniciens mais surtout d'être humains accessibles et ultra professionnels. Dans le service d'Abderrahim Louai, au troisième étage du bâtiment de la police technique et scientifique de la DGSN de Casablanca, lui et ses hommes (quatre docteurs, trois masters, un ingénieur et deux techniciens) travaillent sur une section divisée en trois parties : incendie, explosifs et physique chimie. Après un incendie ou une explosion sur le territoire national, des techniciens de scène de crime vont prélever toute trace et tout indice – comme des accélérateurs de feu : white spirit, essence, etc – susceptibles d'aider l'enquête technique dans la recherche des causes du drame, qui elles-mêmes permettront à la police judiciaire d'établir les responsabilités. Le plus souvent, les équipes de service d'Abderrahim Louai expertisent des bouteilles de gaz « qui font beaucoup de dégâts au Maroc, souvent à cause d'une mauvaise manipulation ou d'une défaillance sur les bouteilles elles-mêmes », avance le scientifique au regard clair. « Il y a aussi beaucoup d'intoxications au monoxyde de carbone (CO) » témoigne-t-il. « On entend souvent parler de gens asphyxiés au butane, à tort, parce que c'est un gaz très lourd, qui va plutôt vers le bas. C'est plus le gaz combustible du butane, le monoxyde de carbone qu'on trouve aussi dans les gaz d'échappement, qui est toxique, léger, inodore et incolore », explique l'expert au visage enfantin mais déterminé, que beaucoup surnomment « le génie ». Depuis les trois, quatre dernières années, le service d'Abderrahim Louai a participé à la résolution de 300 à 400 dossiers par an, en moyenne. « Le monoxyde de carbone tue parce qu'on ouvre rarement les fenêtres lorsqu'il fait froid et les intoxication au CO sont le plus souvent dues à une mauvaise installation d'un chauffe-eau de mauvaise qualité », prévient-il. Concernant la deuxième section du service, si la police découvre des explosifs ou des éléments de bombe avant qu'ils n'explosent, les experts de la scientifique analysent les produits explosifs. Souvent, « leur origine est douteuse et on s'en rend compte après perquisition, à l'aéroport, au domicile du suspect ou sur la potentielle scène de crime ». Après l'explosion, c'est plus compliqué « car il faut deviner plus ou moins les choses qui ont été en contact avec l'explosif, comme les récipients (cocottes-minutes à l'Argana, bouteilles de butane à Meknès, sacs à dos à Casablanca), les débris du système de mise à feu, les vêtements (dans le cas de kamikazes), ce ne sont que des miettes qu'il faut trier une par une », décrit-il, avant d'ajouter que dès le départ, les scientifiques vont « vers telle ou telle option, en fonction de l'événement, mais en général, au Maroc, on est plus souvent confrontés à des bombes artisanales, contrairement à d'autres pays ». Sur des attentats, comme celui qui a frappé Marrakech le 28 avril dernier, « une fois sur place, on fait un constat global. En fonction du degré de brisance, des dimensions du cratère et du nombre de clous éparpillés tout autour, comme pour l'Argana, on penche vers l'artisanal par exemple. On a aussi des renifleurs, qui, dans l'attentat de Marrakech, ont trouvé du nitrate d'ammonium », un composant qui se trouve assez facilement, puisque c'est un fertilisant agricole très utilisé au Maroc. « Une fois moulu et ses grains affinés, il augmente les surfaces de contact et donc l'intensité des dégâts de l'explosion » développe le Dr Louai, avant de préciser que l'auteur présumé de l'attentat de la Place Jamaâ El Fna a utilisé cette charge explosive associée à un combustible « qu'il a employé sans le savoir. Il est allé voir sur des sites jihadistes – qui ne savent pas grand-chose – pour fabriquer ses bombes, mais il a oublié un combustible, pour le remplacer par autre chose qui a malheureusement fonctionné », se désole l'expert qui a appris et qui apprend encore à s'endurcir et à créer une distance nécessaire avec l'horreur de scènes de crimes aussi impressionnantes qu'un attentat. Alors il reste concentré et replonge dans son travail de fourmi : « Notre première mission est de reconstituer l'engin pour aider les enquêteurs à poser les bonnes questions et savoir comment elles ont été fabriquées par les suspects ». Dans le café de Marrakech, « il y avait une énorme quantité de clous éparpillés un peu partout », jusqu'au milieu de la place identitaire de la ville rose. Quant aux analyses physique et chimique, qui font partie des troisièmes attributions du service dirigé par Abderrahim Louai, elles concernent « tout ce qui n'est pas explosif, stupéfiant ou biologique », détaille-t-il. Les scientifiques du laboratoire national de la DGSN travaillent sur les résidus de tirs, la terre sur les vêtements d'un cadavre (s'il y a eu déplacement ou non), les tâches de peinture (après un accident de la circulation avec délit de fuite), les fibres sur un cadavre… toujours dans l'optique d'orienter les enquêteurs, précise celui qui dit adorer son métier, « parce que c'est très prenant et que c'est un choix qui vous fait vous sentir utile ». « C'est un cas d'auto-endoctrinement. Le coupable était un ingénieur de classe moyenne qui a mis beaucoup de sérieux dans la conception de sa bombe, mais il avait, malheureusement pour lui, une mauvaise connaissance des gaz et de leurs interactions entre eux et n'était pas au courant de ce qu'on appelle la limite d'explosivité. Lorsqu'il a voulu faire exploser sa bouteille de gaz, son mélange a fui et s'est retrouvé trop pauvre en combustible. Il n'a blessé personne à part lui-même ». L'OPJ (officier de police judiciaire) chargé de l'enquête a sous ses ordres des techniciens de scène de crime qui ont été formés pour collecter les traces et indices, toutes ces petites choses invisibles à l'œil nu qui se révèlent aux techniciens grâce à leurs nombreux outils, comme les lumières, les poudres, « les instruments de prélèvement, les outils d'exploration de site », etc. Ils récoltent poils, cheveux, fibres et tout autre indice en fonction de ce à quoi l'enquêteur s'intéresse, avant de les envoyer au labo, qui les analysera avec tous les équipements d'analyse minérale et organique dont il dispose, dans les mêmes conditions que les laboratoires français ou américains assure Abderrahim Louai, précisant toutefois que certains labos « possèdent plus d'instruments que d'autres, suivant leurs moyens, mais en général, on n'a rien à envier aux labos étrangers ». S'il y a une autre clé au bon déroulement d'une enquête c'est une bonne communication entre les différents services. « Chaque incendie et chaque explosif est différent de celui qui l'a précédé, alors dès qu'une affaire nous parvient, je responsabilise un de mes hommes de A à Z sur l'affaire en question, tous les autres scientifiques suivent également le dossier, de façon à ce que chacun puisse parler du cas en cours », dévoile le scientifique, qui avoue s'aider du livre au titre évocateur étalé sur son bureau : « Exercez votre autorité avec diplomatie ». « C'est pour diriger au mieux mon équipe et celles avec lesquelles je suis amené à travailler régulièrement », sourit-il, « sur les scènes de crime, il faut pouvoir gérer son espace pour qu'il reste le plus propre possible, et savoir remettre chacun à sa place sans manquer de respect, parce que toutes les personnes présentes sur une scène de crime le sont pour une raison commune : trouver le coupable ». Depuis les trois, quatre dernières années, le service d'Abderrahim Louai a participé à la résolution de 300 à 400 dossiers par an, en moyenne. Des affaires qui se résolvent en trois heures minimum, jusqu'à trois semaines pour les plus longues. « Les incendies durent longtemps en général », témoigne l'expert, « celui des Roches Noires au Comptoir des produits chimiques, dans les années 90, avait duré très longtemps car il y avait eu beaucoup d'intervenants et la scène était très encombrée alors que nous cherchions de tous petits éléments », se souvient-il. L'incendie de Rosamor en avril 2008, qui avait fait 54 morts à Lissasfa à Casablanca, avait lui aussi mis du temps à être résolu. En revanche, la résolution de l'explosion de la terrasse du café Argana a été rapide, « d'abord parce que la Place Jamaâ El Fna est un lieu particulier et parce qu'on a pu profiter de notre expérience des attentats précédents et surtout parce que tous les services concernés par l'enquête sont arrivés en même temps sur place, ce qui nous a permis d'avoir une scène propre », affirme-t-il. « On s'est divisé en trois groupes de travail, un groupe sur la scène de crime pour gérer la scène, les traces et les indices, un groupe à la morgue pour identifier les corps et un groupe au labo de Casablanca qui a tourné 24h/24 et 7j/7, pour prendre en charge tous les éléments dès qu'il arrivaient par voiture. Bio Express Abderrahim Louai, Chef du service incendies et explosifs.
1989 Thèse de physique chimie à Strasbourg, sur les polymères hydrosolubles. 1989 Embauché à l'OCP en tant qu'ingénieur en chef du laboratoire. 1990 Entre à la DGSN 1995 Chef du service incendies et explosifs du laboratoire national de la police scientifique de la DGSN. Par ailleurs, des collègues étrangers nous ont prêté main forte, notamment les Français, principalement sur l'identification des cadavres. Deux techniciens du laboratoire scientifique de Lyon spécialisés en explosifs nous ont aussi aidés et les Américains et les Espagnols ont travaillé avec nous pour le renseignement, en collectant des données. C'est d'ailleurs justement parce que les attentats n'épargnent aucune nationalité que les moyens du laboratoire de la police scientifique de Casablanca se doivent d'être à la hauteur de leurs homologues occidentaux », assure le patron du troisième étage de l'immeuble de la police scientifique, qui est régulièrement saisi par Interpol pour la résolution d'actes terroristes internationaux. « Nos collègues français et américains, que nous avons reçus, ont estimé que nous nous en sortions très bien ». Abderrahim Louai, Chef du service incendies et explosifs. 1989 Thèse de physique chimie à Strasbourg, sur les polymères hydrosolubles. 1989 Embauché à l'OCP en tant qu'ingénieur en chef du laboratoire. 1990 Entre à la DGSN 1995 Chef du service incendies et explosifs du laboratoire national de la police scientifique de la DGSN. Par ailleurs, des collègues étrangers nous ont prêté main forte, notamment les Français, principalement sur l'identification des cadavres. Deux techniciens du laboratoire scientifique de Lyon spécialisés en explosifs nous ont aussi aidés et les Américains et les Espagnols ont travaillé avec nous pour le renseignement, en collectant des données. C'est d'ailleurs justement parce que les attentats n'épargnent aucune nationalité que les moyens du laboratoire de la police scientifique de Casablanca se doivent d'être à la hauteur de leurs homologues occidentaux », assure le patron du troisième étage de l'immeuble de la police scientifique, qui est régulièrement saisi par Interpol pour la résolution d'actes terroristes internationaux. « Nos collègues français et américains, que nous avons reçus, ont estimé que nous nous en sortions très bien ».