Depuis bientôt trois mois, l'euro souffre. Début décembre 2009, il fallait encore un dollar et demi pour un euro. À présent, la devise européenne vaut 1,35 dollar. Cette chute de 10 % traduit les tensions qui affectent la zone euro en raison des déficits excessifs de certains de ses membres, dont évidemment la Grèce. Ces secousses pourraient-elles aboutir à une implosion de l'Union économique et monétaire ? Pour le professeur d'économie Paul De Grauwe (KUL – Katholieke Universiteit Leuven), c'est théoriquement possible. «Tout ce qui a été fait peut être défait, ce n'est pas du tout impossible», dit-il. «D'autant qu'il y a actuellement des dynamiques déstabilisatrices.» Le mal dont souffre l'euro est qu'il s'agit d'une créature incomplète et à peine ébauchée, un «à peu près» de devise : les pays de la zone euro ont unifié et centralisé leur politique monétaire au niveau de la Banque centrale européenne (BCE) mais ont conservé jalousement tous les autres instruments de la politique économique : budget, impôt, sécurité sociale, salaires, etc. Le mal dont souffre l'euro est qu'il s'agit d'une créature incomplète et à peine ébauchée. «C'est un déséquilibre qui entraîne des divergences puisque chaque Etat fait ce qu'il veut», constate Paul De Grauwe. «Le manque d'union politique est le problème-clé. On a instauré une union monétaire sans prendre de décisions en ce qui concerne l'unification politique et maintenant, on en paie le prix.» Concrètement, les économies nationales ont avancé à des vitesses différentes au cours des dernières années. Des pays comme l'Allemagne et l'Autriche ont connu une forte augmentation de leur compétitivité. D'autres, comme la Grèce, l'Italie, l'Espagne ou encore l'Irlande ont connu une forte détérioration de leur compétitivité. En période de haute conjoncture économique, ces divergences n'ont pas paru problématiques. Mais à présent, en pleine crise économique, c'est une source de graves tensions. En effet, les pays les plus mal en point n'ont plus de moyens budgétaires suffisants. Or, ils ne disposent plus de l'arme de la dévaluation de leur devise puisque c'est la BCE qui dirige la politique monétaire. «Dans le passé, explique Paul De Grauwe, en cas de perte de compétitivité de 20 %, on dévaluait la devise nationale de 20 % et l'ajustement était fait en un jour !» Avec évidemment quelques grincements de dents du côté des États partenaires économiques «À présent, continue l'économiste, les seuls mécanismes qui permettent un ajustement pour les pays en difficulté, ce sont les diminutions salariales, les baisses de prix, etc. Mais pour obtenir un résultat, il faudra une longue période. L'Espagne, l'Irlande et la Grèce ont subi une perte de compétitivité de près de 20 %. Avec un taux d'inflation de 2 %, on peut se permettre un effort de 2 % en matière de compétitivité : il faudrait donc dix ans pour y arriver !» Or, demander de tels efforts à ces populations pourrait les encourager à décider d'abandonner l'euro. Dès lors, comment «sauver» la devise européenne ? Il n'y a pas trente-six solutions. Au lieu d'exiger des Grecs (et peut-être d'autres demain) des efforts insupportables, il faudrait davantage de solidarité entre États membres de la zone euro. «L'euro entraîne une responsabilité de solidarité», indique Paul De Grauwe. «Bien sûr, il faut qu'elle soit bien conçue. Mais dans certains pays, comme l'Allemagne, il n'y a plus aucune volonté d'aller dans ce sens. Or, l'Union monétaire est une union, ce qui nécessite un seuil minimum de solidarité.» Seule, la Grèce ne sauvera pas l'euro.