Clôture en apothéose dimanche soir du Festival Jazz au Chellah qui a opéré un plongeon dans le continent noir, sur fond de virtuosité italienne. Le maâlem gnaoua d'origine malienne Mahmoud Guinéa, accompagné de ses trois fils, a signé une prestation digne de son immense parcours, face au quintet Pino Menafra African Mood. Une rencontre inédite qui a su opposer des rythmiques africaines aux mélodies jazz, le quintet étant déjà porté sur les influences d'Afrique du Sud. Les musiciens ont livré des solos contrôlés, une spécificité de l'Italie qui s'est toujours targuée d'être une école prestigieuse en matière de trompette jazz. En première partie, le quartet d'Emile Parisien, fougueux et suave, s'est également fait remarquer. Il était même un des favoris du festival, en regard des prix qu'il a gagnés et du succès fulgurant qu'il connaît actuellement en Europe. Sans se détourner du jazz classique qu'il continue à programmer tous les ans, le festival parie sur le brassage des musiques d'horizons différents. Comment s'opère le choix de ces fusions ? Majid Bekkas, un des directeurs artistiques de ce festival et musicien de génie, nous parle des réflexions en amont de ces métissages scéniques. « Le premier critère est de choisir des musiciens ouverts à ce genre de rencontres, point fort du festival, sachant qu'il y a des musiciens, européens ou marocains, qui ne sont pas flexibles et qui ne peuvent pas assurer ce genre de fusion». « Le mouvement jazz au Maroc en est à ses débuts et le problème reste de voir où se produire ». Majid Bekkas, un des directeurs artistiques du Festival Jazz au Chellah. Quant à la question de la situation du jazz au Maroc, M. Bekkas a répondu : « Ce festival est une bonne leçon pour les producteurs qui refusent d'investir dans des musiques recherchées sous prétexte qu'il n'y a pas d'audience. Le Jazz au Chellah montre qu'il y a bel et bien un public qui aime le jazz ». Il est vrai que le pays souffre d'une pénurie de clubs de jazz, les vrais. Dans nos contrées, les programmations musicales dignes des mélomanes aguerris se comptent sur les doigts de la main. « Le mouvement jazz au Maroc en est à ses débuts, et le problème reste de voir où se produire. Même les festivals de jazz ne prennent pas ces musiciens vu qu'ils sont souvent programmés en marge de ces événements, et se produisent en plein air pour animer la ville », déplore Majid Bekkas. Ajoutons à cela les cachets misérables et l'absence d' instance pédagogique musicale susceptible de tirer ces talents vers le haut. L'extase de nos jeunes musiciens au Chellah n'en est que plus attendrissante, parachutés qu'ils sont « sur de vraies scènes, à pied d'égalité avec leurs compères européens ». Signalons qu'en 1997, à l'époque des Jazz aux Oudayas, ces rencontres ont souvent dépassé les confins de ces scènes. En 1997, quand les Issaoui avaient rencontré le pianiste belge Charles Loos et le clarinettiste André Donni, le brassage avait donné naissance à l'enregistrement d'un disque sorti en Belgique et intitulé « Chour moutabadal ». En 2000, la performance à succès du flûtiste Rachid Zeroual et du groupe allemand Pata Masters s'est couronnée par un disque sorti en Allemagne « Pata Maroc ». « En 2002, nous confie Abdel Majid Bekkas, j'ai moi-même joué avec le pianiste Joachim Kühn et depuis cette rencontre nous sommes inséparables » En effet, Majid Bekkas forme, depuis, un trio de choc avec le musicien allemand Kühn et le batteur espagnol Ramon Lopez, une collaboration qui a donné naissance à trois brillants albums dont Kalimba joué sur les scènes du Chellah, et dont le 4ème est prévu pour le début de 2012. Le Jazz au Chellah s'avère, depuis sa genèse, une véritable traversée des continents. Même du haut de ses 16 ans, le festival ne tombe pas dans le spectaculaire. Avec des entrées symboliques, 30 dirhams pour les adultes et 10 dirhams pour les étudiants, et des pass de 100 dirhams, le festival parvient à démocratiser une musique noble et racée. Et le public en redemande.