Quand Al-Tifâchî, Ala al ‘Dine et Al Hawrani croisent Al Soyoûti et Ovide. Quand Marguerite de Navarre est lutinée par Sade, quand Al Jahiz vous mène à Restif de la Bretonne, et que Pétrone vous conduit à lire la Fontaine, il n'y a plus de secret : vous êtes plongé jusqu'au cou dans l'épais volume tout de rose vêtu dont le titre : Contes des 1001 désirs (Omnibus, 2010), dit fort bien de quoi il (s) s'agit (ent). C'est un festival pour étalons et courtisanes, sur pas moins de 1 264 pages choisies et présentées par Salwa Al-Neimi, Catherine Bouttier-Couqueberg et Annie Collognat. Le panorama licencieux est immense. Les trois dames qui l'ont composé en piochant dans les siècles passés nous reviennent avec 220 contes dont mille et un désirs sont livrés à la méditation du lecteur. Annie Collognat est une spécialiste, si l'on ose dire, de la sagesse antique, tandis que Catherine Bouttier connait bien des secrets de l'œuvre de Diderot. Poétesse, la Syrienne de Paris Salwa Al Neini, qui est aussi nouvelliste, a vu son roman La Preuve par le miel (Robert Laffont, 2007) traduit en vingt langues après son succès à Beyrouth. Je vous avais présenté La preuve par le miel, il y a quelques mois, comme un ouvrage alliant le naturel le plus crû à la psychologie la moins gnan-gnan, tout en nous prodiguant, à toutes fins utiles, la recette égyptienne dite « viagra des pauvres » que je rappelle au bénéfice des oublieux : un mélange de bigorneaux et d'arches, auquel on ajoute un émietté de gambas, un peu de poisson bouilli et beaucoup de piment à bouquet rouge et d'épices». Du piment, les Contes des 1001 désirs en fournissent d'abondance. Jupiter amoureux raconté par Ovide (environ 8 ans après J-C) voit Callisto entrer dans une épaisse forêt et se dit « Quelle belle occasion ! Junon, mon épouse, ignorera tout de cette infidélité. En admettant qu'elle l'apprenne, je veux bien supporter ses fureurs jalouses : le prix en vaut vraiment la peine ! » Les comportements ne sont pas toujours exemplaires ! Ainsi Geoffry Chaucer égrène-t-il dans Les Contes de Cantorbéry (1387) des aveux tels que celui de Mary : « Pars donc. Mais avant de partir, passe sur le seuil de la porte arrière. Tu y trouveras un pain fait de ta propre farine. J'ai aidé mon père à te la voler. Va, aimé, que Dieu te garde ! » Garçon fourbisseur et jolie fourbisseuse chez Restif de la Bretonne (1781), mari prêtre en Provence, ou bien, à Tunis, au XIIIe siècle, chameau avançant dans la rue après avoir reçu son comptant d'eau sur la tête, rossignol florentin piégé par l'oiseleur, les fables friponnes croissent et se multiplient au long de pages torrides ou lestes, parfois grivoises. La prise des anthologistes est quelques fois une vraie découverte pour le lecteur. Il en est ainsi des Deux frères (Egypte, XIIIe siècle avant J.C) traduit en 1889 par Gaston Maspero dans Contes populaires de L'Egypte ancienne, XIXe dynastie. Une version biblique de La femme de Putiphar (Ixe – VIIe siècle avant J-C) précède la version coranique, elle-même, suivie de la version voltairienne. On retrouve avec plaisir Germain Mouette et sa Relation de la captivité du sieur Mouette dans les royaumes de Fès et le Maroc, où il a demeuré pendant onze ans (1683) : « tout ce que je puis vous dire, c'est que sous l'habit d'un esclave, j'ai le discernement d'un homme libre, et que je sais assez connaître le prix des choses pour ne pas refuser des offres aussi avantageuses que celles que vous voulez bien me faire : je sais que je n'en suis pas digne, mais je tâcherai de suppléer par mon respect et par mon zèle à ce qui me manque ailleurs ; disposez donc, madame, de moi et de ma vie». Par gourmandise, on lit aussi Le pâtissier et la pâtissière dans Jaques le fataliste et son maître de Diderot (1778-1780). Le pâtissier est-il toujours celui qui couche avec la pâtissière ? C'est encore Ahamd al-Tifâchi dans Les Délices des cœurs (traduit par René Khawam qui unit le mieux l'érotique et le spirituel : « Je participais un jour à une réunion où se trouvait une femme renommée pour sa pratique de la pauvreté volontaire et de l'abstinence. Or il se trouva un moment où on nous laissa seuls dans la pièce, cette femme et moi-même. Je lui citai quelques phrases sur la Voie et la Vérité, et elle en ressentit un tel transport de joie qu'elle se leva, me sauta au cou et se mit à m'embrasser sur la bouche. Comme je la voyais réagir de cette étrange façon, je me mis à débiter d'autres sentences du même genre, ce qui la conduisit à renouveler de plus belle ses baisers».