Alors que des mouvements de joie se sont produits sur le sol américain, des protestations de colère et d'incrédulité ont éclaté sur le sol pakistanais, après l'annonce de la mort de Ben Laden. Le gouvernement du Pakistan réfute en bloc les soupçons de duplicité, mais de nombreuses zones d'ombres demeurent. Le point sur la situation. Depuis l'attaque américaine à Abbottabad, le Pakistan est pointé du doigt par de nombreux pays occidentaux, qui l'accusent de double-jeu. Washington, puis Londres, New Delhi et enfin Paris, ont émis des soupçons de duplicité à l'égard d'Islamabad. Difficile d'imaginer en effet, que le gouvernement ignorait tout de la villa d'Oussama Ben Laden, située à quelques mètres d'une académie militaire, argumentent-ils. En conséquence, questions, soupçons et critiques fusent de toute part. Le gouvernement pakistanais menait-il un double-jeu ? Que savait exactement Islamabad de la présence d'Al-Qaïda sur le territoire ? Quelles sont les relations du Pakistan aujourd'hui avec les autres puissances, mais aussi avec quels sont ses liens avec Al-Qaïda ? Ce sont « des relations compliquées et importantes », a résumé le porte-parole de la Maison Blanche. Hier, la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton, a promis que Washington poursuivrait son soutien au peuple pakistanais, tout en soulignant la complexité des rapports entre les deux pays. Les Etats-Unis et leurs alliés doivent continuer à travailler avec le Pakistan pour combattre Al-Qaïda après la mort de son chef, a-t-elle déclaré. Avec la France, les relations ont ce même goût ambigu. Malgré le « manque de clarté » dont en font preuve les Pakistanais à l'égard d'Al Qaïda, selon les propos du chef de la diplomatie française, Alain Juppé, le Premier ministre pakistanais, Yusuf Raza Gilani, s'est pourtant rendu en visite en France cette semaine. A Paris, le chef du gouvernement pakistanais a fermement réfuté les accusations selon lesquelles son pays aurait protégé Ben Laden. « Il y a eu un échec des services de renseignements du monde entier, pas seulement du Pakistan » a-t-il justifié. Yusuf Raza Gilani a rappelé que le Pakistan avait lui aussi payé un lourd tribut dans la lutte contre le terrorisme, rappelant la mort de 30 000 personnes, dont les soldats tués lors de conflits avec les talibans. « Ce raid sur Ben Laden ne pouvait pas se faire sans nous », a-t-il estimé, avant de justifier: « on a toujours partagé nos informations avec eux ». Mais la question de la duplicité du Pakistan n'a été évoquée qu'en marge de sa visite parisienne, l'objet de la rencontre relevant principalement du domaine des affaires, et plus précisément de contrats militaires. Au Pakistan, le gouvernement est également vivement critiqué, mais pas pour les mêmes raisons. Le principal parti islamiste a appelé ses fidèles à se rassembler aujourd'hui, jour de prière, pour demander au gouvernement l'arrêt du soutien aux forces américaines. Jamaât el Islami (JI), l'une des plus influentes formations politiques islamistes, estime que les Etats-Unis ont violé la souveraineté du pays en menant l'opération Geronimo sur leur sol. « Nous appelons tout le monde à des manifestations pacifiques de grande ampleur, vendredi. Notre première revendication est que le Pakistan (…) se retire de la guerre contre le terrorisme », a indiqué à Reuters, Syed Munawar Hasan, leader de la JI. Déjà bien enracinés du fait de la mort de nombreux civils dans les bombardements de drones américains, les sentiments anti-Etats-Unis de la population se sont renforcés avec l'opération Geronimo. « Même s'il existait la moindre sympathie à l'égard des Américains, elle disparaîtrait compte tenu de la manière dont ils ont piétiné et violé notre souveraineté et notre indépendance », déclarait hier encore à Reuters, Syed Munawar Hasan. Après trois jours de débat en interne, Barack Obama a finalement annoncé mercredi qu'il ne diffuserait pas de photographies de la dépouille de Ben Laden, tué lundi matin au Pakistan. Motif : la publication d'un tel cliché consitituerait un « risque pour la sécurité nationale » et pourrait provoquer des violences. « Il est important de ne pas laisser des preuves photographiques horribles dans la nature, comme un outil d'incitation à la violence ou de propagande », a-t-il explicité au magazine 60 minutes, avant d'ajouter, « nous n'arborons pas ce genre de choses comme des trophées ». Cette décision divise l'opinion. Selon un sondage de US News & World Report, 49 % approuvent le choix du président, tandis que 51 % sont en désaccord.