Abdelhadi Saïd Quelle force d'agrippement chez ce régime ! Touchée à mort, la tyrannie ne lâche pas l'accoudoir présidentiel, elle tente de se redresser, déterminée à en découdre avec le peuple. Mais à quoi sert-il de s'accrocher au fauteuil quand c'est la terre entière qui vacille sous vos pieds ? Qu'importe, le pouvoir croit encore en ses chances de survie. Plein de vindicte, il multiplie les contre-attaques. Au Caire, en Alexandrie, à Suez. Il brûle, saccage, pille. Du moins, il laisse brûler, laisse saccager, laisse piller – ce qui revient proprement au même. Punir le peuple par le peuple, voilà l'abominable projet de la dictature agonisante. Ouvrir grand les portes des prisons, Abou Zaabal y compris, mais ne faire qu'entrebâiller celles des casernes. Plusieurs jours après l'évaporation de la police, le déploiement militaire se fait encore au compte-gouttes. Rien de tel pour attiser la flamme révolutionnaire que le « bottage » en touche d'un régime honni. De fait, un régime doit être considéré comme officiellement démissionnaire, dès lors qu'il abandonne certains de ses postes vitaux. Il est étonnant d'ailleurs qu'il n'en soit pas juridiquement ainsi. Les constitutionnalistes du monde entier devront se pencher sur cet effroyable « vide », par la brèche duquel un régime disparu brusquement dans la nature prétend tenir encore les rênes du pays, alors même qu'il fait place nette à la terreur, qu'il a, sinon orchestrée, du moins voulue et favorisée, pensant ainsi prendre en otage le peuple, pensant ainsi le détourner de sa noble mission de départ : en finir radicalement avec trente ans de dictature. Tout cela du reste est cousu de fil blanc. A l'image de cette mise en scène autour du Musée égyptien du Caire, par exemple. Laisser vandaliser quelques vitrines, pour ensuite en montrer les débris en gros plan à toute l'humanité, on ne voit qu'une seule « utilité » à un tel procédé : En tentant de raviver le douloureux souvenir du grand pillage du Musée national d'Irak, les autorités croient agiter la menace d'un chaos, celui du modèle irakien de l'après Saddam. Le peuple égyptien se réclame-t-il du jasmin tunisien, alors servons-lui au plus vite la coloquinte d'Iraq ! Autre mise en scène, plus obscène : les visages hagards de ces quelques malheureux malfaiteurs, livrés en pâture aux feux des médias de propagande, comme si ces personnes sans défense étaient la cause principale de plusieurs dizaines d'années de malheur en Egypte. A côté de ces tactiques macabres, il y a les gesticulations politiques. Remaniement ministériel, rien que ça, vendredi tard dans la nuit. Pour nous qui étions scotchés devant nos écrans dès le début de la soirée, cette messe de minuit a été du plus mauvais goût. Douche froide. Que dis-je, canon à eau. Pour le peuple qui veillait aux quatre coins de la Place Tahrir, c'était plutôt de l'huile sur le feu. Rien de tel pour attiser la flamme révolutionnaire que le « bottage » en touche d'un régime honni. Washington était à ce moment-là, et depuis le début, en ligne. Longtemps le régime dictatorial de Moubarak a survécu grâce aux perfusions occidentales. Mais rien ne sera plus comme avant. Ayant d'abord présenté le gouvernement égyptien comme « stable », les Etats-Unis fléchissent d'heure en heure leur position. Ils savent à présent qu'ils pourront tenter tous les massages cardiaques du monde, cela ne changera rien au pronostic vital, déjà engagé, du pouvoir trentenaire. Ils savent le peuple égyptien désormais maître de l'« Emergency Room » ; ce n'est pas Hillary Clinton, ni Barack Obama, ni même Georges Clooney en personne, qui pourront l'empêcher de débrancher le régime.