L'examen, jeudi dernier, du projet de loi régissant la profession de comptable agréé au Maroc remet sur la table le bras de fer qui oppose ce corps de métier aux experts-comptables. Lors de la séance d'examen, Abdellatif Bernoussi, le président du Conseil national de l'Ordre des experts-comptables, n'a pas caché son soutien au projet de loi. «C'est un moyen pour lutter contre l'anarchie dans ce secteur qui ne sert pas les intérêts économiques du pays», a-t-il indiqué. Cependant, il a émis certaines réserves quant à l'idée de créer l'ordre des comptables agréés. L'argument de base est, depuis longtemps d'ailleurs, que deux ordres pour la même profession peuvent créer une confusion et ne pas servir forcément les intérêts de la profession. Est-ce parce que les experts-comptables ont peur que certaines erreurs commises par les simples comptables agréés aient un impact sur leur réputation du fait que les clients ne font pas tous la différence entre ces deux «corps» ? Dans ce cas-là, les experts-comptables considèrent-ils les comptables comme tous incompétents ? Quoi qu'il en soit, certains observateurs voient cela d'un autre œil. Il s'agirait tout simplement de parts de marché si l'on en croit leurs propos. Le marché des TPE Produire des comptables agréés représente un grand enjeu pour l'économie marocaine. «C'est un mouvement qui risque de changer complètement le paysage économique du pays», affirme Khalil Marwane, directeur général de Moorish. Pourquoi ? Lorsque les bilans comptables ou déclarations de TVA des entreprises seront déposés à la direction des impôts, ils devront porter le cachet d'un comptable agréé. Les honoraires de ces comptables vont donc très certainement augmenter d'une manière assez conséquente. «Les prix vont probablement passer du simple au triple», explique Khalil Marwane. Les très petites entreprises seront les premières à payer les frais de cette transition, si l'on en croit les quelques professionnels qui ont bien voulu se prêter au jeu des hypothèses. En effet, alors que les experts-comptables côtoient plutôt les PME et grandes entreprises, l'essentiel des TPE qui existent aujourd'hui font appel aux services de simples comptables. «Ces petites structures n'ont en général pas les moyens pour engager des comptables permanents en tant que salariés», c'est pour cette raison qu'ils optent pour une externalisation de ce service. Si aujourd'hui, il est de convention pour ces comptables de présenter une facture forfaitaire minimale de 500 DH par mois, il ne faudrait pas s'étonner de voir passer ces honoraires à 1.500 DH du jour au lendemain. Un prix que certaines TPE ne sont pas prêtes à payer. Pire, leur demander de payer le triple peut les pousser à renoncer aux services de comptables agréés. «Certains pensent qu'il y en a même qui seront tentés de (re)basculer vers l'informel, le temps de (re)dresser la barre», fait remarquer Khalil Marwane. Mais en parallèle à ces clients perdus, les comptables agréés en gagneront d'autres. «C'est ce que les experts-comptables craignent le plus. Quand ils disent que la confusion va régner dans l'esprit des clients, ils veulent en fait éviter de perdre des parts de marché», affirme un professionnel. Car même si augmentation il y a des honoraires de ces comptables agréés, ces honoraires resteront en deçà de la facturation pratiquée par les experts-comptables. Du coup, un glissement dans la cible sera opéré. «Les clients perdus pour les comptables agréés seront compensés par les nouveaux clients recrutés chez les experts-comptables. C'est ce que craignent ces derniers», affirme le professionnel. Un raisonnement qui paraît encore plus logique lorsqu'on sait que face aux milliers de comptables candidats, seuls 400 experts-comptables existent aujourd'hui. L'impact sur les PME Les entreprises devront également faire face à de nouveaux défis. Elles seront dans tous les cas amenées à faire agréer leurs comptables. «Sinon, les bilans et déclarations faites devront passer par un deuxième comptable pour y apposer son cachet, après vérification». Un coût double que l'entreprise évitera à tous les coups. Seulement, après être devenu comptable agréé, ce dernier pourra exiger des augmentations salariales, du fait de sa nouvelle valeur sur le marché du travail, sous peine de changer d'employeur. «Si le comptable travaille dans l'entreprise depuis des années, il sera difficile de le laisser partir», explique un chef d'entreprise. Quoi qu'il en soit, en France, l'expérience a été menée avec succès. Aujourd'hui, il existe même une passerelle entre les deux mondes. Peut-être faudrait-il mener des réflexions dans ce sens.