Salah Guemriche, ce polygraphe en liberté, est un journaliste pigiste condamné à écrire des livres du fait de la frilosité des rédactions parisiennes. Ce romancier s'est fait connaître du grand public en devenant l'auteur du Dictionnaire des mots français d'origine arabe (et turque et persane), accompagné d'une anthologie littéraire : 400 extraits d'auteurs français, de Rabelais à Houellebecq, préface d'Assia Djebbar de l'Académie française», Seuil, 2007. Amoureux de la chanson, ce qui lui valut d'écrire en 1988 un ouvrage consacré à Sapho (aux éditions Seghers), il est une sorte d'électron libre dont les livres surprennent. Guemriche a donné notamment un roman remarquable, Un été sans juillet (Le Cherche-Midi, 2004). Ce titre énigmatique possédait une explication à laquelle le roman se tenait avec art : «Le 1er juillet 1962, le jour où l'Algérie entrait dans l'indépendance, Larbi entra dans le coma». Trente-trois jours de coma suite à un attentat perpétré par l'Organisation de l'Armée Secrète qui allumait d'ultimes incendies meurtriers au nom de la lutte pour «l'Algérie française». L'originalité d'Un été sans juillet consistait à raconter ce moment capital de l'histoire algérienne en se débarrassant des œillères habituelles. Guemriche montrait une capacité de compassion qui excluait seulement les salauds. Quant aux autres, il dessinait leurs jours, leurs tristesses, leur rage ou leurs déraillements, d'une plume sobre. Avec Djilali Bencheikh dans Mon frère ennemi (Racines/Séguier, 1999) et «Tes yeux bleus occupent mon esprit» (Elyzad, 2007), et surtout Rabah Belamri dans Regard blessé (Gallimard, 19987), Salah Guemriche est l'un des écrivains algériens qui rendent compte de la relation franco-algérienne avec le plus d'acuité et de sensibilité. Sa posture présente ou plutôt sa postulation d'aujourd'hui, on la découvre en dédicace de son ouvrage «Abd er-Rahman contre Charles Martel, la véritable histoire de la bataille de Poitiers» chez Perrin : «Pour Jahiz, Français de souche… nouvelle». Précisons d'ailleurs que la maman de Jahiz est française ! Et de la France, il est grandement question dans «Abd-er-Rahman contre Charles Martel». «Mais de quelle France s'agit-il ? Ses frontières ne sont pas celles que l'on connaît aujourd'hui»,est-il précisé en quatrième de couverture. Salah Guemriche joue donc aux cartes, géographe et historien braconnier que captivent les passions humaines, les querelles de pouvoir, les conjurations, la complexité des enjeux politiques voire conjugaux. Guemriche qui avait écrit «Un amour de djihad» chez Balland, où il racontait une première fois, mais en romancier plutôt qu'en historien, la bataille de Poitiers, pense avec Claude Fauriel qu'«on en a certainement exagéré l'importance et les résultats quand on a dit qu'elle avait décidé en Europe du triomphe définitif du christianisme et de la civilisation de l'Occident sur l'islamisme et le génie arabe». L'Espagne avait été conquise par les Arabes il y a tout juste treize siècles : en 711. Depuis, d'aucuns attisent craintes et phobies. Ce n'est certes pas le propos dans «Abd-er-Rahman contre Charles Martel», un ouvrage enlevé qui raconte, informe et analyse tout en multipliant les pistes de réflexion. Salah Guemriche est un esprit curieux dont l'avidité se porte sur la connaissance des faits et leur interprétation possible. Il risque d'attirer à nouveau l'attention dès le 20 janvier avec la publication chez Denoël de son enquête «Le Christ s'est arrêté à Tizi Ouzou».