Un séminaire d'information sur la réduction des risques chez les usagers de la drogue s'est tenu samedi à Rabat. Le projet MENAHRA vise à renforcer les capacités des ONG dans ce but. 4% des jeunes Marocains ont consommé du cannabis. leïla hallaoui A ujourd'hui, nous avons toutes les drogues, mais aucune étude épidémiologique qui nous permette de mesurer l'ampleur du fléau», lance le Pr. Fatéma El Omari, lors du séminaire d'information des médias sur la réduction des risques de l'usage des drogues organisé samedi 4 décembre à Rabat. Chef de service au Centre national de traitement, de prévention et de recherches en addictions à l'hôpital Arrazi, cette spécialiste estime qu'il est temps d'agir car la situation risque d'aboutir à une réelle catastrophe. «Nous ne disposons, pour le moment, que d'estimations sans chiffres précis. Toutefois, depuis les années 80, l'on constate que la consommation d'héroïne et de cocaïne augmente considérablement par la voie injectable», indique-t-elle aux représentants des médias venus nombreux d'Algérie, de Tunisie, de Libye et du Maroc. Urgence, d'autant que le fléau dans nos pays semble toucher de plus en plus de jeunes. Dans son intervention sur «La situation de l'usage des drogues en Afrique du Nord-Liens drogues et VIH/Sida», le Pr. Fatéma El Omari a souligné que l'une des caractéristiques les plus saillantes de l'usage des drogues reste le rajeunissement des usagers. «Avant, ils avaient 18 ans. A présent, ils sont des adolescents et parfois même des enfants de 10-12 ans !», s'exclame la spécialiste, mettant en évidence les conséquences d'un pareil phénomène : rajeunissement veut dire aussi multiplication des risques quant à l'apparition de troubles mentaux, plus de difficultés dans le traitement… Le rapport mondial sur les drogues en 2009 estime que les consommateurs de cannabis en Afrique du Nord se situent entre 3,6 et 9,3 millions et ceux d'opiacés ne dépassent pas les 490.000. Ce document indique également que les consommateurs (Afrique du Nord, toujours) de cocaïne sont entre 30.000 et 50.000, alors que les substances du groupe amphétamines touchent une population plus importante allant de 240.000 à 510.000. Quant à l'ecstasy, il n'y a aucune estimation sur la région mais on avance un chiffre de 340.000 à 1,8 million de consommateurs dans toute l'Afrique. Selon des enquêtes réalisées dans des établissements d'enseignement pour connaître la prévalence de l'usage du cannabis au cours de la vie chez les jeunes, le Maroc enregistre un taux allant de 4 à 9%. Et cette prévalence concerne l'ensemble des consommateurs y compris ceux qui en ont usé qu'une seule fois au cours de l'an écoulé. «La prévalence du VIH auprès des usagers des drogues injectables (UDI) est très élevée : 30 à 40%», fait remarquer ce professeur. Et de préciser que les UDI s'exposent surtout à la contamination par l'hépatite C : «Elle est plus résistante que le VIH et plus lente à apparaître». Si la région MENA, dont le Maroc fait partie, compte entre 400.000 et 900.000 UDI et 620.000 personnes vivant avec le VIH, nul doute que les conséquences seront désastreuses si rien n'est fait. Pour éviter le pire, le projet MENAHRA (Middle East and North Africa Harm Reduction Association) tente de renforcer la réduction des risques en en faisant une clé fondamentale. «Moins chère que les traitements, que la répression, cette politique est innovante, efficace et répondant au principe d'accès aux soins garanti par les droits de l'Homme», tient à souligner le Dr. Ilham Lagrich, manager du Knowledge Hub Arrazi (KH-Arrazi), pôle de connaissance couvrant la région Algérie, Libye, Tunisie et Maroc, composant stratégique de MENAHRA. Parmi les services proposés pour la réduction des risques, figurent des programmes d'échange et de distribution de seringues et d'aiguilles. L'utilisation de seringues non stériles, qui semble une pratique courante, est constatée chez 5 UDI sur 10 au Maroc. Cette approche propose aussi des thérapies de substitution aux opiacés. A ce niveau, le Maroc propose, depuis juin dernier, un traitement de substitution par «Méthadone». «Nous disposons de trois centres «Méthadone» pilotes à Rabat, Casablanca et Tanger où le centre Hasnouna est doté d'équipes mobiles», affirme le Dr. Maria Sabir, cadre au Centre national de traitement, de prévention et de recherches en addictions (hôpital Arrazi). Grâce à la substitution, les usagers sont de moins en moins addicts à leur ancienne drogue et peuvent, petit à petit, retrouver une vie normale. «Nous avons constaté, grâce à ce traitement, une baisse d'overdose, un meilleur équilibre cérébral avec une disparition graduelle du besoin de consommer une drogue et une meilleure protection des risques liés aux injections», soutient le Pr. Fatéma El Omari, invitant les médias à servir de relais pour le renforcement de la politique de réduction du risque. Pour le moment, ce sont les chercheurs dans ce domaine et la société civile qui semblent s'investir le plus. Mais ce travail ne risque pas de dépasser le local, alors que le besoin est beaucoup plus grand. «La société civile et les académiciens doivent unir leurs efforts pour mener des études en synergie», estime le Dr. Maria Sabir. Et les décideurs doivent aussi se rendre à l'évidence que le tabou de la drogue a laissé place aux droits humains. Perspectives Le réseau de coopération du Groupe Pompidou sur les drogues et les toxicomanies dans la région méditerranéenne et le réseau MedNET, ont organisé à Rabat, les 30 novembre, 1er et 2 décembre, un séminaire régional pour la création d'observatoires nationaux des drogues. Ce séminaire, coordonné par le Centre d'addictologie et de lutte contre la toxicomanie relevant du centre hospitalier Ibn Sina (CHIS), propose la création d'un Observatoire national des drogues (OND). Ce dernier peut apporter des données plus claires sur le phénomène de l'usage de drogues afin de permettre d'élaborer des politiques antidrogues et d'organiser des services y afférents. Les participants à un atelier sur le diagnostic stratégique pour l'établissement d'un OND (dans le cadre de ce séminaire régional) affirment que «cette structure peut offrir à l'ensemble des acteurs publics des éléments de connaissance nécessaires à leur action en matière de prévention, de soins et de répression du trafic, notamment des informations factuelles, objectives et fiables sur les drogues et la toxicomanie». Et d'ajouter que l'OND sera «un mécanisme de coordination national concerté et équilibré qui supervise les divers acteurs chargés de mettre en œuvre une stratégie nationale en matière de drogue ainsi qu'un réseau d'informations sur les drogues à travers des enquêtes ad hoc et des programmes de surveillance épidémiologiques réguliers axés sur des groupes spécifiques». Selon les dernières statistiques révélée, en 2009, 4,2% de la population marocaine de plus de 17 ans ont un problème d'usage et environ 500.000 usagers consomment du cannabis de façon problématique.