L'affaire Karachi fait couler beaucoup d'encre ces derniers jours. Plus l'enquête progresse, et plus on s'enfonce dans les méandres politiques, impliquant de plus en plus directement Nicolas Sarkozy. A l'origine, l'affaire Karachi est une affaire de corruption liée à la vente de sous-marins par la Direction des constructions navales (DCN) au Pakistan en 1994. En marge de cette vente d'armes, un système de rétrocommissions (retour d'argent non déclaré) aurait été mis en place, à destination de plusieurs personnalités politiques. Ces versements d'argent auraient notamment financé la campagne présidentielle de Balladur en 1995, à hauteur d'environ 1,5 million d'euros. Une hypothèse confirmée par Dominique de Villepin lors de son entretien jeudi avec le juge. Ayant eu vent de ces rétrocommissions garnissant le trésor balladurien, Jacques Chirac avait décidé en 1995 de l'arrêt de cette pratique. Par la suite, le 8 mai 2002, un attentat a eu lieu à Karachi au Pakistan, causant la mort de quatorze personnes dont onze techniciens français de la DCN. Comme l'évoquaient la mission d'information parlementaire sur l'affaire et son rapporteur, Bernard Cazeneuve, l'hypothèse d'un lien entre l'arrêt du versement de rétrocommissions et l'attentat de Karachi en 2002 ne peut être écartée. Mais les questions demeurent, puisque l'existence de ces rétrocommissions ne repose que sur «des témoignages fragiles», comme le stipule le rapport. Des preuves écrites Dominique de Villepin a été entendu jeudi, à sa demande, par le juge Renaud Van Ruymbeke dans le cadre de l'enquête sur l'affaire Karachi. L'entretien a duré plus de quatre heures. «J'ai indiqué qu'il ne pouvait y avoir aucun lien entre l'attentat de Karachi et l'arrêt des commissions décidé par le président Jacques Chirac», a-t-il déclaré à sa sortie. En revanche, il n'a pas hésité à pointer du doigt le financement douteux de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur de 1995. «Il a confirmé les forts soupçons de rétrocommissions. Il a notamment fait part au juge des rapports de la DGSE (services secrets) et du ministère de la Défense. Il y a eu des rapports écrits», a indiqué Olivier Metzner, son avocat sur les marches du Palais. Cet élément change la donne. En effet, jusqu'ici, aucun document écrit n'était venu confirmer les soupçons. Si ces documents prouvant l'existence de rétrocommissions parviennent sur le bureau du juge, ils pourraient servir d'éléments à charge. Toutefois, les révélations de Dominique de Villepin sont restées partielles. Lorsque le juge Van Ruymbeke lui a demandé les noms des bénéficiaires de ces rétrocommissions, l'ancien Premier ministre est resté silencieux pendant de longues minutes et n'a pas répondu. «Manifestement, il est confronté à un conflit de loyauté. A savoir qu'il sait. Il est capable de mettre des noms de personnes. Mais il ne veut pas, de peur de mettre en difficulté son courant politique…», déclarait Olivier Morice, le défenseur des familles des victimes de l'attentat. Le risque : déstabiliser sa propre famille politique, et par ricochet, la majorité présidentielle. Tous les chemins mènent à Sarkozy Son implication étant de plus en plus suggéré, le président de la république a fait diffuser vendredi un communiqué disant que l'affaire ne le «concernait en rien». Pourtant à l'époque des faits, Nicolas Sarkozy était ministre du Budget -de 1993 à 1995- et porte-parole de la campagne Balladur, rival de Jacques Chirac en 1995. En tant que ministre, il aurait validé le plan de trésorerie de la vente de sous-marins au Pakistan en 1994, incluant le versement de commissions pour un total de 33 millions d'euros à plusieurs intermédiaires. En marge du sommet de Lisbonne, dans une discussion supposée rester «off», il s'insurgeait : «Y a-t-il un document qui me mette en cause, un seul ?» Et bien oui, et plus d'un. Tout d'abord, le rapport de la police luxembourgeoise daté de janvier 2010, révélé par le site Mediapart. Ce document désigne Sarkozy comme l'architecte du dispositif mis en place, avec la création au Luxembourg de deux sociétés, Heine et Eurolux, circuits de transit pour les rétrocommissions. «Une partie des fonds qui sont passés par le Luxembourg reviennent en France pour le financement de campagnes politiques françaises», affirment les policiers. De plus, son nom est revenu à plusieurs reprises lors des entretiens avec les juges dans le cadre de l'affaire Karachi. Prochaine étape de l'affaire : l'éventuelle publication des délibérations du Conseil Constitutionnel. En 1995, les comptes de campagne de Balladur avaient été approuvés par le CC, malgré des débats houleux en interne, dont la retranscription est couverte par le secret jusqu'en 2020. Roland Dumas, ancien président du Conseil, s'est prononcé, dans une interview publiée par le quotidien Le Monde, pour la publication des débats entre les neuf sages du Conseil concernant les comptes de campagne de 1995, ce que refuse l'actuel président de l'institution, Jean-Louis Debré. A suivre donc.