Le Collectif pour l'éradication du travail des petites bonnes a mené une enquête auprès de 300 familles. 100% des employeurs engagent des fillettes de 8 à 15 ans. Le Collectif lance, ce mois-ci, une campagne et un plan de lobbying auprès des politiques. Trop, c'est trop ! Le Collectif pour l'éradication du travail des petites bonnes mobilise les acteurs de la société civile pour entamer une nouvelle étape de son combat, la plus décisive. Plus d'une année après sa création (7 février 2009), le Collectif estime nécessaire, à présent, de passer à la vitesse supérieure. En ce mois de novembre, il lance, en plus de son mémorandum, un plan de lobbying et une campagne de sensibilisation contre le travail des filles âgées de moins de 15 ans. «Nous constatons que le fléau s'amplifie de jour en jour. Des dizaines de milliers de fillettes travaillent comme petites bonnes dans des conditions inhumaines. Nous n'avons toujours pas de chiffre sur leur nombre exact. Mais, selon les statistiques de l'UNICEF datant de 2006, elles sont entre 66.000 et 88.000 », déclare Touria Bouabid, qui représente Amnesty international-Maroc, membre du Collectif. C'est pour dénoncer ce phénomène et légitimer sa volonté de «faire pression» que le Collectif a organisé, hier au siège de l'Association marocaine des droits humains (AMDH), une conférence de presse. «Nous exigeons des solutions ! Le Maroc d'aujourd'hui ne peut plus se permettre le mutisme sur ce phénomène, nous n'avons aucune excuse ! », s'exclame Touria Bouabid. Pour les membres du Collectif, réunissant 29 associations et réseaux de toutes les régions, il est toujours difficile de légitimer un tel phénomène. Une enquête réalisée par le collectif en mars 2010 et dont les résultats ont été rendus publics à cette occasion, le montre amplement. Menée auprès de 169 familles employeuses dans cinq régions (Rabat, Casablanca, Marrakech, Meknès et Ouarzazate), cette enquête indique que 100% des employeurs choisissent des filles entre 8 et 15 ans. 75% de ces employeurs connaissent l'âge légal de la scolarisation obligatoire et 67% n'ignorent pas les dispositions légales sur l'interdiction du travail des enfants de moins de 15 ans. Ni l'ignorance ni le manque d'instruction ne légitiment donc l'emploi de ces petites filles. L'enquête dévoile que 61% des employeurs ont même suivi des études supérieures et ont une parfaite connaissance des droits de l'enfant. Pis encore, 74% d'entre eux profitent d'une vie confortable leur permettant d'employer des adultes plutôt que des fillettes. «A l'origine de cette réalité, se trouve le manque d'infrastructures dédiées à la petite enfance. Si l'Etat proposait suffisamment de crèches, le problème n'aurait pas évolué à ce point. L'Etat est entièrement responsable», estime Mohamed Leghtas du Forum des alternatives Maroc (FMAS), membre également du Collectif. Côté familles qui emploient leurs filles, 130 d'entre elles ont fait l'objet de cette enquête. Les résultats sont sans surprises : 75% sont démunies et 83% analphabètes méconnaissant totalement les droits de leurs enfants. L'investigation montre aussi que 68% de ces familles ignorent les dispositions légales sur l'obligation de scolarisation des enfants jusqu'à l'âge de 15 ans et 76% ne savent pas que l'emploi des moins de 15 ans est interdit. Une ignorance qui coûte très cher aux fillettes. Le constat de l'étude est alarmant à ce propos. Il s'avère, en effet, que l'écrasante majorité des petites bonnes de moins de 15 ans, soit 79%, sont définitivement écartées du système scolaire. L'indigence des parents reste la première cause avec un taux de 43%. En seconde position, ce sont l'éloignement de l'école et le poids des traditions qui sont à l'origine avec respectivement un taux de 25 et de 32%. «Nous entamerons un plaidoyer auprès des groupes parlementaires, car il faut absolument adopter une loi spécifique afin de sauver ces fillettes. Si l'Etat avait activé l'obligation de la scolarisation jusqu'à l'âge de 15 ans, nous n'en serions pas là aujourd'hui ! », affirme Mohamed Leghtas. Le Collectif revendique donc un cadre juridique pour protéger cette catégorie. «Le code du travail stipule dans son article 4 qu'il ne couvre absolument pas le travail domestique. Le législateur s'est engagé à élaborer une loi spécifique. Mais depuis quatre ans, il n'y a rien», constate Khadija Ryadi, présidente de l'AMDH, membre du Collectif. Et de regretter que le projet de loi du gouvernement n'ait pas fait appel aux associations pour sa réalisation. «Nous avons des propositions que nous présenterons sous forme de projet de loi qui est, en ce moment, en phase de finalisation», annonce-t-elle. L'actuel projet de loi, résultat d'un travail effectué par le ministère du Développement social et celui de l'Emploi, ne répond pas aux attentes du Collectif. «Il est en dessous de nos attentes. Nous voudrions des sanctions claires et dissuasives et prévoir des mesures d'accompagnement, des structures de réinsertion, pour ces fillettes lorsqu'elles seront retirées de leur emploi. En ce moment, le Maroc ne dispose que de structures associatives qui manquent de moyens», rappelle ce membre du FMAS. Le Collectif se montre très préoccupé par le sort des fillettes face à la justice. Il revendique, pour cela, que la société civile joue pleinement son rôle en étant habilitée par la nouvelle loi à se constituer partie civile. «La police doit se soumettre à une formation pour accueillir et prendre en charge cette catégorie de victimes lorsqu'elles viennent aux commissariats», ajoute la représentante d'Amnesty international-Maroc. «Nous voulons tout simplement que justice soit rendue, que ces fillettes puissent jouir de leurs droits et de leur dignité», conclut Khadija Ryadi. Le Collectif nourrit un grand espoir, celui d'un Maroc sans petites bonnes. Le combat ne fait que commencer !