S'il se réclamait des modèles, Fouad Laroui désignerait sans doute, ainsi qu'il lui est arrivé de le laisser entendre « plutôt Voltaire, pour l'ironie et le sarcasme, et Diderot pour la liberté et le bonheur d'écrire ». Le petit Mehdi d' « Une Année chez les Français » (Julliard, 2010) est le héros d'un roman que Laroui a voulu un véritable festival de notions cocasses. Plus que la liberté de se moquer, l'enjeu consiste à rendre compte jusque de façon un peu excessive, des ébaudissements d'un petit garçon de Beni-Mellal, à la fin des années soixante, pour la manière de vivre en tant qu'interne du lycée Lyautey de Casablanca. Ce sont donc les discours et les pratiques de la vie lycéenne qui se trouvent observés comme on pourrait observer à la loupe les agissements d'abeilles dont le savoir serait le miel. De la taille d'une fève, Mehdi est un fort bon élève ce qui lui a valu une bourse d'études le transplantant, en compagnie de deux dindons (de la farce ?), dans le prestigieux lycée casablancais où règnent des enseignants français fort attachés à leur « way of life » et attelés avec bonhomie à leur mission pédagogique. Tous n'ont pas la même idéologie et tel se voit en éclaireur du petit Mehdi : « Sais-tu pourquoi tu es ici, un samedi après-midi, au lieu d'être chez toi ?-Non, je ne le sais pas. Je ne me suis même pas posé la question. (…) –Parce que tu es un pro-lé-tai-re !, lui assena-t-il d'une voix forte ». La différence de statut social entre les élèves et entre les gens, selon qu'ils servent ou sont servis, était l'un des thèmes d'un autre roman situé dans le même lycée, « Le Jour venu » (Seuil, 2006) de Driss C. Jaydane et qui se déroule quelques dix ans après l'entrée au lycée du petit Mehdi auquel Fouad Laroui prête sans doute les émotions qu'il connut lui-même. La « conscience politique » de Moulayouche, le héros de Jaydane, qui a seize ans, est plus souvent interpelée que celle du petit Mehdi. Une comparaison entre les deux romans serait d'ailleurs extrêmement riche d'enseignements. Il y a tout à fait lieu d'inviter à s'y livrer tel ou tel étudiant en lettres en quête d'un sujet de mémoire. La manière et les intentions de chacun des auteurs sont fort différentes et la prégnance du « modèle français » sur Mehdi et sur Moulayouche sans commune mesure, le petit Mehdi apparaissant, au fond, plus poreux que Moulayouche. Fouad Laroui, dans tous les cas, a mis dans « Une Année chez les Français » toute sa verve en mode play. Il joue en effet de toutes les ressources de la fantaisie narquoise et pratique, comme subrepticement mais non sans efficacité, une critique des comportements des adultes ou de la férocité des enfants là où Driss C. Jaydane s'attachait surtout à une critique de l'égoïsme des super-nantis. L'un des aspects d' « Une Année chez les Français » dont l'originalité me semble remarquable, c'est la façon qu'a Laroui de rendre compte de l'imprégnation éberluée d'un enfant par la pluie de savoirs que l'on déverse sur lui. Comme l'enfant est intelligent, il finira par nager sous cette pluie comme un poisson dans l'eau. Le Moulayouche de Driss C. Jaydane dans « Le Jour venu » n'était pas une éponge de cette sorte, juste un adolescent au bord de se poser quelques questions dérangeantes à propos des privilèges dont il avait l'habitude et d'arrogances qui lui étaient spontanées. On a ainsi la chance, avec « Une Année chez les Français » de disposer d'un récit tout à la fois franc et roublard sur l'entrée dans la vie lycéenne tandis que « Le jour venu » entreprenait de nous mettre face aux dénis qui peuvent présider à l'entrée dans la vie et à la résistance qui leur est -on non– opposée. Loin de l'évocation de ce lycée censé fabriquer une certaine élite, j'avoue avoir été encore plus impressionné, malgré les très grandes qualités du nouveau roman de Fouad Laroui comme de celui du premier livre de Driss C.Jaydane, par un texte assez court, mais remarquable, de l'écrivain arabophone Driss Khoury qui évoquait le Casablanca des Européens quand cet aîné de Laroui et Jaydane était encore fort jeune et demandait :« Qui sommes-nous pour ce monde blanc ? », dans un volume de textes et de photographies célébrant Casablanca (éd. Le Fennec, 1999). Cette question, le petit Mehdi d' »Une année chez les Français » y répond en excellent élève.