A peine le vif émoi qu'avait suscité la disparition du penseur et philosophe marocain feu Mohammed Abed Jabri s'est apaisé, le Maghreb et le monde arabe sont endeuillés par la disparition d'un autre grand penseur et philosophe, feu Mohammed Arkoun. slamologue de la première heure, Mohammed Arkoun s'est distingué par son parcours académique au sein de plusieurs universités prestigieuses et centres de recherche de renommée mondiale, son œuvre plurielle et innovatrice s'est fixé comme objectif méthodologique, la mobilisation de l'ensemble des savoirs et des outils des sciences humaines afin d'approcher le fait islamique, perçu comme étant à la fois une Révélation, une tradition théologique, une pratique juridico-politique, un patrimoine littéraire et une pensée philosophique. Cette œuvre s'est assigné comme finalité ultime de susciter la Renaissance de la pensée islamique relativement aux nouveaux défis que la modernité ne cesse d'imposer à l'esprit humain. Faisant le triste constat de l'écart qui continue de se creuser entre une apologie défensive de la tradition, réduite à une interprétation désuète du fait islamique et les nouvelles conquêtes de la modernité, Mohammed Arkoun s'est préoccupé dès les années 70 du siècle dernier de ce qu'il considérait comme étant une rupture dangereuse entre les grandes représentations idéologiques et mentales caractérisant le monde actuel et pouvant provoquer des affrontements violents. Les événements tragiques qui se sont succédé depuis, et dont le théâtre fut et demeure le monde arabe et islamique, ont confirmé davantage la conviction intellectuelle profonde de Mohammed Arkoun se rapportant au fait même que les pourfendeurs de la rationalité moderne et les chantres du repli identitaire, ne contribuent guère à poser ni à penser les problèmes fondamentaux des sociétés islamiques, sachant qu'ils récusent les moyens intellectuels leur permettant de mobiliser les ressources authentiques que l'Islam pourrait leur fournir afin de surmonter les difficultés auxquelles sont confrontées les sociétés arabes et islamiques. Dès lors, de par son parcours intellectuel, feu Mohammed Arkoun ne s'est pas contenté seulement de redonner à l'Islamologie et à l'étude de la pensée islamique ses lettres de noblesse académiques et de rigueur scientifique, du fait même qu'il fut profondément convaincu de la nécessité historique d'entamer une relecture scientifique de la tradition islamique à l'âge classique, pas uniquement dans un but d'élucidation du passé, mais essentiellement afin de contribuer à affranchir la pensée islamique contemporaine des schèmes et des paradigmes de la pensée médiévale et renouer avec la rationalité philosophique, comme étant une composante fondamentale de la tradition islamique. Ainsi, dès son essai sur l'humanisme arabe au 10e siècle, publié en 1970, Arkoun avait cheminé à travers une œuvre visant à cerner les différents aspects de la pensée islamique relatifs aux domaines religieux, théologique, éthique, politique et historique. Cet intérêt pour l'Islam d'hier représentait souvent l'occasion pour interroger l'Islam d'aujourd'hui, étudier l'impact de la religion sur la société et fonder une critique moderne de la raison islamique. L'apport de Mohammed Arkoun relativement au texte coranique, s'est manifesté à travers son souci méthodologique de s'interroger, en dehors de tout présupposé théologique hérité du passé, sur le statut cognitif de la révélation et les conditions de sa transmission, de son interprétation et de sa réception, ainsi que sur le rapport de la révélation à la vérité et à l'histoire. Selon Mohammed Arkoun, ces cinq questionnements majeurs représentent un point de départ pour repenser l'Islam et susciter de la sorte un Ijtihad en phase avec la modernité intellectuelle des temps actuels. Arkoun qui fut un grand intellectuel distingué par son engagement sans faille, fut aussi un homme de cœur, le Maroc était sa destination privilégiée, le destin a voulu que notre pays soit sa dernière demeure, et c'est avec esprit de fidélité et de reconaissance que nous saluons sa mémoire, qui de par son génie, demeurera vivante pour toujours. Adieu le maître et philosophe. abdallah belghiti alaoui