Elle a défendu Fatima, la petite bonne, dont la «patronne» vient d'être condamnée à une année de prison ferme en Première instance. Me Zahia Ammoumou, membre d'INSAF, explique au «Soir échos» les suites de cette affaire et les moyens de mettre un terme à la maltraitance des petites bonnes Le verdict est tombé lundi 30 août. La «patronne» ayant torturé la petite bonne de 12 ans a écopé d'un an de prison ferme assorti d'une amende de 500 dirhams et d'un dirham symbolique à la partie civile représentée par INSAF et l'AMDH. Que pensez-vous de cette sentence? Me Zahia Ammoumou: Une année de prison ferme est un bon résultat pour ce genre d'affaire. Cette peine est très importante dans la mesure où elle sert de leçon. C'est aussi une preuve qu'il y a une loi pour dissuader d'autres maltraitances quel qu'en soit le responsable. Pour nous, le principe est que justice a été rendue et cela va au-delà de la durée d'une peine de prison. La patronne de Fatima a été poursuivie et reconnue coupable selon les articles allant de 408 à 411 du Code pénal engageant sa responsabilité comme tutrice de la fillette. Mais, il est vrai que si nous avions une loi spécifique interdisant le travail des petites bonnes, la sentence aurait pu être différente, plus sévère, surtout, et d'autres personnes que la «patronne» auraient pu être poursuivies, dont le père, par exemple. INSAF a toujours milité pour qu'il y ait justement cette loi. Actuellement deux projets de loi aspirent à éliminer le travail domestique des enfants. Quelle évaluation faites-vous de la portée de ces deux projets de loi? A mon avis, il faut se mettre d'accord sur une seule et même loi. Avec deux lois en parallèle, on n'y arrivera jamais! Tout le monde doit trouver un compromis face à ce fléau dont l'ampleur augmente de jour en jour. Toutes les lois internationales interdisent le travail des enfants de moins de 15 ans. Les enfants ont tous droit à l'école, à l'éducation, au jeu qui a un rôle capital dans l'équilibre mental. Pour moi, il faut interdire le travail des enfants jusqu'à la majorité, 18 ans. Et le fait de vouloir pénaliser les parents reste très difficile. Avant de prévoir ce genre de sanction, il est nécessaire de s'assurer de l'existence d'une infrastructure adéquate à l'enfant (école de proximité dans les douars, espaces de jeux, loisirs). On a l'habitude d'imputer le travail des enfants à la pauvreté des parents, mais souvent ces derniers font de leurs nombreux enfants un investissement. L'affaire de Fatima connaîtra de nouveaux rebondissements avec l'appel que devra faire l'avocat de l'inculpée. Comment se présente la suite que pourrait avoir ce dossier? Un jugement en Première instance n'est jamais la fin d'un dossier puisqu'il y a l'appel et la cassation. L'avocat de l'inculpée fera appel. Il a toujours focalisé sa défense sur le fait qu'elle est mère de deux enfants en bas âge : 5 ans et un an qui ont besoin de sa présence. Nous, partie civile, nous ferons également appel et peut-être que le Parquet fera de même puisque le procureur a été le premier à déclencher l'affaire. Notre appel aura pour objectif de bloquer automatiquement la partie adverse. Nous essaierons même de défendre le droit de Fatima d'être placée dans une institution sociale, parce que nous avons constaté que son père est responsable de la maltraitance qu'elle a subi. Il a donné la main levée avant même de jeter un coup d'œil sur les blessures de sa fille. Il n'a pas la conscience d'un père et risque de la remettre dans un autre foyer pour y travailler comme petite bonne. Fatima a grand besoin d'un soutien psychologique. Notre demande de la confier à «Bayti» en première instance a été rejetée à trois reprises. Nous allons réitérer cette demande en appel. Fatima souffre énormément, elle a des blessures partout et surtout son appareil génital. Cela risque de lui poser des problèmes au moment où elle entame sa phase d'adolescence. Pour sa part, le parquet pourra demander l'augmentation de la peine de prison. Qu'adviendra de Fatima si votre demande est à nouveau rejetée ? Nous comptons sur INSAF pour déposer une demande auprès du juge des mineurs. Nous tenterons par tous les moyens possibles de permettre à Fatima de retrouver une vie normale mais pas dans son foyer. INSAF a rendu visite aux parents à Imintanout. Ils ont cinq filles qui ne vont pas à l'école. Ce qui les attend automatiquement, c'est le travail comme petites bonnes. Fatima et une sœur à elle ont été prises en charge au point de vue scolarité par INSAF. Si Fatima n'avait pas croisé en son chemin des personnes alertes qui ont contacté la police, elle serait devenue un enfant de la rue, une future mère célibataire. Personnellement, j'ai vu défiler dans la discrétion absolue énormément de dossiers de maltraitance dont ont été victimes des petites bonnes. Souvent, ces cas passent sous silence parce que le père ne pense pas à engager des poursuites. C'est d'ailleurs le cas pour le père de Fatima. Pour lui, ce que sa fille a subi, relève du normal, une punition qu'aurait pu infliger tout tuteur à l'enfant dont il est responsable. C'est pour cela qu'il nous faut une loi claire et sensibiliser le grand public. Car, pour le moment, notre loi ne protège pas encore les mineurs. Et pour que cette situation change, il nous faut une vraie volonté.