Derrière la galette de pain basique que l'on achète à 1,2 DH dans les boulangeries et les épiceries, se cache une filière industrielle et commerciale gigantesque. Importateurs de céréales, stockistes, minotiers, distributeurs, grossistes… Des corps de métiers très compliqués avec des opérateurs très effrités et bien des magouilles interminables qui persistent depuis des décennies. Dans un secteur aussi étroitement lié à la sécurité alimentaire des citoyens, l'intervention de l'Etat est inévitable. Le ministère de l'Agriculture et l'Office national des céréales et légumineuses (ONICL) sont ceux qui autorisent les opérateurs à exercer, fixent les quotas d'importation, modifient les droits de douane, régulent les prix et contrôlent, tant bien que mal les fraudes. Le débat autour du marché des céréales est remonté à la surface au cours des deux derniers mois. Et pour cause, la flambée inédite des cours du blé à l'échelle mondiale, à tel point que des experts internationaux craignent le déclenchement d'une crise alimentaire d'envergure mondiale. Actuellement les cours de blé atteignent des niveaux records. Ces niveaux rappellent ceux atteints en 2008, et qui avaient causé des émeutes sociales incontrôlables dans plusieurs régions du monde. Le Maroc n'est pas épargné par cette crise. Depuis le début du mois d'août, les minotiers achetaient le blé tendre à 300 DH le quintal auprès des stockistes et importateurs. Ces derniers précisent que l'achat d'un quintal de blé sur le marché international leur revenait à 285 DH, soit 15 DH de plus que le prix de vente aux minotiers, fixés par l'Etat (260 DH). Avec un prix aussi élevé et des droits de douane toujours en vigueur même dans un contexte mondial défavorable, les importateurs marocains n'ont pratiquement pas acheté de blé durant toute la période de l'Etat. «Vous voulez que l'on aille en prison. Je ne peux pas vendre le quintal à plus de 300 DH alors que l'Etat fixe son prix à 260 DH», ironise un importateur. Les demandes de libéralisation de l'import faisaient légion, mais le gouvernement a maintenu la barrière à l'entrée des céréales étrangères. D'ailleurs, des opérateurs de la place n'hésitent pas à pointer du doigt le ministère de l'Agriculture en indiquant qu'il leur a fait perdre une occasion d'acheter les céréales moins cher sur le marché international. La décision de suspendre les droits d'importation, prise au début de cette semaine, est considérée trop tardive par les importateurs marocains. Elle intervient dans une période où les prix sont les plus élevés sur les marché mondiaux. «L'ouverture des frontières et la commande marocaine est annoncée simultanément avec une série d'autres commandes émises par des grands pays de la région tels que l'Egypte, la Libye où la Tunisie. Un tel rush arrange les affaires des pays producteurs qui profitent de l'occasion pour relaver les prix», explique un importateur de céréales. Face à cette situation certains opérateurs n'hésitent pas à pointer du doigt le ministère. Selon eux, le retard de la décision de suspendre les droits de douane, notamment cette année, fait perdre à l'Etat des sommes colossales. En effet, l'importation de céréales à prix élevé augmentera le coût de revient du quintal de blé tendre à des niveaux bien plus élevés que le prix de vente aux minotiers. L'Etat sera donc obligé de subventionner les importateurs pour maintenir les prix aux niveaux régulés et stabiliser le prix de la galette de pain. «Nous savons très bien que les cours mondiaux de céréales sont à leurs niveaux les plus bas durant les mois de juin et juillet. Mais nous ne pouvons pas baisser les droits de douane durant cette période qui coïncide avec la mise sur le marché de la récolte nationale de céréales. Nous devons favoriser l'achat des céréales locales par les stockistes», explique Abdelali Aziz, directeur général de l'ONICL. Ce dernier reconnaît que l'Etat est disposé à intervenir pour soutenir les prix quand il le faut. «La régulation se fait à travers la fixation d'une fourchette de prix de vente aux minotiers. L'intervention de l'Etat se fera en fonction de la variation des prix au sein de cette intervalle», explique Abdelali Aziz. L'équation est claire. Si les droits de douane sont suspendus au moment où la récolte locale est prête les agriculteurs risquent de ne pas trouver preneurs pour leurs produits. Le coût des céréales locales étant largement plus élevé de celles issues de l'importation. Rien que cette année, les stockistes ont reçu des directives pour racheter les céréales locales à 280 DH, soit 20 DH de plus que le prix de vente aux minotiers. La différence sera versée par l'Etat sous forme de subvention. Tout cela pour favoriser le ramassage du blé local par les stockistes et ne pas le laisser dans les greniers des agriculteurs. «Cela nous arrange que les stockistes mélangent le blé local avec celui de l'import afin d'arriver à une produit homogène», note le DG de l'ONICL. Néanmoins, stockistes et importateurs estiment que la récolte locale est loin d'être suffisante pour satisfaire les besoins du marché, même durant la période de l'été où les droits de douane sont élevés. D'ailleurs, bon nombre d'opérateurs contestent les annonces d'estimations de récoltes qui parlent d'une production de 80 millions d'hectares. «Comment ce chiffre peut être vrai, alors que déjà en juillet on n'arrivait pas à trouver du blé tendre ?», nous confie un stockistes de blé. D'ailleurs, certains opérateurs estiment que la plafond d'importation fixé à 12 millions de quintaux finira par être dépassé et le ministère sera obligé d'augmenter le plafond de sa commande. «C'est complètement faux et je suis très bien placé pour le dire. J'ai une visibilité parfaite sur l'état du ramassage des céréales dans l'ensemble de nos délégations régionales. Jusqu'à maintenant nous avons déjà totalisé 14 millions de quintaux de blé tendre. Cette quantité est en mesure de combler les besoins du marché», explique le DG de l'ONICL. Et d'ajouter, «nous avons entendu les mêmes critiques l'année dernière, où il y avait une récolte record. Certains avaient même parlé d'une pénurie alarmante de blé. Mais les quantités ont couvert les besoins jusqu'en décembre». En plus du débat autour de la quantité à importer, les importateurs de blé estiment que le retard de suspension des droits de douane ne leur permet aucune visibilité pour pouvoir gérer correctement leurs commandes à l'international. «Même si nous arrivons à une arrangement avec nos fournisseurs, il est très important pour nous de planifier les arrivages de blé», précise un importateur de blé. «Pour pallier ce problème, nous avons avancé la date de la suspension des droits de douane sur le blé. De toutes façons, les importateurs sont en mesure de prévoir la période de suspension des droits douane à travers les signaux du marché. Ils peuvent donc s'activer plus tôt pour acheter à de meilleures conditions», explique Abdelali Aziz. En effet, la majorité des importateurs étaient certains que la suspension des droits de douane n'était qu'une question de temps, plusieurs semaines avant l'annonce faite au début de cette semaines. Néanmoins, personne ne pouvait prédire la date exacte où la décision allait tomber. En critiquant les décisions du ministère et de l'ONICL, certains opérateurs du secteur des céréales veulent se montrer en positions de faiblesse. Mais ce n'est un secret pour personne, que leur activité est entachée par la fraude. C'est principalement autour de la farine subventionnée que se trament ces actes frauduleux. «Rares sont les minotiers qui respectent le quota de farine nationale qui leur est fixé par l'Etat. La corruption est monnaie courante entre les minotiers et les grossistes. Ces derniers acceptent des arrangements de prix en contrepartie d'attester que le minotiers respectent les règles de commercialisation qui lui sont imposées», précise un minotier qui requiert l'anonymat. Le montant de l'arrangement serait aux alentours de 15 centimes le kilo de farine, selon nos sources, pour attester du respect des quantités de farine nationale subventionnées à produire. Difficile pour les dirigeants de nier l'existence de la fraude. «Tout ce que je peux garantir, c'est que l'Office fait son travail de contrôle. Tous les quinze jours les vérificateurs font des descentes, même inopinées, chez les minotiers et les grossistes. Si les quantités disponibles dans les stocks ne correspondent pas aux déclarations des mesures sévères sont aussitôt prises», explique le DG de l'ONICL. «De toute façon, l'Etat a réduit cette année de 500.000 quintaux, la quantité de farine nationale à produire», poursuit-il. D'ailleurs, cela fait plusieurs années que le débat autour de la suppression de la subvention du blé tendre est à l'ordre du jour. Des opérateurs estiment qu'en subventionnant la farine l'Etat soutient non seulement le prix du pain, mais également celui de la viennoiserie et des pains de luxe, loin d'être des produits de première nécessité. «Ce qui est sûr, c'est que la réflexion est sérieusement engagée au niveau du gouvernement pour revoir le système de subvention. Il suffit de trouver la bonne formule et le bon timing pour annoncer la réforme de ce système», conclut le DG de l'ONICL. Etat du marché des céréales et des légumineuses Situation au 30 juin 2010 (campagne 2010/2011) Collecte Céréales : 8.90 MQx dont blé tendre : 8.86 MQx Légumineuses : 4.4 mille qx Importations Céréales (maïs et orge): 1.50 MQx Disponibilités déclarées Céréales: 18.36 MQx dont blé tendre : 14.41 MQx Légumineuses : 337 mille qx Transformation Céréales : 4.4 MQx dont blé tendre : 3.8 MQx