Comment êtes-vous venu au cinéma? J'y suis arrivé grâce à la force évocatrice d'une image. Pour l'anniversaire de mes neuf ans, l'un de mes oncles m'a emmené voir un film bollywoodien, à Abéché, ma ville natale, au Tchad : j'ai été saisi par un gros plan, l'actrice d'une rare beauté fixait la caméra et souriait, j'ai eu l'impression que c'était à moi adressait ce large sourire… Puis, adolescent, j'ai su que je voulais me consacrer à la création cinématographique. J'ai ensuite suivi une école de cinéma à Paris, le conservatoire du cinéma, nous étions en 1983. Conscient, que je ne parviendrai pas à en vivre à mes débuts, je me suis alors tourné vers le journalisme, que j'ai exercé durant cinq ans. Un court-métrage, «Expectations» (2008) et un documentaire, «Kalala» (2005), ont suivi. Comment est née l'idée de «Un homme qui crie »? Il a germé à mon esprit, suite à l'entrée des rebelles en 2006 à N'Djaména, alors que je tournais « Daratt », mon précédent long-métrage. L'ensemble de l'équipe a vécu recluse dans un appartement, à la fois victime et tétanisée par la guerre. A ce moment, j'ai pris conscience que nous pouvions perdre notre destin à tout moment et perdre totalement pied. Nous ne savions ou donner de la tête, devions-nous partir ou rester? Voilà pourquoi, j'ai eu envie de parler de ceux confrontés à cette situation particulière. Que vous a inspiré le Prix du Jury qui a récompensé votre film lors du dernier Festival de Cannes? J'en suis très heureux pour le Tchad et l'Afrique. La création artistique propre au continent manque de visibilité , du coup, les autorités tchadiennes y ont manifestement été sensibles, prenant conscience de l'importance du septième art, puisqu'elles sont actuellement en train de procéder à la réfection du cinéma, le Normandie, où je pourrai présenter «Un homme qui crie» en avant-première en octobre prochain! C'est un geste fort lorsque l'on sait que nos salles disparaissent les unes après les autres. Un fond de soutien à la création cinématographique devrait voir le jour et l'actuel président du Tchad, m'a en plus demandé de travailler à la création d'un centre de formation des métiers de l'audiovisuel ce qui démontre que nul n'est prophète en son pays et que la reconnaissance internationale est positive. Vous évoquez dans « Un homme qui crie » le continent noir de façon métaphorique, déclarant: « ceux que l'on considère en Afrique comme « des pères »- les dirigeants politiques - n'hésitent pas à sacrifier « leurs enfants », leur peuple… Cela incarne l'une des tragédies modernes: en cinquante ans d'indépendances, la situation de certains pays a empiré. C'est le résultat d'une politique de la terre brûlée, nos populations pensent que l'avenir est ailleurs à cause de cette triste réalité. Ce film s'attache également à évoquer la perte du statut social et de l'identité… Il s'agit là, de la plus grande victoire du capitalisme, selon laquelle, un être humain n'a d'existence que par son travail alors qu'un emploi peut aussi être une pénitence. Aujourd'hui, la statut social est la valeur cardinale, les gens se déplacent à cause de leur travail, l'identité sociale et l'identité tout court se confondent…