Kenza Homman Loudiyi et Abdellah El Ghazouani viennent d'écrire un livre sur l'histoire récente du Maroc. Il s'intitule «1956. Ombres et Lumière». Un retour sur une phase essentielle dans le façonnement du Maroc actuel. Le livre commence avec l'intronisation de Mohammed V et se termine avec son règne. «1956. Ombres et Lumière», nous ont confié les auteurs, sera suivi d'un autre livre sur les années soixante au Maroc. Entretien «On n'a pas voulu suivre un ordre chronologique. Notre souci était d'intégrer le lecteur de 2010 dans l'histoire du Maroc». Selon vous le Maroc moderne commence avec la défaite d'Isly, qui n'a pas déclenché une modernisation du Maroc. Bien au contraire, elle a enfoncé le pays dans l'instabilité politique qui a donné par la suite le protectorat et la division du Maroc? Kenza Homman Loudiyi et Abdellah El Ghazouani : Comme dit Abdellah Laroui, «notre histoire est mal connue». Pour essayer de pénétrer réellement l'histoire moderne du Maroc, il nous est paru essentiel que cette histoire commence avec la bataille d'Isly. Depuis cette défaite, le Maroc, à ce jour, n'a jamais livré bataille. Pour nous, la modernité au Maroc est née en 1844, comme pour l'Egypte. La modernité dans ce pays date de l'expédition de Napoléon. C'est du choc civilisationnel qu'est née la modernité. De même en Europe, le monde moderne est né avec la renaissance en Italie, puis dans les autres pays d'Europe. Le progrès scientifique de l'Europe s'est traduit par une modernisation des armées. La bataille d'Isly a révélé le fossé séparant le Maroc de l'Europe. La civilisation chez nous s'est arrêtée aux sciences naturelles, alors que pour eux, elle avait atteint les sciences physiques. La défaite d'Isly a eu comme conséquence, l'envoi par les souverains marocains de délégation à l'étranger pour accéder à la modernité. Quelle est la démarche que vous avez suivie pour le traitement des événements historiques? On n'a pas voulu suivre l'ordre chronologique des événements. Notre souci était comment faire intégrer le lecteur de 2010 à l'histoire du Maroc. Nous n'avons pas adopté une lecture linéaire des événements. Notre lecture diffère de celle prônée dans les manuels scolaires de l'«Education nationale». Notre livre n'est pas pour les spécialistes. En l'écrivant, notre souci était comment faire intégrer le lecteur de 2010 à l'histoire du Maroc. Le livre commence par l'intronisation de Mohammed V pour passer ensuite au protectorat qui est le triomphe de l'Autre sur nous. Les négociations avec la France abondent en dates importantes, mais on ne constate aucune analyse de ces négociations et ses conséquences sur la suite des événements au Maroc. Pourquoi ce choix? En optant pour ce choix, nous n'avons pas voulu tomber dans les travers des livres écrits par d'autres personnes sur les négociations secrètes entre la France et le Maroc. Nous avons volontairement opté pour ce choix pour ne pas gêner le lecteur. Dans cette affaire, nous disons qu'il y a des réalistes et des idéalistes. Les premiers considéraient que la France était toujours présente et c'est pareil pour l'Espagne. Spectre d'Isly oblige. Quant aux autres, ils croyaient que le Maghreb devrait être indépendant dans sa totalité. La Tunisie a signé la première, le traité de son autonomie interne. Que faire alors? Il fallait faire un choix, celui de l'indépendance du Maroc. Un choix qui ne nous empêchait pas de continuer à aider la résistance algérienne à nos risques et périls. Vous avez publié «Al Andalous, ombres et lumière» aux éditions Afrique-Orient, quel accueil a été réservé à votre premier livre? C'est un succès d'estime, bien que nous n'ayons pas de chiffres de ventes exacts fournis par l'éditeur. C'est ce qui vous a incité à publier votre second livre à compte d'auteur? Au début, ce n'était pas notre intention. Nous avons remis le manuscrit à l'éditeur le 25 janvier 2010. Il ne nous a pas donné de réponse. Et comme le sujet nous tient à cœur, nous avons décidé de le publier à compte d'auteur. Quelle est la valeur ajoutée de votre livre ? Lève-t-il le voile réellement sur des zones d'ombre de notre histoire? Il s'avère que nous ignorons notre histoire. Et c'est l'objectif de ce livre destiné, d'ailleurs, au grand public. Lever les ombres de notre histoire n'est pas une sinécure. On nous a refusé l'accès aux archives de l'Instance Equité et Réconciliation. De même que le consulat français a refusé de nous accorder le visa pour consulter les archives à Nantes et Paris sur le protectorat français au Maroc.