Abdellatif Maâzouz, Ministre du Commerce extérieur Les Echos quotidien : Le statut avancé donne lieu à plusieurs analyses et commentaires qui mettent en garde contre les désavantages pour l'entreprise marocaine, qu'en est-il réellement ? Abdellatif Maâzouz : Les entreprises doivent être conscientes de l'opportunité, parce que c'en est une, qui se présente à elles avec le statut avancé. Il s'agit notamment de l'accessibilité à un marché très prometteur, mais aussi très exigeant. A charge pour elles de s'aligner sur les exigences de ce marché et d'être, donc, compétitives et efficaces. Pour ce qui est du fait que les entreprises étrangères soient privilégiées par rapport aux mesures fiscales ou autres, c'est une idée fausse. Il existe des règles nationales qui veulent qu'un opérateur étranger qui vient s'installer au Maroc bénéficie des mêmes conditions que l'opérateur marocain et vice-versa. Depuis quelque temps, toute l'attention est portée sur l'Afrique. Une caravane de l'export a d'ailleurs été menée par vos départements pour sillonner certains pays. Où en est la «vision africaine» des exportations marocaines ? La preuve la plus éloquente est l'organisation d'une deuxième édition de la caravane de l'export. Celle-ci doit s'étaler du 16 au 22 mai prochains. Cette caravane constitue une étape d'une série d'actions engagées par le Maroc et ciblant les pays africains avec lesquels nous développons des partenariats. La première caravane a intéressé des pays dépendants de l'UEMOA, cette seconde étape vise, elle, des pays membres de la Commission de la communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC). Concrètement, est-ce que ces caravanes suffisent à faire avancer le partenariat maroco-africain ? Le premier tracé du renforcement des relations maroco-africaines a déjà été fait depuis la visite royale aux pays africains. C'est une preuve incontestable de la volonté du Maroc de développer des relations politiques avec ces pays. Sur le plan économique, le Maroc a élaboré une proposition de projet d'accord préférentiel en matière commerciale qu'il a déjà déposée auprès du secrétariat de l'UEMOA. Pour ce qui est de la CEMAC, un premier avant-projet a été conçu et devrait faire l'objet d'étude avec les partenaires de ce groupement lors de notre prochaine caravane de l'export. Mais quels sont les axes de développement envisagés ? Qu'est-ce que le Maroc a à offrir à ces pays ? L'Afrique constitue une niche des plus intéressantes pour le Maroc que ce soit en termes d'investissements ou de commerce. Sur le premier volet, notre offre exportable vers l'Afrique s'articulera autour des produits alimentaires, les produits de soin, le matériel de construction, l'électricité, l'ingénierie, le bâtiment et les technologies de l'information. Concernant l'investissement, la présence de certaines structures marocaines dans les pays africains permettra de baliser le terrain pour nos entreprises, le plus important étant la présence des banques marocaines et des assurances en Afrique. Un élément rassurant pour les investisseurs marocains qui auront pour interlocuteurs et conseillers des banques et des assureurs marocains qui connaissent à la fois les besoins du partenaire marocain et de son homologue «africain». Par rapport au Maghreb, comment se présente le panorama en termes d'échanges ? Je pense que nous sommes encore très loin d'exploiter correctement les potentialités qu'offre le Maghreb économique en matière commerciale. Les opportunités sont énormes et les éléments de complémentarité aussi, mais pas suffisamment mises en œuvre. Il y a un forum de chefs d'entreprise maghrébins qui se tient le 10 mai à Tunis. J'espère qu'il en sortira des signaux positifs pour le développement des relations commerciales maghrébines. Certains analystes mettent le doigt sur les relations Maroc-Algérie comme étant des inhibiteurs au développement des relations commerciales maghrébines, même pour les autres pays voisins... Le Maghreb est un corps et l'Algérie en fait partie. C'est comme un membre qui ne remplit plus sa fonction pour dérégler de fait tout le fonctionnement de ce corps. L'Algérie en fermant ses frontières avec le Maroc a voté pour le non- Maghreb. C'est son choix. Mais on ne peut escompter un rendement plein de ce tissu maghrébin sans régler, au préalable, le problème du Maroc avec l'Algérie... Il faut que nos amis algériens fassent la part des choses. Il faut laisser l‘économique se développer au-delà du politique, pour profiter à la population. L'ouverture d'un marché maghrébin rendra toute la région plus attrayante dans sa globalité pour les investissements, qu'ils soient maghrébins ou même venant d'ailleurs. En ce sens que nous serons dans un marché soudé par une certaine complémentarité dans lequel circuleront librement produits, services, personnes, capitaux... Tout cela est une nécessité pour développer le Maghreb. Et qui sait, peut-être bien que le politique pourra être réglé par l'économique ! Ce positionnement nécessite une certaine intelligence de la part de tous les partenaires et plus particulièrement de nos frères algériens. Parallèlement, différentes critiques ont été formulées quant aux ajustements à faire par le Maroc par rapport à ses accords de libre- échange avec d'autres pays... Il y a en effet des lacunes au niveau des accords de libre- échange. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que ce type d'accords n'est pas définitif. Il y aura toujours des ajustements à faire ; et c'est là qu'apparaît le rôle des entreprises. Celles-ci sont censées être le diapason de ces failles et remonter l'information, justificatifs en main, chaque fois qu'un obstacle s'oppose à eux. Par ailleurs, des commissions mixtes sont tenues périodiquement pour étudier les réglages à opérer en vue d'en bénéficier au maximum. Le dernier exemple en date, la commission mixte Maroc-USA lors de laquelle nous avons notamment fait le point sur le volet relatif aux exportations des produits agricoles (plus particulièrement la tomate de la région du Souss). Comment se portent nos exportations après la crise ? Si je raisonne en chiffres dans l'absolu, nos exportations sont en progression. Le premier trimestre 2010, comparé à la même période de l'année 2009, nous notons une évolution de «+7%». Il est cependant important de ne pas cacher la forêt par un arbre, nos exportations nationales ont progressé essentiellement à la faveur de la forte progression des phosphates. Hors ces derniers, nous en sommes à une quasi-stabilité par rapport à 2009 qui elle-même n'est pas une bonne année. Pour entrer un peu plus dans le détail, on peut dire qu'il y a certains éléments de satisfaction. Je parle du fait que le Maroc est en train de développer ses exportations sur des secteurs qui sont nouveaux. Dans ce contexte, l'automobile progresse. C'est le cas de l'offshoring, du tourisme et de l'électronique aussi. Quels sont donc les volets «inquiétants» ? Il y a lieu de s'inquiéter par rapport au textile qui régresse et l'agroalimentaire qui n'évolue pas comme il le faudrait. Pour ce qui est de l'agriculture, il y a l'effet climat qui a joué en défaveur de la production et par là même contre les exportations. Par contre, pour le textile c'est une problématique qui est liée au marché mais qui est également liée à notre production et à notre offre exportable. Quelles sont les solutions proposées ? Une batterie de mesures est en marche pour combler ces lacunes. Nous tenons des réunions régulières avec les fédérations concernées pour déceler les causes de cette régression, qu'il s'agisse des relations maroco-marocaines ou extérieures. Certains problèmes ont déjà été pointés du doigt et nous sommes en train de travailler dessus pour opérer les ajustements nécessaires avec les associations professionnelles de manière directe. Sans transition, où en est l'offre artisanale exportable ? Il s'agit d'une stratégie de développement de l'artisanat au niveau national et à l'international qui est gérée par le ministère du Tourisme et de l'artisanat. La maison de l'artisan s'occupe directement de ce volet. Cette institution dispose de budgets et de moyens suffisamment importants pour accomplir sa mission. Elle accapare à elle seule près de 50% du budget de promotion des exportations nationales, tous secteurs confondus. Il y a 400 millions de DH de budget à Maroc Export pour promouvoir les exportations. L'artisanat, par le biais de la maison de l'artisan, dispose de 200 millions de DH. Ce qui est en soi très important à souligner pour la promotion des exportations à l'international. La promotion des exportations est très critiquée. Qu'est-ce qui se fait pour en améliorer l'efficacité ? Il y a deux ou trois ans, les opérateurs disaient que la promotion des exportations n'avait pas le soutien dont elle avait besoin. Aujourd'hui, il y a des encouragements, des structures entières et des budgets qui ont été mobilisés pour doper les exportations. On a aussi renforcé les capacités humaines et logistiques pour cela. Ce qui constitue une base appréciable pour doper les transactions à l'export. Est-ce que vous en ressentez l'effet sur l'offre exportable nationale ? L'offre exportable est amenée à progresser et à évoluer petit à petit, mais on est dans une phase de transition qui, malheureusement, a coïncidé avec une conjoncture marquée par une crise mondiale. Du coup, le réel effet chiffre ne se voit pas encore. Je dirai même que le marché marocain est en train d'opérer un certain effet d'éviction sur les exportations. Le marché national est attrayant pour l'artisanat et même pour d'autres secteurs, donc à la limite l'entreprise préfère traiter uniquement sur le réseau interne. C'est d'ailleurs pour cela que les entreprises préfèrent qu'on protège leurs produits. Mais, il y a des limites que sont les perspectives de croissance. Il faut donc tout de suite que l'entreprise raisonne marché mondial. Justement, par rapport à ce volet, l'on parle de plus en plus de mesures de sauvegarde et certains professionnels s'élèvent pour en demander l'application. Qu'en est-il ? Cela est vrai, mais les mesures de sauvegarde ne sont pas un droit qu'on accorde automatiquement. Leur définition est claire et la réglementation qui les régit également. Nous n'accorderons de mesures de sauvegarde que si l'économie nationale est menacée par le flux entrant des produits étrangers. De plus, même au niveau international, nous sommes surveillés sur ce point par l'OMC. Ces mesures ne sont pas un joker qu'on brandit chaque fois que la concurrence se fait rude. Il existe d'autres mesures similaires... Il y a les mesures complémentaires aussi et l'antidumping. D'ailleurs, pour réglementer tous ces aspects et lever toute équivoque chez les professionnels, nous avons soumis une loi au secrétariat général du gouvernement et attendons sa validation.