Un milliard de dirhams, c'est à peu près ce que coûtera le développement de la filière des productions biologiques, dans la prochaine décennie. La somme est loin d'être négligeable, et reflète bien la grande révolution «verte» qui vient de s'emparer de la production agricole du royaume. En effet, s'il fallait bien désigner une filière star lors du dernier Salon international de l'agriculture au Maroc, celle du «bio» aurait été l'une des mieux placées pour remporter la palme. Le gouvernement vient de franchir le pas et veut résolument développer des productions végétale et animale «propres», sans impacts nocifs sur la santé environnementale et humaine. Cette orientation s'inscrit en contradiction parfaite avec la logique qui prévaut dans la plupart des grands pays agricoles, et qui veut qu'une production performante ne puisse se réaliser qu'avec l'apport de fertilisants chimiques ou l'usage intensif de pesticides. Joignant le geste à la parole, Aziz Akhannouch, ministre de l'Agriculture de la pêche maritime a invité, lors du dernier SIAM, les professionnels opérant sur la filière du bio à le rejoindre à la table des signatures. Ces opérateurs, regroupés au sein de l'Association marocaine de la filière des productions biologiques (Amabio), ont ainsi conclu avec l'Etat un contrat-programme 2011-2020, dont la portée globale est, bien sûr, l'accélération de la production sur cette même échéance. Pour le détail, il s'agira en effet d'augmenter considérablement la productivité de la filière biologique, mais aussi la compétitivité des produits bio nationaux sur les marchés, local et étranger. Tout cela devrait, de fait, passer par le développement de la composante recherche & développement et le transfert de savoir-faire technologique au profit des producteurs marocains. De plus, ce contrat-programme permettra d'apporter un grand coup de neuf aux conditions cadres de la filière du bio. Par ailleurs, des efforts seront aussi déployés par la tutelle et Amabio pour améliorer la valorisation, la commercialisation et la promotion des produits bio. Ce dernier axe devrait, in fine, contribuer à coup sûr à l'appui au développement des exportations. «Nous nous sommes pendant longtemps sentis mis à l'écart du processus de réalisation du PMV. Mais je pense que ces nouveaux acquis devraient nous donner les moyens de produire dans de meilleures conditions», commente ce bio-agriculteur, installé dans la région d'Agadir. Renforcement À terme, c'est un total de 400.000 hectares en superficie globale cultivée en bio qui est visé sur les dix prochaines années. «À cela devrait s'ajouter également une superficie constante (ou plantation sauvage, ndlr) d'environ 600.000 hectares, dont 400.000 ha de forêts d'arganier et 200.000 ha de plantes aromatiques et médicinales, de cactus et d'autres plantes spontanées», complète-t-on auprès du département d'Akhannouch. Le règne végétal ne sera pas toutefois le seul à bénéficier de ce contrat-programme. En effet, la tutelle souhaite aussi donner le même coup de pouce - ou presque - à la production biologique d'origine animale. Cette dernière devrait atteindre près de 8.460 tonnes, dont 5.000 t de viandes blanches, 875 t de viandes rouges, 2.000 t d'œufs, 500 t de miel et 85 t de produits laitiers. En termes de création d'emplois, c'est un potentiel de 35.000 nouveaux postes qui devraient naître de la mise en œuvre de ce programme de développement. Un enchevêtrement de chiffres bien ambitieux, mais qui ne donne pas clairement de réponse, pour l'instant, à une interrogation qui taraude l'esprit des producteurs spécialisés dans le domaine, celle de la rentabilité. Rentabilité relative Ce n'est certes pas maintenant que les experts cherchent à définir le degré de rentabilité de ce type d'activité agricole. Plusieurs études, au Maroc comme à l'étranger, ont déjà étét menées à ce propos. Il en résulte globalement que «dans l'état actuel des choses, les cultures biologiques sont relativement plus rentables que les cultures conventionnelles», comme l'affirment le Dr. Lahcen Kenny et le Dr. Abelhak Hanafi, chercheurs au complexe horticole d'Agadir, dans les conclusions d'une étude conjointe menée sur la filière. En effet, la relativité de cette rentabilité est due surtout au fait qu'elle dépend des spéculations, des niveaux de rendements à l'hectare, ainsi que des circuits de commercialisation empruntés. «Pour certains produits, le marché est, paraît-il, déjà saturé. C'est le cas par exemple de la carotte et des cultures faciles. Pour d'autres, le rendement à l'hectare est déterminant», expliquent ces chercheurs. Pour l'heure, huit grandes régions sont principalement concernées par la production biologique. La plus grande partie de la surface cultivée est partagée entre Rabat, Azzemour, Fès, Taza, Béni Mellal, Marrakech, Agadir et Taroudant. Il y a donc beaucoup à faire...et à cultiver «bio». Le vide juridique sera comblé Quelques rares supports ont pu faire le lien. La signature de ce contrat-programme, lors du dernier SIAM, intervient juste après que le gouvernement ait lancé un projet de loi concernant la filière du bio. Il s'agit des premières moutures de la loi 29-10, adoptée récemment au Conseil de gouvernement. Ce texte traite de l'organisation juridique de l'ensemble de la filière de production biologique de denrées agricoles et aquatiques. La 29-10 devrait ainsi dans les mois à venir combler un vide juridique décrié depuis le début de la dernière décennie par les opérateurs et les experts du secteur. Toutefois, si le gouvernement a subitement décidé d'aller vers les choses sérieuses, c'est sans nul doute en réaction à une source de pression devenue insoutenable, l'Union européenne. Il se trouve en effet que plus de la moitié des exportations marocaines actuelles en produits bio, vont vers les marchés des pays du Vieux continent. Ces derniers, c'est bien connu, ont développé au fil des années un arsenal très fourni de normes et barrières techniques, aux allures de protectionnisme déguisé. Résultat : il est devenu de plus en plus dur pour les exportateurs marocains de placer leurs produits sur ces marchés. Pour preuve, seule une part de 25% des productions déclarées biologiques sont actuellement exportées. La loi 29-10 devrait ainsi donner une meilleure image au «bio» marocain.