Les Echos quotidien : Le maire de Casablanca, Mohamed Sajid, a annoncé ces derniers jours le lancement d'une nouvelle révision du contrat de gestion déléguée en 2011. Peut-on considérer qu'il a fini par céder à la pression de la rue ? Jean-Pierre Ermenault : En tout cas, nous accueillons très favorablement cette décision, parce qu'une révision est une étape nécessaire et constructive dans la vie d'un contrat de gestion déléguée. Je rappelle que l'avenant signé en mai 2009 prévoyait une révision en 2012 et il est naturel que les partenaires respectent les échéances contractuelles. C'est notre position. Par ailleurs, notre environnement change beaucoup, l'urbanisation se développe très fortement, les plans d'aménagement évoluent... et cela a une incidence directe sur nos schémas directeurs, ainsi que sur nos programmes d'investissements. Il s'avère aujourd'hui nécessaire et urgent de rééxaminer certaines dispositions prises lors de la première révision, commencée en 2006 et qui s'est terminée trois ans après, parce qu'elles reposent sur des programmes d'investissements établis avant 2006 qui sont actuellement dépassés. Entre temps, de nombreuses opérations majeures ont été décidées telles que la création d'une Ville verte à Bouskoura et Lahraouyine, d'une Ville nouvelle à Zenata et Mansouria et l'extension de Madinat Errhama et Dar Bouazza. Entre temps aussi, nous avons constaté que les effets des changements climatiques sont de plus en plus visibles avec un impact certain sur nos métiers. Les phénomènes pluvieux, d'une intensité exceptionnelle, se sont reproduits plusieurs fois en une année. Ils nous imposent de prendre en compte cette nouvelle donne dans les hypothèses de calcul des réseaux, ce qui générera des investissements plus importants. Justement, à propos de la gestion des intempéries de fin novembre dernier et avec du recul, que répondez-vous aux critiques ? Nous y répondons de façon très factuelle en nous appuyant sur des données météorologiques officielles mais ainsi sur des faits vérifiables et retraçables à fin novembre 2010. Dès l'alerte par les services météorologiques, nous nous sommes mobilisés aux côtés des autorités. Il est tombé en 12 heures des pluies équivalentes à 6 mois de précipitations habituelles. Près de 1200 collaborateurs ont été déployés sur le terrain avec l'ensemble des moyens de l'entreprise, renforcés par ceux d'entreprises prestataires. Notre salle de crise était accessible aux élus, aux autorités et aux médias et enfin, nous avons émis plusieurs fois par jour des communiqués d'information en direction des autorités et des médias. Cela n'a pas empêché de violentes critiques. Je reviens sur trois d'entre-elles. En ce qui concerne l'Oued de Bouskoura, le risque était connu de toutes les parties prenantes et nous l'avions soulevé à maintes reprises. Plusieurs constructions se situent sur le lit même de l'oued et Lydec ne peut en être tenue pour responsable. Il a été question dans les critiques formulées à notre encontre, d'un accès que nous aurions maintenu fermé à l'entrée du réseau d'assainissement. Alors là, je voudrai lever toute équivoque ! Le réseau d'assainissement à ce point d'engouffrement a une capacité maximum de 4 m3/seconde, or, lors de la crue du 30 novembre, l'oued débitait au rythme de 67 m3/seconde, selon les chiffres officiels indiqués par l'Agence du bassin hydraulique Bouregreg-Chaouia. Ouvrir l'accès au réseau d'assainissement alors qu'il était en train d'évacuer les volumes de pluies tombées à l'intérieur de la ville n'aurait en aucun cas permis l'évacuation des eaux de l'oued et j'en veux pour preuve que l'ouvrage projeté pour traiter le risque de crue est dimensionné pour un débit de 65 m3/seconde. La seconde critique a été de dire que les débordements des réseaux d'assainissement résulteraient d'un défaut d'entretien. Sur ce sujet, je m'appuie sur la force de l'image pour montrer nos réalisations en matière de maintenance et de curage. Au-delà des chiffres, nous avons présenté aux autorités et aux élus et mis également en ligne sur notre site Internet, un document qui reprend point par point les zones connues comme étant des points sensibles en cas de fortes pluies et qui ont fait l'objet avant les intempéries d'un programme d'inspection par caméra ou par des agents, ceci avec photos à l'appui. Toutes montrent un réseau en bon état et opérationnel. La troisième critique porte sur l'arrêt de la distribution de l'électricité dans certains quartiers du Centre Ville. Effectivement, des interventions lourdes ont du être réalisées sur 119 postes de transformation dont 86 en sous sol, qui ont été inondés (sur les 4600 gérés par Lydec). Parmi eux, certains ont été volontairement maintenus hors service lorsqu'ils représentaient un risque pour les tiers. Une extrême vigilance a été accordée à la sécurité des interventions sur le réseau pour les habitants et nos équipes dans le respect des consignations : près de 10 000 manœuvres particulièrement techniques se sont ainsi déroulées sans incident. Nous comprenons l'émotion des habitants qui ont subi des dégâts ou une interruption de service. Mais il ne faut pas occulter que ces intempéries ont également impacté les ouvrages et les réseaux de la ville. Bien sûr, toutes nos équipes étaient mobilisées pour rétablir le service et également pour réaliser des actions de solidarité aux côtés de la Protection civile notamment dans les zones d'habitat informel. Concernant la gestion de cette crise, les faits vérifiables que nous avons communiqués permettent à chacun de mieux comprendre ce qui s'est passé et de s'inscrire aussi dans une démarche de prévention. À travers les informations qui nous parviennent du Conseil de la ville de Casablanca et des sorties médiatiques des élus et du maire, nous comprenons que la situation est très compliquée, voire bloquée. Comment Faites-vous pour travailler ? Depuis quelques mois, nous sommes effectivement ralentis, voire paralysés par des problèmes d'ordre interne à la Ville de Casablanca. Nous pourrions nous voir reprocher de nous servir de cette situation pour ne pas tenir nos engagements ou retarder nos investissements. Ce n'est évidemment pas le cas. Et notre intérêt en tant qu'opérateur est bien d'assurer la continuité des services et tout retard dans nos programmes d'investissement pénaliserait leur fonctionnement, remettrait en cause notre professionnalisme et dès lors la satisfaction du client. Cette situation nous pose des problèmes de gouvernance et de relais d'information. À titre d'exemple, les budgets d'investissements 2011 ne sont pas encore débattus, ni validés par le Comité de suivi de l'autorité délégante. Justement, quels sont les points de blocage que vous rencontrez ? Chaque année, effectivement, plusieurs projets d'investissements budgétés sont bloqués pour des raisons externes (indisponibilité du foncier, non obtention des autorisations administratives...). Lorsque le blocage est susceptible de durer, Lydec anticipe la réalisation d'autres opérations, ce qui permet globalement de maintenir le niveau d'investissements prévu dans le contrat. Concrètement sur la période 2008-2010, le contrat révisé prévoit un financement par Lydec de 809 MDH HT. Ce montant n'inclut pas les investissements de renouvellement et les charges indirectes. Dans les faits, à fin 2010, Lydec a déjà investi 675 Mdh HT et a lancé des projets pour un montant de 102 MDH HT, soit 96% de l'objectif. Quant aux investissements de renouvellement, dont nous maîtrisons mieux les processus d'autorisations, nous avons réalisé, malgré les difficultés évoquées, 539 MDH HT, soit 97% du programme. Le volume des investissements prévus par le contrat serait-il insuffisant pour faire face aux enjeux de Casablanca ? Oui et le Président de l'Autorité délégante l'a mis en exergue dans un document remis aux Conseillers de la ville de Casablanca le 24 décembre 2010. Pour rappel, le programme d'investissements indiqué dans le contrat révisé a été élaboré en 2005/2006. Il est aujourd'hui à revoir totalement pour plusieurs raisons dont celles évoquées plus haut : création de villes nouvelles et révision des hypothèses de calcul des réseaux d'assainissement sous l'effet des changements climatiques. Pour établir son programme d'investissements, Lydec se base sur les orientations définies dans les schémas directeurs à moyen et long terme, en collaboration avec les principaux intervenants dans l'urbanisme de la ville : Agence urbaine de Casablanca, Habitat, Travaux publics, Ville... Ce programme d'investissements est établi en fonction des informations et des projections urbanistiques disponibles au moment de l'élaboration des schémas directeurs. Actuellement, le Grand Casablanca compte 15000 ha de zone urbanisée. Aujourd'hui, on parle de 25000 ha supplémentaires à horizon 2030. Nous devons bâtir nos nouveaux schémas directeurs sur de telles perspectives d'évolution avec de nombreuses incertitudes. Tout cela pour dire qu'il est très difficile de définir les infrastructures nécessaires. D'une façon générale, les autorités avaient le choix entre deux solutions : soit bloquer les développements de l'agglomération en attendant les infrastructures, soit permettre le développement sans attendre. Les deux solutions présentent des avantages et des inconvénients. La 2ème a été privilégiée en particulier du fait du besoin en habitat social. Mais les conséquences sont importantes compte tenu du déficit en infrastructures adaptées aux besoins dans l'attente de disposer des ressources financières supplémentaires nécessaires. Les clients de Lydec parlent de la cherté de la facture dans un contexte de cherté du coût de la vie. Que répondez-vous à cela ? Au Maroc, l'eau, l'assainissement et l'électricité font partie de la liste des services dont les prix sont réglementés. Cette liste est fixée par arrêté du ministre des Affaires économiques et générales. Concernant les sociétés privées délégataires des services, les tarifs de distribution ainsi que leurs modalités de révision et d'ajustement sont fixés suivant les dispositions et conditions prévues dans les conventions de gestion déléguée, qui sont conclues entre l'Autorité délégante, le ministère de l'Intérieur et le délégataire. En tout état de cause, leur mise en œuvre requiert la validation du Comité de suivi de la gestion déléguée.Je rappelle que toute facture correspond à une consommation et que son niveau est lié au mode de consommation. Ceci dit, il a lieu de rappeler quelques chiffres qui parlent d'eux-mêmes. 58% de nos clients consomment moins de 8000 litres d'eau potable par mois. Leur facture peut atteindre 43 DH au maximum par mois pour le service d'eau et d'assainissement y compris les redevances fixes, la TVA et le timbre fiscal.En électricité, 44% de nos clients particuliers consomment moins de 100 kWh par mois. Leur facture peut atteindre au maximum 116 DH par mois incluant les redevances, la TPPAN (taxe pour la promotion de l'audio-visuel national), la TVA et le timbre fiscal. Ces montants sont à comparer avec les autres dépenses usuelles des ménages. Le rapport de la Cour des comptes au titre de l'année 2009 a révélé un ensemble de dysfonctionnements concernant le délégataire Lydec. Quelle est votre réponse à ses observations ? De façon générale, nous avons souligné dans notre réponse aux observations de la Cour que l'essentiel des sujets relevés par elle, avaient été précédemment relevés et traités dans le cadre du processus de révision du contrat de gestion déléguée. Il avait été question en particulier de divergences sur les investissements, sur l'impact de la limitation des évolutions des tarifs contractuels, sur les frais d'assistance technique et sur les dividendes. L'avenant qui a été conclu en mai 2009 et signé par le ministère de l'Intérieur, l'Autorité délégante et Lydec, avait réglé ces sujets. L'audit de la Cour des comptes a porté sur la période antérieure à 2009 et nous avions répondu en décembre 2009 et en septembre 2010 à ses observations suivant le processus normal, comme l'indique le rapport tel que publié aujourd'hui. En tout état de cause, les grands objectifs fixés au départ pour la gestion déléguée à Casablanca en matière d'amélioration du service aux clients et de continuité du service ont bien été respectés. Dans quel cadre avez-vous été entendu par la BNPJ ? La Direction juridique de Lydec a reçu une convocation de la BNPJ au sujet d'un dossier concernant l'application d'une décision du tribunal administratif à la suite d'un contentieux entre la Ville de Casablanca et un promoteur. À ce stade, nous n'avons pas plus d'information sur l'état de la procédure. On vous a même accusé de financer les campagnes électorales de certains élus. Curieusement vous n'avez pas réagi. Pourquoi ? De tels propos sont diffamatoires et nous y avons déjà répondu. Lydec n'effectue aucun don aux partis politiques, ni aux élus et ne finance pas de campagnes électorales et ce, en respect des dispositions légales marocaines. On a parlé des clients, des élus, des autorités... mais qu'en est-il des salariés et des actionnaires ? Lydec, je le rappelle est une entreprise de droit marocain avec des actionnaires pour moitié marocains. Lydec, c'est d'abord 3400 personnes qui assurent 24h24 et 7j/7 des services publics essentiels. Elles ont été très touchées par les critiques faites à leur encontre et à l'encontre de l'entreprise. Elles sont touchées quand on les accuse de «mauvaise relève, mauvaise facture». Elles sont touchées lorsqu'on les critique sur la maintenance des réseaux et la gestion des inondations compte tenu de leur implication. Les équipes de Lydec sont tout à fait conscientes de leur mission de service public et restent mobilisées, engagées au quotidien, pour améliorer le cadre de vie de leur ville.