Le débat public au Maroc est dominé depuis peu par une question quasi obsessionnelle : la révolte des Tunisiens et des Egyptiens va-t-elle embraser, par un effet de contagion démocratique, tout le monde arabe, et plus particulièrement le Maroc ? Toute légitime qu'elle soit, cette question manque de pertinence, tant elle est dépourvue de l'intelligence politique que la géostratégie régionale comme la realpolitik nationale commanderaient d'avoir ! Cette question n'est pas constructive parce qu'elle conduit à une méfiance inutile. Elle donne le spectacle d'un étrange débat où certains s'invectivent, se querellent sur des conjectures politiques et s'engagent sur des surenchères de patriotisme. Ceci n'est pas responsable. Ceci n'est pas digne. Posons-nous plutôt la bonne question, la seule qui vaille pour un responsable, un intellectuel ou un citoyen : Que doit-on faire pour apaiser notre pays et l'immuniser contre les «prurits» populaires et les réactions sécuritaires qui en sont le corollaire ? Nulle autre réponse n'est possible, que de pacifier de façon pérenne la relation entre l'Etat et les citoyens. Nul autre salut n'est envisageable, que de réformer l'Etat. Le peuple, quant à lui, ne se réforme pas ! Il exprime sa volonté souveraine, qui s'impose à tous. Mais de quelle réforme s'agit-il ? Pour être crédible et efficace, cette réforme doit être plurielle. À un Etat régalien doit correspondre une réforme des institutions politiques. À un Etat organisateur et gestionnaire doit correspondre une réforme de l'administration. À un Etat acteur et régulateur économique doit s'appliquer une réforme des politiques publiques économiques et sociales. Mère des réformes de l'Etat, la réforme politique se réfère à la loi suprême de la nation, sa Constitution, et porte sur ses institutions ainsi que sur l'organisation des pouvoirs au sommet de l'Etat. Pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont concernés. Le Maroc ne peut plus esquiver ce débat, qui habite l'esprit et le cœur des Marocains sans trouver une traduction concrète sur le champ politique. Les citoyens prennent conscience de la nécessité de moderniser ces pouvoirs, pour qu'ils soient en phase avec un monde globalisé et interdépendant. Un monde où chaque pouvoir a son contre-pouvoir, où chaque souveraineté nationale est cadrée par des référents internationaux partagés, auxquels se soumet la communauté des Etats-nations. Un monde où les modèles démocratiques supplantent progressivement tous les autres systèmes politiques hybrides, mêlant selon un dosage subtil mais dépassé, libertés publiques et autoritarisme. Tout en sacralisant le triptyque de la devise nationale, Dieu, la Patrie et le Roi, un grand nombre de Marocains semblent vouloir prendre leur avenir en main, en renforçant les pouvoirs des parlementaires et du gouvernement pour mieux les contrôler et infléchir la politique de l'Etat. Ils militent en faveur de l'introduction de mécanismes de surveillance des dirigeants politiques, pour s'assurer de la neutralité de leur action publique et du respect de l'intérêt général. Ils œuvrent pour la mise en place de murailles de Chine, destinées à prévenir les conflits d'intérêts et à délier les relations incestueuses qui se sont dangereusement établies entre les décideurs politiques et le monde des affaires. Ils appellent les dépositaires des organes de contrôle de l'Etat à exercer en toute indépendance leurs prérogatives réelles dans leur plénitude, loin des influences et des pressions. Ils abhorrent le système de parrainage généralisé des nominations et aspirent au mérite pour l'accès à la haute fonction publique. Réforme des institutions politiques, mais aussi réforme de l'administration ! Les rapports décriant les dysfonctionnements de l'administration (lenteur, rigidité, inefficacité, complexité, opacité, corruption,...) font florès. Toutes les difficultés constatées ont un dénominateur commun : l'élément humain. Réforme de l'administration et modernisation de la politique des ressources humaines de la fonction publique, deviennent quasiment synonymes. Les solutions sont largement connues, mais ne sont pas appliquées à défaut d'une volonté politique, dont le peu de velléité est par ailleurs inhibé par un syndicalisme réactionnaire. Pourtant, les réformes de modernisation de l'administration peuvent s'appliquer assez rapidement : équipes chargées de la conduite du changement au sein des ministères, recrutement et promotion des fonctionnaires sur leurs qualités humaines et leur créativité, entretiens d'évaluation périodiques, systèmes de rémunération variable liés aux performances, audit général et indépendant des politiques publiques, poste de contrôleur général des finances publiques indépendant de l'Exécutif et rattaché au Parlement, réexamen généralisé des dépenses de l'Etat... Troisième volet de la réforme de l'Etat, lié à son statut d'acteur économique et à sa mission de régulateur économique : la révision de la politique économique et sociale, qui doit veiller au respect d'une triple exigence (*). Primo, placer l'élément humain au centre des décisions politiques ; secundo, œuvrer pour rétablir la compétitivité des entreprises marocaines ; et tertio, mettre l'administration publique au service du tissu économique en lui faisant assumer son rôle de facilitation. Réforme politique, administrative et économique de l'Etat, est la trilogie qui devrait définir l'agenda de la gouvernance publique au Maroc. Aujourd'hui le reflet d'un espoir citoyen contenu, cette trilogie pourrait rapidement se transformer en une exigence populaire assumée. Dans cette dynamique sociétale, l'anticipation politique est règle d'or.