Il arrive à chacun d'entre nous de les croiser, errant un peu perdues dans la rue, ou assises sur les trottoirs des grandes avenues du pays, souvent accompagnées d'un ou de plusieurs enfants. Elles, ce sont les migrantes subsahariennes en transit prolongé au Maroc après un voyage qui a duré, pour certaines, plus de trois pénibles années. Médecins sans frontières (MSF) s'est intéressé de près à cette population marginalisée, en rendant public il y a quelques jours un rapport décrivant la situation de ces femmes. Les chiffres, qui relèvent essentiellement de données internes et de témoignages, soulèvent un voile sur des conditions de vie insupportables. Sur la base d'un recensement effectué en janvier dernier, MSF a totalisé un nombre de 4.500 migrants subsahariens vivant au Maroc. Parmi eux, 39% ont été victimes de violence, particulièrement chez les femmes, dont 21,5 % sont mineures et 10% ont moins de 16 ans. La majorité des jeunes femmes concernées sont originaires de la République démocratique du Congo (RDC), du Nigéria et du Cameroun, en majorité des pays en guerre. Une raison insuffisante pour la plupart des pays européens qui durcissent le contrôle des frontières en toute âme et conscience. Prédation sexuelle Une femme sur trois prises en charge par MSF à Rabat et Casablanca déclare avoir été victime de viols. 29% l'ont été avant même de quitter leur pays. Du migrant qui les accompagne au passeur, en passant par les forces de l'ordre ou encore les trafiquants d'êtres humains, l'éventail des agresseurs est extrêmement varié. Les chances que ces derniers soient dénoncés par leurs victimes sont quasi nulles. «Elles ont peur des conséquences juridiques, et n'osent donc dénoncer qui que ce soit», nous révèle le Pr Houria Alami M'chichi, secrétaire générale de l'Association marocaine d'études et de recherches sur les migrations (AMERM). La situation irrégulière de ces femmes en constitue l'une des raisons principales. Un courage à toute épreuve Quant à l'avenir de ces migrantes subsahariennes, il reste incertain. Repartir en arrière ? Impensable. Avancer vers l'Europe ? De plus en plus difficile. Coincées entre deux feux, ces femmes ne subissent pourtant pas leur calvaire quotidien. Elles s'y adaptent. «Leur situation est tellement pénible que la violence vient s'y noyer. Elles prennent cela comme une fatalité», précise Alaoui M'chichi. Avant d'ajouter que «ces femmes se démarquent par leur détermination sans failles». Elles veulent s'en sortir, et ont accepté de rester «et de s'intégrer coûte que coûte». Enfance violée Les témoignages recueillis par MSF auprès des femmes migrantes donnent froid dans le dos. En particulier lorsque ces violences sexuelles touchent des mineures. A.A est l'une d'elles. Se retrouvant seule suite à la mort de ses parents, elle suit une amie de la famille pour fuir les persécutions politiques subies dans son pays. Elles prennent un avion en direction de Casablanca, puis de Paris. Refoulées sans surprise à l'aéroport, elles atterrissent à nouveau au Maroc. A.A est séparée de son accompagnatrice, puis envoyée au commissariat d'Oujda. La nuit même, elle est expulsée à la frontière avec 15 autres MSS de différentes nationalités. Unique femme du groupe, et la plus jeune, elle est rapidement prise pour cible par les quatre policiers qui les escortent, et la violent à plusieurs reprises. 59% des 63 femmes entendues par MSF et qui sont passées par Maghnia, ville la plus proche du Maroc du côté algérien, ont subi des violences sexuelles.