Les Echos : Les agriculteurs espagnols ne cessent de mettre en garde contre l'accord d'association Maroc-UE. Leur grogne est-elle justifiée, sachant que l'accord stipule une augmentation des exportations marocaines de tomates de 23% en 4 ans, donc rien de spectaculaire ? Gonzalo Escribano : Il est certain que l'accord d'association entre le Maroc et l'Union européenne n'a pas un impact très spectaculaire. Néanmoins, ses conséquences négatives restent très centrées géographiquement sur l'Espagne et plus précisément sur certaines régions à forte dépendance agricole comme l'Andalousie. De même, l'agriculture méditerranéenne espagnole n'est pas soutenue par l'Union européenne comme c'est le cas de l'agriculture continentale des céréales, de la viande et des produits laitiers. C'est pour ces raisons que les agriculteurs espagnols de la Méditerranée se sentent gravement lésés, d'autant plus qu'ils ne peuvent pas prétendre à des compensations européennes. . Les agriculteurs ont chiffré les pertes à 120 millions d'euros. Toutefois, votre rapport mentionne que cet accord représente de moindres dégâts pour eux. Ne s'agit-il pas d'une dramatisation de la situation pour soutirer des traitements de faveur ? La situation du secteur agricole espagnol n'est pas très reluisante et pèche par des problèmes structurels importants. Mais il faut admettre que les estimations avancées sont un peu surdimensionnés. Le hic, c'est que l'impact de cet accord reste très concentré sur quelques régions. Les cultivateurs attribuent la chute de leurs revenus à la tomate marocaine. N'y a-t-il pas d'autres raisons à cette baisse, liées à la structure de l'agriculture espagnole ? Effectivement, l'organisation du secteur agricole laisse beaucoup à désirer. La production agricole espagnole a eu du mal à s'organiser autour de coopératives puissantes pour faire face au grand pouvoir de négociation des grands acheteurs, comme c'est le cas aux Pays-Bas par exemple. Cependant, le secteur agricole espagnol est très compétitif et dispose d'un important potentiel. L'agriculture est très en avance en matière de technologie, et dispose d'un savoir-faire et de réseaux de distribution pour exploiter des complémentarités avec des pays méditerranéens comme le Maroc. Ce processus est déjà en marche mais fort malheureusement, il existe des obstacles, aussi bien de la part des Espagnols que des Marocains, qui entravant cette dynamique. Le dumping et cette batterie de mesures de protection que ne cessent de réclamer les agriculteurs espagnols sont-ils la solution pour tirer le secteur agricole espagnol vers le haut ? Jamais la protection n'a été une solution optimale. Il est nécessaire d'entreprendre des mesures alternatives pour une réforme ambitieuse des marchés. Et cela concerne tant la partie espagnole que marocaine. En prenant en considération les importantes asymétries entre les niveaux de développement des deux secteurs. Comment rendre cet accord profitable pour les deux parties ? Il reste beaucoup de chemin à parcourir et d'efforts à fournir des deux côtés de la Méditerranée. Il existe des complémentarités, mais le cadre institutionnel rend la tâche très difficile pour réaliser des profits avec une logique de bénéfice mutuel. Je cite à titre d'exemple, la mise en place d'un cluster agro-alimentaire hispano-marocain, qui requiert des mesures d'accompagnement sur le volet institutionnel, la formation et l'infrastructure. L'agro-industrie nécessite une structure de l'offre et pour cela, il faut avancer dans la modernisation de l'agriculture marocaine et de ses institutions agricoles. Cette modernisation pourrait bénéficier des investissements et du transfert de savoir-faire de la part de son homologue espagnol. La dynamique est déjà lancée, mais il est primordial de faire des bouchées doubles en investissant davantage et en accompagnant ces processus d'une manière plus coordonnée et plus stratégique. Y a-t-il un espoir d'installer dans l'avenir une zone de libre-échange entre le Maroc et l'UE, sans que l'Espagne ne manifeste son désaccord ? Le libre-échange existe bel et bien dans les produits industriels, où d'ailleurs l'Espagne a été l'un des plus grands défenseurs et initiateurs. L'Espagne dispose d'une grande volonté d'accroître et de consolider les échanges économiques avec son voisin du Sud. Toutefois, la délicate conjoncture économique complique cette tâche. Le chômage a frappé très fort et les agriculteurs ont été touchés de plein fouet. C'est pour ces raisons que le gouvernement espagnol a préféré qu'un autre membre de la communauté européenne ratifie l'accord d'association, afin d'éviter la confrontation avec ses agriculteurs. Sur un autre registre, des voix s'élèvent, en Espagne et dans l'Union européenne, réclamant plus d'efforts de la part du Maroc en matière de droits de l'homme et de démocratisation pour accéder à des conditions économiques plus généreuses. Et le sommet de Grenade en est le meilleur exemple, où on a assisté à des manifestations contre l'accord de la part des agriculteurs ou à celle des activistes sahraouis. À long terme, il faut «dépolitiser» les négociations et dessiner des mécanismes de compensation et de transition intra-Union, mais aussi promouvoir les voies de complémentarité pour stimuler l'émergence d'une solution coopérative.