ONA et SNI fusionnent, et se désengagent progressivement de plusieurs de leurs filiales. Une opération qui entre autres objectifs vise le recentrage sur les métiers de base des holdings, tel que Les Echos l'avait analysé dans un dossier en date du 10 décembre 2009. Les rumeurs de fusion, qui circulaient avec persistance durant la semaine dernière ont finalement été confirmées vendredi 26 mars. Et avec quelle précision! La presse nationale a même eu droit à un dossier de 16 pages, riche en informations. Une première ! Ce qu'il faut savoir Mais bien qu'en apparence, le dossier de presse se veuille exhaustif, il ne révèle en réalité que la partie visible de l'iceberg. À en croire la banque d'affaires Lazard, l'opération est plus complexe qu'il n'y paraît. Sur le site de cette banque d'affaires mondialement réputée, qui a de toute évidence orchestré tout le rapprochement ONA-SNI, on peut lire quelques détails croustillants. Selon les informations disponibles, SNI devrait lancer une offre publique d'achat sur l'ONA pour un montant de 3,9 milliards de dollars, soit près de 32,3 milliards de DH. Ce qui du reste est normal puisque la fusion des deux holding sera bientôt enclenchée. Autre information de taille que révèle le site de Lazard concerne le lancement d'une offre publique d'achat sur SNI, par le fonds Copropar, détenu à 100% par la holding royale Siger. Cette dernière offre devrait porter sur 3,5 milliards de dollars, soit environ 29 milliards de DH. Quoi qu'il en soit, même si le nom de Copropar n'est cité nulle part dans le communiqué officiel en provenance d'ONA et de SNI, cela n'altère en rien les tenants et aboutissants du projet de réorganisation, dont le point d'orgue tient dans l'évolution de la vocation. «Celle-ci passe d'un groupe multi-métiers intégré à une holding d'investissement exerçant un seul métier : celui d'actionnaire professionnel», selon le communiqué conjoint des groupes. De manière plus concrète, la nouvelle entité post-fusion se définira par plusieurs caractéristique: Le mode de gouvernance est amené à évoluer via le passage d'une gestion opérationnelle à un pilotage stratégique, par le biais des organes de gouvernance des participations. Cela signifie que les équipes dirigeantes devront rendre compte à leurs propres organes de gouvernance (conseils d'administration et comités issus de ces conseils). Un message ô combien fort en direction de la communauté internationale. Le mode de participation est également amené à changer, à travers «la détention de participations significatives mais non majoritaires», exception faite des contrôles conjoints tels ceux s'appliquant à Lafarge Maroc et Sonasid, dont la gestion relève de partenaires métiers mondiaux. La nouvelle entité gardera le contrôle de certaines filiales «n'ayant pas encore atteint leur vitesse de croisière». Cela revient à dire que l'entité post-fusion s'inscrira dans un modèle analogue à celui des business angels. Dans le détail, la stratégie distinguera plusieurs modes de détention. Ainsi, pour Attijariwafa bank, Cosumar, Lesieur ou encore Centrale Laitière, le nouvel ensemble opte pour l'actionnariat significatif (20% à 40%), actif dans les comités et organes de gouvernance, mais sans exercice du contrôle, et pour cause : ces actifs sont considérés comme mûrs et ayant atteint une taille critique. Ceux-ci feront l'objet sur le court terme de la cession de leur contrôle au marché via des offres publiques de vente ou des introductions en Bourse. Concrètement, le management de ces sociétés est amené à augmenter son autonomie, et devra rendre compte aux organes de gouvernance desdites sociétés. Concernant les filiales telles Lafarge, Sonasid, Atlas Hospitality Morocco, ou Renault Maroc, la nouvelle holding sera un coactionnaire stratégique (20% à 50%) de ces actifs, dont la gestion opérationnelle est confiée à un partenaire international. Pour ces sociétés-là, il y aura un statu quo au niveau des organes de gouvernance et du management. Enfin, concernant Wana, Marjane, Onapar, Nareva ou Managem, la nouvelle entité en sera l'actionnaire unique ou majoritaire, étant donné que ces sociétés «n'ont pas encore atteint leur maturité du fait du développement de nouveaux projets et/ou d'une phase de croissance», selon la version officielle. La nouvelle entité cèdera le contrôle partiellement ou complètement des autres actifs non cotés dès lors que les conditions seront favorables, et aussi lorsque ces actifs donneront des signes de maturité suffisante. Cette cession de contrôle pourra se faire soit par des opérations de mise en Bourse, soit par des opérations de cession privée. Les holdings n'ont plus la cote Ce bouleversement dans les modes de participation des deux holdings serait également la résultante d'une tendance mondiale. Celle-ci consiste en un démantèlement progressif des conglomérats, aussi bien dans les pays développés (ICI, ITT, Tyco, Hanson Trust...) que dans les pays émergents (démantèlement des chaebols asiatiques : Hyundai, Daewoo...). «En effet, ces derniers sont particulièrement adaptés à des contextes où ils permettent, par leur taille critique, de pallier les déficiences des marchés (marchés financiers, marché du travail...). Dès lors que les marchés deviennent plus efficients, l'existence des structures en conglomérat se révèle moins pertinente», commente-t-on au sein des holdings. Celles-ci sont d'autant plus enclines à l'opération de retrait que leurs titres sur le marché boursier font l'objet d'une sous-valorisation chronique. Celle-ci est amplifiée notamment pour l'ONA, de par sa vocation de groupe intégré. En outre, les investisseurs préfèrent diversifier eux-mêmes leur portefeuille, sans être plombés par les coûts de fonctionnement d'une holding intermédiaire. Ceux-ci ne valorisent en effet la cotation d'une holding que dans la mesure où son portefeuille n'est pas constitué majoritairement d'actifs cotés. Alors qu'en procédant eux-mêmes au «stock-picking», les investisseurs achètent directement dans les lignes du portefeuille qui les intéressent. Cet arbitrage des investisseurs se matérialise par la forte décote appliquée par le marché aux deux holdings, comparativement à la valeur intrinsèque de leurs actifs. Ainsi, à titre d'exemple, dans les années 2000, des groupes comme Lazard (2000-2004), Wendel (2002) et Bolloré (2006) ont réduit ou supprimé le nombre de holdings de tête à travers plusieurs opérations d'offres publiques et/ou de fusions. En particulier, le groupe Lazard a réduit le nombre de holdings cotées de quatre à une seule. Par ailleurs, selon les deux groupes, «dans une perspective de financement, ni SNI ni ONA, en tant que holdings, n'ont besoin d'avoir recours aux marchés boursiers, dans la mesure où leurs participations ont accès directement aux marchés et leur propre besoin de financement est satisfait par la mise en réserve des bénéfices et par le recours aux divers instruments de dette, dont l'émission obligataire». Dans un sens, la fusion ONA et SNI s'inscrit parfaitement dans la stratégie naguère annoncée sous l'ère Bendidi et qui consistait en un recentrage sur les métiers de base de la holding royale. À la différence qu'au lieu de se retirer de filiales jugées peu rentables, il s'agit désormais de laisser celles qui ont atteint leur vitesse de croisière voler de leurs propres ailes. À cet égard, le changement de mode de gouvernance s'annonce inévitable. Ainsi, le management des filiales «matures» se distinguera par l'autonomie et la responsabilité devant les organes de gouvernance. Ces filiales seront dotées de «conseils actifs, dotés d'une expertise métier renforcée et comprenant une majorité d'administrateurs indépendants».Par ailleurs, les entités concernées par cette «indépendance» devraient bénéficier d'une plus grande autonomie de financement, alors qu'auparavant, elle était limitée par leur appartenance à un groupe intégré. Une bouffée d'oxygène bienvenue, puisque «sous la structure actuelle, l'ensemble du groupe ONA est soumis, de façon agrégée, à la contrainte du ratio de division des risques du secteur bancaire, d'où une limitation de la capacité d'endettement des filiales par la capacité globale d'endettement du groupe». Le cadeau de la loi de finances Mais pourquoi procéder à une fusion ? Tout simplement car ce schéma s'est révélé être le plus intéressant et le plus efficient, grâce notamment au nouveau régime fiscal applicable aux fusions. Ce régime est d'ailleurs tombé à point nommé cette année, d'autant plus que l'éventualité de la fusion ne date pas d'hier. Déjà, sous l'ère Bassim Jaï Hokimi, ce dernier avait déclaré que le handicap fiscal était la principale entrave à la fusion. Le cadeau de l'actuelle loi de finances prend donc toute son importance. Les deux holdings auraient d'ailleurs pu ne pas choisir cette option. D'autres schémas étaient possibles, notamment celui de scission partielle ou totale (la holding se subdivise en plusieurs entités ayant le même actionnariat) ou un autre, consistant en une distribution d'actifs aux actionnaires (les actions des filiales sont transférées directement aux actionnaires de la holding). Cependant, selon le communiqué officiel des deux groupes, «nous avons écarté le premier schéma, car il multipliait l'inconvénient des holdings cotées, et le second en raison d'un coût fiscal malheureusement prohibitif au Maroc». Concrètement, la fusion SNI-ONA donnera naissance à une holding unique, non cotée. Mais au préalable, plusieurs étapes sont à franchir. Ainsi, deux offres publiques de retrait seront déposées sur les titres SNI et ONA par leurs principaux actionnaires respectifs. Les prix d'offre seront de 1.900 DH pour l'action SNI et de 1.650 DH pour l'action ONA. Une attestation d'équité devra être délivrée sur ces prix, et ce par un expert indépendant, dont la nomination devra être approuvée par le CDVM. Seuls les actionnaires minoritaires de SNI et ONA seront concernés par l'opération de retrait de la cote, et non pas ceux des participations cotées, à savoir Attijariwafa bank, Cosumar, Lesieur Cristal, Centrale Laitière et Managem. Les actionnaires auront le choix de l'apport de leurs titres aux offres de retrait qui les concernent, tout comme ils peuvent conserver leurs actions SNI ou ONA. Le cas échéant, ils continueront alors de percevoir les dividendes de la nouvelle entité non cotée. Le nouvel ensemble, un incubateur de champions La fin de cette première étape verra la radiation des titres SNI et ONA de la Bourse de Casablanca. Suite à quoi, un projet de fusion sera proposé aux actionnaires des deux holdings dans le cadre de leurs assemblées générales extraordinaires. Une fois la fusion entérinée, la nouvelle holding d'investissement réduira progressivement son périmètre de participation, à travers la cession sur le marché boursier du contrôle d'entités autonomisées. Celles qui sont concernées dans un premier temps sont Cosumar, Lesieur Cristal, et l'ensemble Centrale Laitière/Bimo/Sotherma. «Cela reviendrait à dire que ces deux dernières filiales deviendront partie intégrante de Centrale Laitière, qui pourra dans ce cadre être comparé au groupe français Danone». La stratégie du nouvel ensemble gravitera autour de cinq axes fondamentaux. Le premier portera sur l'investissement dans des actifs cotés et non cotés, et qui se veulent structurants pour l'économie marocaine, à fort potentiel de création de valeur et/ou de rendement. Le deuxième axe s'articulera autour de l'actionnariat de référence actif dans les organes de gouvernance, avec une gestion opérationnelle confiée à un management responsabilisé devant le marché. L'expérience constitue la pierre angulaire du troisième axe, puisqu'il s'agira d'accompagner le développement des actifs pour en faire des champions nationaux ou régionaux. Le quatrième axe consistera en l'autonomisation des participations aussitôt qu'elles atteignent leur rythme de croisière. Enfin, le cinquième axe s'inscrira dans le retour aux actionnaires de façon pérenne, sous forme de dividendes et d'accroissement de la valeur patrimoniale, supérieur au coût du capital sur un cycle d'activité économique.La nouvelle entité focalisera sa stratégie sur des sociétés leaders ainsi que des projets attractifs. Ceux-ci devront être de taille significative, présentant de fortes barrières à l'entrée et une rentabilité satisfaisante pour les actionnaires. L'équilibre du portefeuille de la nouvelle holding de participations devra être assuré en termes de présence sectorielle et géographique, de répartition d'actifs cotés/non cotés et de poids de chacune des participations dans le portefeuille, et ce dans un horizon d'investissement flexible. Un marché bour sier libéré Pour le management d'ONA et de SNI, l'opération de retrait de la cote est clairement une aubaine pour le marché boursier. «La cession au marché du contrôle d'entreprises majeures ayant atteint leur vitesse de croisière au travers d'offres publiques de vente, ouvre un nouveau chapitre pour le marché boursier marocain», argue-t-on au sein des holdings. Si l'opération de retrait de la cote amènera forcément une érosion de la capitalisation boursière, en contrepartie, les flottants des filiales cotées des holdings sont amenés à augmenter, ce qui devrait donner aux investisseurs institutionnels une plus grande influence sur les sociétés cotées, à travers l'élargissement du flottant de plusieurs sociétés d'envergure, et qui pèsent lourd dans leurs secteurs respectifs. Partant, l'attractivité de la Bourse nationale s'en trouvera renforcée, pour les investisseurs nationaux, mais également les internationaux. L'opération constitue d'ailleurs un signal fort en direction de ces derniers, d'autant plus qu'ils souhaitent pouvoir céder leurs titres à n'importe quel moment, sans que leur propre sortie ne pèse sur les cours et n'impacte négativement leur rendement. Qui plus est, le retrait de la cote de SNI et ONA devrait mener à une meilleure représentativité de la Bourse de Casablanca. «La capitalisation de SNI, de ONA et de leurs participations cotées représente près 30% de la capitalisation boursière au 31/12/2009. Ce poids est sans commune mesure avec le poids réel de l'ensemble dans l'économie marocaine soit 3% du PIB ; la cotation des seules entités opérationnelles permet ainsi de restituer à la Bourse sa véritable représentativité». Le management des holdings est bien conscient de l'impact de l'opération de retrait sur la capitalisation boursière. Néanmoins, celle-ci devrait bénéficier à court terme des futures offres publiques de vente, qui permettront de céder au marché le contrôle des entités pouvant voler de leurs propres ailes. Concernant la suite du déroulement des opérations, des offres publiques de retrait sur les titres de SNI et ONA seront incessamment déposées auprès du CDVM au début du mois d'avril. Ensuite, le gendarme de la Bourse se prononcera sur l'indépendance de l'évaluateur désigné par les initiateurs, avant de procéder à l'examen des projets d'OPR et de se prononcer sur leur recevabilité, dans un délai de dix jours ouvrables. Un marché en ébullition Mais le marché n'attend pas. L'annonce officielle, vendredi dernier de l'opération a fait des vagues et a mis la Bourse de Casablanca en ébullition. En réaction, les indices boursiers ont terminé la séance sur une croissance approchant les 2%, alors qu'ils évoluaient mollement depuis plusieurs séances. Mais à vrai dire, c'est sur les prochaines semaines que l'impact de ce rapprochement devrait se ressentir. En effet, dans les modalités prévues pour l'opération, le tandem ONA-SNI devrait dans un premier temps rémunérer la sortie des minoritaires de son capital flottant en Bourse, par le lancement d'une opération publique de retrait début avril 2010. Suite à quoi, la cession sur le marché boursier du contrôle de Cosumar, Lesieur et de l'ensemble Centrale Laitière/Bimo/Sotherma devrait être opérée. Mais si à moyen et long termes cette opération devrait insuffler une nouvelle dynamique au marché bousier, à court terme la situation semble plus compromise. «Lorsque les minoritaires détenteurs d'actions ONA et SNI vendront leurs parts, beaucoup de cash circulera sur le marché», fait observer un professionnel du secteur. Or, dans le même temps, il y aura relativement peu d'actions en circulation en raison d'une part du manque de liquidité inhérent à la place casablancaise, et d'autre part de la perte de l'équivalent de 8% de la capitalisation flottante (au 26 mars 2010) résultant de la radiation d'ONA et de SNI. De tout cela, il devrait résulter que les cours tireront à la hausse (la demande de titres étant supérieure à l'offre) au moins jusqu'à la cession sur le marché du contrôle de Cosumar, Lesieur et l'ensemble Centrale Laitière, ce qui devrait prendre quand même quelques mois. Un retrait de la cote bien préparé Plus que de mettre la puce à l'oreille des observateurs, les forts volumes négociés sur les valeurs ONA et SNI sur toute la semaine passée avaient un but bien précis. «Les mouvements sur SNI et surtout ONA, sur les dernières séances étaient majoritairement positionnés à la vente, ce qui a eu pour effet de maintenir les cours des deux valeurs en quasi-stagnation voire en baisse», dévoile un gérant de portefeuille. Selon lui, il s'agirait d'une action concertée visant à ce que les cours des deux valeurs maximisent l'attrait de la prime offerte dans le cadre de l'opération publique de retrait afin de garantir le succès de cette opération. A noter que les prix offerts pour les valeurs ONA et SNI dans le cadre de l'OPR, comparés aux niveaux de cours où elles ont été suspendues, dégagent une prime de 325 et 68 dirhams respectivement.