C'est une évidence qu'on ne saurait nier, à moins de vouloir ramer à contre-courant du sens de l'histoire. Les mouvements de révolte populaire qui secouent actuellement la région arabe, augurent des pistes prometteuses pour des changements, parfois profonds, dans les systèmes de gouvernance politique jusque là en place. Une situation certes encore marquée d'incertitude et dans laquelle le Maroc se singularise par une stabilité, comparé aux autres pays, en raison principalement des réformes engagées bien avant le précédent tunisien, qui a constitué le déclic «du printemps arabe». C'est ce qui ressort du rapport que vient de publier Association for international affairs (AMO), un think thank européen basé à Prague, en République Tchèque. L'intégration à la rescousse Le rapport, qui analyse la situation sécuritaire dans les pays du Maghreb, dans le sillage de la dynamique des mouvements de révolte et de transformations sociale et politique en cours dans ces pays, a mis un accent particulier sur l'échec de l'intégration régionale, qui risque d'hypothéquer les acquis desdites révolutions dans la perspective des lendemains incertains vers lesquels se dirige la région. Si, à première vue, cela pourrait ressembler à un paradoxe, une analyse objective des défis sécuritaires et économiques auxquels fait face le Maghreb, légitime cette hypothèse. En témoigne le conflit relatif au dossier du Sahara, qui depuis trente ans, entrave tout effort d'intégration fonctionnelle dans la région et qui a été sensiblement relégué au second plan par le contexte actuel. Si ces derniers temps, l'idée d'une intégration maghrébine qui permettrait de contenir les défis de la région est revenue au devant de l'actualité, le rapport de l'AMO met en évidence qu'une telle issue ne saurait être atteinte sans la résolution de ce conflit, qui s'accompagne «d'immenses coûts économiques, politiques et humains». L'impasse dans laquelle se trouvent les négociations, menées sous l'égide de l'ONU, estime l'AMO, «génère une atmosphère générale d'instabilité, avec de graves effets sur les perspectives économiques pour l'ensemble du Maghreb». C'est pourquoi, le centre de recherche préconise d'accorder une attention particulière au projet d'autonomie proposé par le Maroc et qui a été salué par la communauté internationale, comme base sérieuse de négociations, surtout au lendemain du processus de régionalisation avancée enclenché par le Maroc dans le cadre de la réforme constitutionnelle en cours. La plus grande menace qui plane à ce niveau, est relative aux défis sécuritaires pour la région, en raison principalement des liaisons dangereuses du Polisario avec des groupes terroristes (AQMI), relevées par le rapport et qui freinent la croissance des pays de la région, notamment sur le plan des retombées économiques et touristiques, qui constituent une source de revenus assez consistante pour beaucoup de pays de la région. Nouvelles approches Pour relever les défis multiples qui se posent à la région, l'AMO préconise des pistes encourageantes, notamment une reconstruction des relations euro-maghrébines, qui constituent une réelle opportunité pour les deux rives. Il s'agit de réorienter la coopération vers la prise en compte des enjeux liés à la sécurité humaine, notamment la réduction des inégalités sociales, les appuis au développement ou le soutien à la promotion des droits humains dans la région. Jusque là, en effet, le rapport a relevé que la coopération entre les pays européens et ceux du Maghreb ont prioritairement porté vers la stabilité, la coopération militaire et le développement économique. Cette approche explique en grande partie «la surprise des pays européens», face aux soulèvements sociaux et politiques récents. Certes, note le document, on peut relever l'impact positif de cette approche sur l'amélioration de la législation, le système éducatif ou même le climat des affaires, mais ces retombées n'ont pas servi de tremplin pour soutenir les transformations sociales et politiques, auxquelles aspiraient les populations de cette région. D'où la nécessité pour l'Union européenne de réajuster sa stratégie vers une prise en compte des «préoccupations complexes de la sécurité humaine dans le Maghreb». À ce titre, elle doit soutenir le processus de démocratisation en cours dans la région, soutien qui doit s'inscrire dans une perspective d'appui au développement et à la sécurité. La prévention efficace des conflits devrait «essentiellement combiner les mesures traditionnelles de sécurité préventive, mais aussi et surtout, participer à la démocratisation et au développement», préconisent les chercheurs de l'AMO. Les changements en cours dans la région maghrébine devraient accentuer la cadence des réformes et, toujours selon l'AMO et à la lumière des revendications exprimées par les citoyens des différents pays, la dignité humaine, associée à la liberté et à la justice, est désormais devenue une exigence prioritaire. Forte de sa crédibilité démocratique, l'Europe a tout intérêt à appuyer «le renforcement de la gouvernance régionale dans la zone euromaghrébine», c'est-à-dire qu'elle pourrait servir de modèle pour ces pays engagés dans un processus «d'apprentissage démocratique et de modernisation économique», conclut le rapport. Union maghrébine ? Les pays du Maghreb constituent, c'est indéniable, une région culturellement, géographiquement et historiquement intégrée. Pourtant, relève le rapport, ils n'ont pas réussi, à ce jour, à atteindre «l'intégration fonctionnelle», en particulier sur les aspects de la coopération politique et économique. Certes, des tentatives pour dynamiser l'intégration ont été menées (cas de l'UMA), mais elles n'ont abouti qu'à la réalisation d'un ... «non-Maghreb». En témoigne la fermeture des frontières entre le Maroc et l'Algérie depuis 1994. Le projet actuellement sur la table, est celui de l'instauration d'une zone de libre-échange, sur le modèle de l'Union européenne, lancé en décembre 2010 et qui devrait être effectif en 2011. Le hic, les détails restent à ce jour non définis et le projet risque de tomber à l'eau en raison des troubles actuels qui secouent les pays de la région et qui les ont poussés à une sorte de «protectionnisme». Pourtant, c'est le projet qui a le plus de chance d'aboutir, comme en témoignent quelques signaux lancés ces derniers mois qui pourraient baliser le terrain pour une réelle intégration économique. À défaut d'une réelle volonté politique, les impératifs économiques commandent à la réalisation de ce projet, meilleur moyen pour attirer les investissements étrangers et d'initier de nouvelles opportunités sur les marchés mondiaux. Un impératif pour tous les pays de la région qui se trouvent, désormais, dans l'obligation d'accorder leurs violons, par nécessité de survie.