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Le dilemme de la construction durable
Publié dans Les ECO le 14 - 04 - 2011

Demain, c'est déjà aujourd'hui. Cette façon assez résumée d'exprimer l'évolution du temps, s'appliquerait bien au chantier de la réglementation thermique dans le bâtiment (RTB), et du business qui attend de s'y greffer dès sa mise en oeuvre, fin 2013. Ce texte, en lui-même, n'est certes qu'une partie d'une stratégie globale développée depuis 2010 par l'Agence nationale de développement des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique (ADEREE), portant sur l'efficacité énergétique dans le bâtiment et dont l'objectif est d'atteindre une économie d'énergie finale d'environ 1,22 Mep en 2020. Mais le fait est que la future promulgation de cette RTB provoquera une complète métamorphose -au sens propre du terme- du secteur de la construction. Pratiquement, tous les segments d'activité seront concernés, notamment les promoteurs immobiliers, qui réalisent les projets, et les producteurs de matériaux de construction, qui leur fournissent ce que l'on peut appeler la «matière première». Quels sont alors les enjeux ou blocages qu'impliquerait le développement de ce nouveau type de BTP ? Comment ces acteurs du secteur se préparent-ils à la RTB ? Le marché sera-t-il au rendez vous de cette nouvelle donne en 2013 ? Autant d'interrogations que les observateurs et les acteurs eux mêmes se posent. Il faut rappeler que nous parlons là d'un secteur caractérisé par une boulimie exponentielle en consommation énergétique. Le bâtiment consomme 36% du total national, dont 29% sont accaparés par le segment du résidentiel, et le reste par le tertiaire. Ces chiffres sont bien sûr appelés à grossir dans les prochaines décennies, au fil de la croissance démographique et au gré du développement des stratégies sectorielles lancées par le royaume. Le potentiel de marché de la construction durable est important pour les deux années à venir, tout comme les impacts économiques directs
Une question de surcoût
D'abord, il faut savoir que les chantiers de construction et BTP en général, seront plus chers à réaliser à partir de cette échéance. Les principaux concernés, à ce stade de la problématique, sont les promoteurs immobiliers. En effet, le respect des spécifications techniques de la réglementation impliqueront, selon les simulations menées par l'ADEREE, un surcoût d'investissement relativement important. Dans le tertiaire, ce plus est estimé à une moyenne variant entre 0,5% et 3% du coût total de la construction, selon le type de bâtiment et de zone climatique concernée (L'agence en a identifié six principales dans l'étendue du royaume). Cette fourchette représente 30 à 209 DH/m2 en termes pécuniaires. Pour le segment du résidentiel, le surcoût d'investissement moyen est évalué à un pourcentage de 3,2%, correspondant au montant de 112DH/m2. Cette perspective de payer plus cher pourrait bien pousser les promoteurs immobiliers à tenter de répercuter ce surplus sur le prix final de la construction, surtout pour le segment du résidentiel. «L'idée est bien envisageable, d'autant plus que nous serons obligés de par la loi de produire des bâtiments énergétiquement efficaces. Je pense que nous n'aurons pas le choix», explique ce promoteur immobilier installé dans la capitale économique. Pour le moment, l'option avancée par l'Etat de subventionner ce surcoût à hauteur de 80%, pourrait a priori constituer la solution idéale pour maintenir la stabilité des prix du logement. Mais cette solution n'est que provisoire et ne concerne que le financement de quelques projets pilotes, grâce à un fonds de 10 millions d'euros d'aide européenne. Au-delà de 2014, aucune visibilité n'est donnée aux promoteurs immobiliers sur la prise en charge ou non, par l'Etat, du surplus d'investissement.
Plus cher de faire du «social» ?
Ce souci du surcoût se pose de façon particulièrement lourde pour le segment du logement social. L'exemple le plus édifiant nous vient d'un grand promoteur immobilier public, en l'occurrence le groupe Al Omrane. Ce dernier développe depuis 2008 un important programme de construction de 130.000 logements sociaux à 140.000 DH HT au maximum, à l'horizon 2013. «La grande question qui se posera est comment faire pour ne pas dépasser cette barre des 140.000 DH, avec des surcoûts de réalisation qui devraient être de plus de 3% du montant de l'investissement». Deux scénarios sont donc possibles. Le premier voudrait que le surcoût de réalisation soit répercuté sur le prix de vente final du logement de type social, ce qui supposerait des prix de vente plus élevés et, en d'autres termes, une redéfinition totale du concept même «d'habitat social», qui est pourtant censé faciliter l'accès à un toit au fonctionnaire «smigard» ou autres individus à sources de revenus modestes. L'autre scénario, qui suppose une stabilité des prix sur ce segment de logement social, impliquerait des marges réduites voir nulles pour le promoteur immobilier, qui ne disposerait plus par la suite de la marge de manœuvre suffisante en capacité d'investissement pour s'engager sur d'autres projets de ce genre et répondre aux objectifs de l'Etat, qui est de développer l'offre sur ce segment. Le dilemme reste donc entier... Enfin, pour le moment.
Un potentiel à évaluer
Pour la filière locale de production des matériaux de construction, ce sont des perspectives bien moins problématiques qui s'ouvrent avec la prochaine application de la RTB. C'est toute une croissance de l'activité à deux chiffres qui est en vue, d'autant plus que la majorité des matériaux utilisés dans le domaine de la construction durable, sont disponibles localement. «La production n'est toutefois pas très élevée à ce jour et juste quelques PME ont osé se spécialiser sur ce créneau», nous décrit Hassan Jaï, vice-président de la Fédération des matériaux de construction (FMC). Le premier impératif, pour ce segment, sera dons de hausser la production en matériaux de construction durable, pour pouvoir répondre à la demande du marché. Déjà, le branle-bas de combat est annoncé. Une étude conjointe, menée par le Laboratoire public d'essais et d'études (LPEE) et le Centre des techniques de matériaux de construction (CETEMCO), vient en effet d'être mise dans le pipe. L'objectif est de tâter le potentiel de la filière et de dresser un état exhaustif des lieux du secteur des matériaux de construction et d'isolation thermique du bâtiment.
La tutelle rassure
Les exigences de la RTB proposée sont issues d'un compromis entre les réductions en besoins thermiques des bâtiments cibles et les surcoûts d'investissement. Ces spécifications ont en effet été élaborées suite à un processus de concertation qui a duré près d'une année avec les principaux acteurs du secteur, et dont les résultats ont été dévoilés mardi à Rabat, devant la ministre de l'Energie, des mines et de l'environnement, Amina Benkhadra. «Ces réglementations restent économiquement faisables pour la plupart des consommateurs sectoriels finaux», expliquait un consultant proche du dossier. En effet, d'après ce dernier, les surcoûts sont le plus souvent abordables par le marché de construction, si l'on tient compte de leur rentabilité pour ces consommateurs finaux. Par ailleurs, il faut savoir que la mise en œuvre de la prochaine RTB sera accompagnée d'une série de mesures, visant à faciliter sa mise en œuvre en supprimant les barrières de marché. Il s'agira en effet de procéder à la formation des acteurs du marché, allant des concepteurs de projets immobiliers aux entreprises de réalisation de ces projets, en passant par d'autres corps de métier comme l'artisanat. À cela s'ajouteront un appui au développement de l'offre locale en matériaux, la réalisation de projets de démonstration subventionnés, ainsi que le développement de mécanismes de financement spécifiques (lignes de crédit dédiées, défiscalisation...).
Mohamed Zghari : Directeur de développement et responsable projets Al Omrane
«Nous sommes encore novices dans le domaine du développement durable, mais nous nous inscrivons dans la vision gouvernementale. C'est pourquoi nous intervenons à travers des projets comme celui des villes nouvelles. D'ailleurs, nous nous apprêtons à lancer de grandes études d'impact environnemental pour deux de ces projets. Les appels d'offres sont en cours de finalisation et seront bientôt mis en ligne. Ces projets d'étude seront réalisés avec le soutien de l'aide au développement française. L'objectif principal est de réduire au maximum la consommation énergétique. Dans ces villes nouvelles, nous y testerons toutes les techniques modernes. Nous allons aussi lancer deux projets démonstrateurs d'habitat énergétiquement efficaces avec le soutien de l'Agence française de développement (AFD). L'un de ces projets sera réalisé dans la ville nouvelle de Tamesna, intégrant les normes françaises HQE (Haute qualité environnementale, ndlr).»
Hassan Jai : Vice-président de la Fédération des matériaux de construction
«C'est uniquement par l'obligation et la réglementation que nous pourrons amener les promoteurs à faire ce qu'ils ont à faire. Les producteurs de matériaux attendent qu'un marché se développe. Le problème est que cela ne sera le cas que si cette réglementation existe. Je pense donc qu'il faut une forte volonté politique, d'abord pour que les choses changent parce qu'il y a la loi d'une part, et l'application peut aussi poser problème d'autre part. Côté disponibilité des matériaux, l'offre est bien là, mais on ne produit pas assez encore localement. Le LPEE et le CETEMCO sont en train de travailler sur un inventaire de l'ensemble des produits disponibles au Maroc et qui pourrait servir à cette efficacité énergétique. Ce qui veut dire que nous en sommes encore à la phase d'identification et d'étude des lieux. Les industriels entreront en jeu ensuite quand ils auront cette visibilité sur la mise en place de la réglementation».


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