L'administration des Douanes observe un silence assourdissant dans le dossier du marquage fiscal. Quant aux opérateurs, ils ne lâchent pas prise. Brasseries du Maroc confirme l'information de sa plainte auprès de la Cour suprême. Altadis rectifie sa dernière sortie dans la presse et arrondit les angles quant aux impacts sociaux d'une hausse des prix des cigarettes L'administration des Douanes ne lâchera pas certainement le morceau. Le marquage fiscal est là et Chorfi semble engagé à aller jusqu'au bout, nonobstant la pression des opérateurs- producteurs et/ou importateurs des articles de consommation concernés, d'où un imbroglio total où chaque protagoniste tire de son côté. C'est en substance ce qu'il nous est donné à comprendre par le patron des Douanes, avant que ce dernier ne décide de se terrer dans un grand mutisme envers la presse. Un silence radio qui risque d'ailleurs de se prolonger. Motif : «les dossiers sont en cours d'instruction devant les tribunaux concernés. J'ai décidé de ne faire aucun commentaire à ce propos pour le moment», nous lance-t-il lors d'un entretien téléphonique. Mais à défaut de la version de l'autorité publique, qui était très attendue sur plusieurs points de ce débat autour du marquage fiscal, l'on se rabattra sur celles avancées par les acteurs du marché, qui ont fait preuve de moins de retenue. Contexte «juridique» oblige, l'on ne dévoilera pas l'identité exacte de nos interlocuteurs. Aujourd'hui, deux dossiers ont été portés devant la justice. Il s'agit plus précisément de Philip Morris, dont Marlboro est la marque phare et des Brasseries du Maroc (BDM), un géant des boissons. Cette dernière enseigne est même allée jusqu'à la Cour suprême, confirmant les rumeurs qui circulaient déjà à ce sujet. Le fond de ces dossiers n'est plus un secret. La presse en a assez étalé jusqu'à présent : ces derniers contestent haut et fort, la fixation des tarifs de marquage fiscal proposés -ou imposés- par l'administration douanière. «Nous sommes à 100% d'accord avec le principe du marquage. Mais ce dont nous ne sommes pas d'accord, c'est la différenciation des tarifs entre opérateurs du même segment. La douane nous a parlé de péréquation sociale dans l'établissement des tarifs, surtout concernant l'eau minérale. Ce qui est difficile à accepter», lâche un responsable de BDM. Cet opérateur doit en effet débourser 20 centimes pour chaque bouteille ou canette de bière, 1,30 dirham pour le litre de vin et 2,4 dirhams pour les alcools à fort degré, là où le marquage ne coûte qu'un centime de dirhams pour la bouteille d'eau minérale, ndlr). Une thèse rejetées par des observateurs très proches du dossier. «BDM ne peut revendiquer s'aligner sur le même tarif que l'eau minérale, pour la simple raison que dans un pays où la religion est l'islam. L'alcool, en particulier, ne peut être comparable à l'eau». Un raisonnement qui tient la route et qui pourrait peut-être justifier la position de l'administration des douanes. Le coût «social» de la hausse Chez Alatdis, (qui doit payer 50 centimes pour chaque paquet de cigarettes, ndlr), l'on se résigne à la réalité administrative, l'on parle de «discussions» et non de «négociations» et l'on penche pour une augmentation prochaine des prix pour récupérer les marges induites par le marquage. Une décision légitime- «L'administration fiscale a ainsi acté le principe de la neutralité du coût de marquage fiscal par rapport aux opérateurs, qui doivent avoir ainsi la possibilité de répercuter son coût sur le prix de vente public», justifie une source proche du dossier chez le cigarettier. Une hausse des prix de la cigarette, que certains organes de presse de la place se sont empressés à en exagérer l'impact social. Une exagération qui en a choqué plus d'un, parmi lesquels l'opérateur lui-même. « Il est évident qu'une hausse des prix sur les cigarettes ne serait pas souhaitable pour le consommateur. Mais de là à faire le parallèle avec les évènements de la Tunisie, c'est très exagéré», déclare la même source. Mais si Altadis rejette l'exagération de l'impact que pourrait produire une éventuelle hausse des coûts de la cigarette, l'opérateur est toutefois loin d'en négliger l'importance. «Il est vrai que le tabac n'est pas spontanément cité parmi les produits de première nécessité, mais il figure tout de même dans la liste des produits de consommation répertoriés par le HCP, dans la base de calcul de l'indice du coût de la vie et toute augmentation de ses prix aura mécaniquement un impact sur le niveau de l'inflation.». Une déclaration qui sonne comme un avertissement, aux relents, cette fois, plutôt économiques. Concertations ou pas... L'Etat a-t-il réellement brûlé l'étape cruciale de la concertation ? Au fait, ce dernier était-il vraiment tenu de recueillir l'avis des opérateurs dans ce cas de figure ? Zouhaïr Chorfi est resté muet sur cette question. Pour les opérateurs, il n'y a eu aucune préparation. La décision portant sur le marquage fiscal des produits de consommation concernés est tombée comme une épée de Damoclès. «Il n'y a eu aucune concertation avec les opérateurs. C'est un vieux dossier de la Loi de finances qui a été remis sur la table et imposé, sans aucune consultation préalable sur les modalités d'application et de fixation des tarifs», s'indigne une source chez Brasseries du Maroc. Les avis divergent. Selon un observateur proche du dossier, «BDM fait du bruit pour rien. Le fait est que l'Etat veut simplement réglementer un secteur, dont il leur avait confié le monopole. Toute cette agitation n'a pas lieu d'être». Cette dernière source poursuit, faisant le parallèle avec les Celliers de Meknès, un autre embouteilleur du marché local, qui est d'ailleurs resté en retrait de toute cette polémique. Le marquage est une très bonne chose pour les Celliers de Meknès. Ses responsables savent pertinemment bien que cela leur permettra de lutter efficacement contre l'informel. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils ne se plaignent pas. Qui doit payer Sicpa ? C'est la grande question qui se pose. Les opérateurs s'accordent à dire que les rémunérations des services de Sicpa ne devraient pas leur incomber. «Ce marquage a un coût exorbitant, c'est clair. Il ne devrait pas être pris en charge par les opérateurs eux mêmes. Il y a aujourd'hui plusieurs idées et méthodes de le faire, sans pour autant le mettre sur le dos des opérateurs», se défend une source fiable chez Altadis. L'avis est partagé par BDM. «Dans d'autres pays où le marquage existe, c'est la douane qui paie la facture et en encaisse les principales retombées. Dans ce cas précis, c'est plutôt Sicpa qui gagne», explique Yakoubi. À noter que l'Etat perçoit un pourcentage de 12,5% sur la totalité des sommes perçues auprès des opérateurs par Sicpa). Tout laisse à croire que l'administration des douanes ne reculera pas, ce qui augure un prolongement des débats. Le but et encore loin d'être marqué pour Chorfi. Sicpa, un partenaire historique Il s'agit, ni plus ni moins, du leader mondial dans le secteur du marquage. Plusieurs sources indépendantes proches du dossier s'accordent à dire que «l'Etat n'aurait pas fait un meilleur choix pour ce genre de service. Sicpa a d'excellentes références et est présent sur plusieurs segments et dans des économies dix fois plus importantes que le Maroc». Pour la petite histoire, c'est en février dernier que l'enseigne mondiale s'est vue attribuer un appel d'offres par l'Etat marocain, afin d'avoir recours à ses solutions de marquage. Dans un communiqué de presse publié au lendemain de l'adjudication du marché pour une durée de cinq ans, Sicpa rassurait sur la fiabilité et la garantie de ses solutions de sécurité, que l'opérateur juge «impossible à contrefaire». Toutes ces informations n'ont pourtant pas épargné l'enseigne des critiques des opérateurs locaux. Ces derniers trouvent en effet «désuet» le système utilisé par Sicpa au Maroc, et qui ne justifie pas les tarifs appliqués pour rémunérer le marquage.