Comme le disait le philosophe américain John Dewey, une société n'est réellement démocratique que si son système éducatif forme réellement des démocrates. C'est pourquoi l'enseignement doit se fonder autant que possible sur l'autorité d'un contrat social. Ceci est un préalable au fonctionnement responsable et pérenne de toute démocratie. Certes, la démocratisation est un acte pédagogique, avant tout, car il consiste à former le peuple de telle sorte qu'il puisse exercer sa citoyenneté de manière éclairée. En effet, les orientations pédagogiques incarnent une dimension politique. Aussi existe-t-il une relation inéluctable entre le régime politique d'une société et la pédagogie qu'il utilise en éduquant. À chaque régime politique correspond un système éducatif qui reprend les grands axes d'un projet socioéconomique. Ce système éducatif est censé produire des ressources humaines, des compétences et des élites garantes du bon fonctionnement des institutions. Assurément, l'évolution de la démocratie a toujours été liée au développement de l'alphabétisation et de la culture. À Athènes, où naquit la démocratie, la société était assez largement alphabétisée. Par ailleurs, l'historien Pierre Rosanvallon et d'autres penseurs, dont le prix Nobel Amartya Sen, observent le lien entre la maîtrise de la lecture, le développement culturel et la participation politique de masse. La généralisation de l'éducation et sa capacité d'épanouissement restent au cœur du processus du développement et de la bonne pratique démocratique. Afin de permettre à la démocratie de bien fonctionner, il y a un enjeu à prendre en compte : quelles valeurs inculquer pour un essor citoyen, pour une mobilisation et une équité sociale tout en préservant la sacralité de la liberté et de l'égalité ? Cependant, l'éducation ne fait qu'endoctriner lorsqu'elle n'enseigne que la pensée unique, la légitimation des valeurs désuètes qui engendrent l'étroitesse d'esprit ainsi que la démission et la régression sociales. Par ailleurs, quand la stagnation éducative sévit, l'ébranlement des pratiques démocratiques en émerge fatalement. La démocratie s'en trouve fragilisée, menacée par la chute du niveau de mobilisation, de créativité et d'innovation. C'est dans l'anachronisme de l'école que se crée le décrochage entre le peuple et ses élites. L'abstention électorale, la «desimplication» citoyenne, les votes populistes sont une manifestation de ce décrochage. Pourtant, toute démocratie a besoin d'élites, mais des élites en qui le peuple a confiance. Dans notre contexte actuel caractérisé par de profondes mutations, le «repositionnement» du rôle de l'éducation est particulièrement fondamental. Être citoyen, non seulement cela s'apprend mais doit être une volonté partagée, assurant la pérennité d'une communauté de destin. Aujourd'hui, notre école peine à jouer son rôle d'intégrateur, d'accompagnateur social au développement. Ses pratiques d'apprentissage ne sont plus adaptées. Les indicateurs sociaux l'attestent : carence des apprentissages fondamentaux, chômage des diplômés accru par l'inadéquation aux exigences des changements socioéconomiques. De surcroît, elle n'accueille plus que les enfants des familles démunies. Ceux des familles aisées s'en détournent pour les écoles privées où se forme l'élite de demain ! Un tel système favorise la réplication et la préservation de la hiérarchie existante. Il ne permet, aucunement, une mixité ou une évolution sociale ! Alors que le rôle de l'école publique est d'assurer la fonction d'ascenseur social et de lieu de brassages socioculturels. Au-delà d'une simple réforme, l'école publique a besoin d'une profonde mutation. La perspective d'une école comme vecteur de développement humain passe inévitablement par des changements qualitatifs et structurels. Les orientations stratégiques et politiques définiront la perception et les attentes de l'école au regard des objectifs du pays. Notre système éducatif doit être refondu pour octroyer aux jeunes les moyens de se construire, c'est-à-dire de penser par eux-mêmes, d'imaginer, d'être créatifs. Il doit leur permettre d'innover, d'inventer une nouvelle conception de la société fondée sur le volontariat et l'engagement citoyen. Une cartographie des carences et des dysfonctionnements qu'ils soient d'ordre infrastructurel ou humain est essentielle. Elle permettra de définir d'une façon avérée les mesures à prendre : formation des enseignants, méthodes pédagogiques appropriées, partenariats avec les entreprises pour l'accès aux domaines de la vie pratique... L'école publique ne devra pas être la seule issue aux classes défavorisées du Maroc. L'exclure des exigences de la modernité en fera un foyer de tension, de fabrication de l'exclusion qui pourrait se répercuter sur tous les domaines de la vie au Maroc, notamment dans l'appropriation sereine des devoirs et dans l'exercice authentique de la démocratie. Mounir Ferram Directeur de recherches et professeur universitaire