Il serait pour le moins malhonnête de ne pas reconnaître les avancées parfois spectaculaires que le Royaume a accomplies sur le chemin de la démocratie, du respect du droit des gens, de la mise à niveau économique et du développement humain. Mais le pays n'arrive point à mettre en place un système éducatif et formatif efficient. L'éducation nationale et la formation constituent, au côté de la corruption et du népotisme, les tares les plus scandaleuses de notre société. Le système forme des centaines de milliers de diplômés dont une grande majorité demeure sans destin socioprofessionnel. Une gigantesque usine de sans-emplois sous-formés et, par conséquent, inaptes au sein d'une économie moderne. Radioscopie d'un échec tonitruant. Le fait de rêver d'un développement socioéconomique du Maroc sans une refonte révolutionnaire de la formation des citoyens, n'est rien d'autre qu'un leurre. Déployer le premier poste de dépenses de l'Etat dans un enseignement sans rapport aucun avec les besoins vitaux du pays en ressources humaines est tout simplement absurde », nous confie un analyste de la délégation de la banque mondiale au Maroc. L'université marocaine continue à délivrer des diplômes qui ont la même valeur qu'une monnaie périmée. Disposer d'un diplôme universitaire public avant l'âge de 25 ans, c'est risquer le chômage dans 86,5 % des cas pour une durée moyenne de 16,1 mois. Moyenne, dis-je. Car, ils sont des dizaines de milliers à subir le chômage de très longue durée ou d'être sous-employés à des tâches basiques. L'exemple de la formation agronomique est plus que parlant à cet égard. Au commencement, en effet, il y eut l'agriculture. A l'indépendance, le capital national était quasiment inexistant. Frappé du sceau de l'archaïsme et de la féodalité, le secteur agricole manquait de cadres et de techniciens. Depuis, onze établissements dédiés à l'enseignement agricole moyen et deux écoles et instituts d'enseignement supérieur agronomique ont formé respectivement 13000 cadres dans diverses spécialités agricoles et 5000 ingénieurs dans 20 options agricoles et vétérinaires. Aujourd'hui, le dispositif de formation et d'enseignement technique est composé de 43 établissements qui campent 24 filières, couvrent l'ensemble du territoire national et dont la plupart se trouvent en milieu rural : 3 instituts de techniciens spécialisés en agriculture formant des techniciens spécialisés (Bac + 2 ); 12 instituts techniques agricoles formant des techniciens (niveau Bac + 2 ); 20 centres de qualification agricole, formant des ouvriers qualifiés (niveau 9ème année de l'enseignement fondamental + 2 ans de formation); 8 lycées agricoles. Mais tout ce dispositif se trouve en décalage permanent avec les attentes du marché tant intérieur qu'extérieur. Les programmes accordent davantage d'importance à la théorie qu'à la pratique. Les stages et les programmes de formation ne sont pas régulièrement évalués. Les programmes d'enseignement agricoles, qu'ils soient dispensés dans les écoles d'adjoints techniques ou dans les instituts supérieurs agronomiques, se composent à peu près de 20% en formation générale, 60% en formation scientifique et technique et 20% en formation pratique. Aucune évaluation des effets de la formation n'a été effectuée à ce jour, à quelque niveau que ce soit. On forme des jeunes vite abandonnés à leur triste sort. Aucun suivi n'est dispensé en direction des entreprises ou des exploitations. Tout l'effort fait par le Maroc durant un demi-siècle s'évapore ainsi par la faute d'une nonchalance forcément coupable. Pourtant, le pays a une vocation éminemment agricole. Au point que Feu Hassan II a fait de l'agriculture un sacerdoce et que le regretté Ben Barka a exprimé à André Chouraqui, l'écrivain et ancien maire de Jérusalem, sa volonté de rencontrer Golda Meyer, pour examiner les voies d'une coopération maroco-israélienne en matière agronomique. Une rencontre qui a avorté, comme chacun sait. La formation agronomique est l'exemple édifiant de la faillite d'un système qui tient mordicus à son étanchéité par rapport au reste de la société et, en premier lieu, par rapport à l'entreprise. L'université marocaine, quant à elle, continue à cultiver le non-sens. Les maux qui la rongent sont si chroniques, qu'aucun remède ne semble capable de les endiguer. La conscience de l'inadéquation et de la désuétude de notre système éducatif, a été décelée dès la décennie 70. Alors que le pays avait besoin de former rapidement des milliers d'ingénieurs et de cadres, d'aucuns continuaient à psalmodier le dogme ravageur de l'arabisation. Ni les colloques, dont le plus fameux se tint à Ifrane, ni les injonctions des institutions internationales, ni même les sonnettes d'alarme du défunt Roi, ne vinrent à bout des errances idéologiques et des surenchères syndicales. Aucun gouvernement, n'a pu à ce jour, dire leurs quatre vérités à des syndicats qui étaient sourds aux appels de la qualité au profit de la quantité. Un enseignement budgétivore qui produit le chômage, l'exclusion et même la violence sociale. Vint alors la Commission Spéciale Education Formation (COSEF) qui accoucha de la Charte nationale d'éducation et de formation qui énonça une doctrine, ô combien noble et intéressante. Dans cette charte, l'université est définie comme étant le laboratoire où se construit le devenir du pays. Jugeons-en : «L'université doit(…) devenir un établissement ouvert et une locomotive de développement, dans chaque région du pays et à l'échelle de la patrie tout entière : A-L'université en tant qu'établissement ouvert, constitue un observatoire des avancées universelles scientifiques et techniques, un lieu de convergence des chercheurs compétents venus de toute part, un laboratoire pour la découverte et la création, un atelier d'apprentissage des métiers auxquels tout citoyen a l'opportunité d'accéder ou de retourner, chaque fois qu'il satisfait aux conditions requises et détient les compétences nécessaires. B- L'université, en tant que locomotive de développement, mène des recherches fondamentales et appliquées utiles, dans tous les domaines et pourvoit l'ensemble des secteurs en cadres compétents, à même, non seulement de s'y intégrer professionnellement, mais aussi d'y améliorer les niveaux de productivité, de compétitivité et de qualité, afin de pouvoir rivaliser avec ceux des pays développés». Voici les intentions. Pour le protocole précis de l'emboîtement entre l'université et son environnement, il est écrit ceci : « A-promouvoir la coopération à grande échelle entre les institutions éducatives et formatives et les entreprises, les coopératives et les artisans, en milieux urbain et rural, dans le cadre de contrats d'apprentissage et de formation alternée, conformément aux articles 49 à 51 ci-dessous, en assurant les conditions pédagogiques requises; B-ouvrir les institutions d'éducation et de formation sur le monde du travail, de la culture, de l'art, du sport et de la recherche scientifique et technique». C'est si beau que l'on se demande si le but n'était pas celui, précisément, de ménager les véritables responsables de la faillite du système universitaire public marocain. Il est sûr que la Commission Belfqih a dûment pointé les carences et les errances. Il est juste que ses recommandations présentent un acquis certain en termes de lucidité face aux défis de la mondialisation et de l'économie de marché. Mais nul ne peut dédouaner des ministres et, plus encore, des gouvernements passés de l'incompétence, de la négligence et, parfois même, de la légèreté à propos de ce secteur stratégique dans notre pays. Comment, par exemple, avoir permis naguère à un Azzedine Laraki, dépêché au chevet de l'Education nationale à la faveur d'une ouverture politique sur l'Istiqlal, d'arabiser l'enseignement public de la sortie de maternelle au baccalauréat, sachant que les disciplines universitaires les plus pointues exigeaient précisément l'ouverture sur la modernité et le monde ? Sans parler de la nécessaire « territorialisation» de la formation selon les besoins, les spécificités et les urgences régionales et locales. Le Pr Hassan Amillat, chercheur en Développement local et Aménagement du territoire, pointe là une urgence dictée à la fois par la vertu démocratique et la nécessité socioéconomique. Naguère patron de l'Office de la formation professionnelle, l'actuel wali de Marrakech-Tensift-Haouz rappelle à nombre de ses visiteurs l'inadéquation entre l'offre et la demande : Plus de 20.000 emplois sont disponibles dans la Région. Mais ils ne trouvent pas preneurs. Les profils demandés sont loin de correspondre aux CV présentés. En matière de formation et d'éducation, nous sommes en retard d'une révolution systémique. Il est juste de reconnaître, que le courage n'a accompagné à ce jour aucun de nos ministres en charge du département de l'éducation. Une quinzaine d'Universités au Maroc Le Maroc comptait une quinzaine d'universités. Jusqu'à l'aube des années 80, le pays s'était contenté des universités de Casablanca et de Rabat, si l'on excepte l'éternelle Al Qaraouiyine de Fès. A l'horizon 2012, sept autres universités sont programmées. Université Abdelmalek-Essaâdi, à Tétouan Université Al-Akhawayne, à Ifrane Université Cadi-Ayyad, à Marrakech Université Chouaib-Doukkali, à El Jadida Université Hassan-Ier, à Settat Ecole nationale de commerce et de gestion (ENCG) Université Hassan-II-Ain-Chok, à Casablanca Université Hassan-II-Mohammedia Université Ibn-Tofail, à Kénitra Université Ibnou-Zohr, à Agadir Université Mohamed-Ier, à Oujda Université Mohamed-V-Agdal, à Rabat Université Mohamed-V-Souissi, à Rabat Université Moulay-Ismail, à Meknès Université Quaraouiyine, à Fès Université Sidi-Mohamed-Benabdellah, à Fès UNE CONSOLATION Le combat contre l'analphabétisme Chacun connaît les retards accumulés par le Maroc sur le terrain de l'alphabétisation de ses citoyens. A titre indicatif, les analphabètes représentent 50% de la main d'œuvre marocaine dans les secteurs productifs. C'est dire l'ampleur du handicap qui cloue le développement socioéconomique du pays. Le Royaume s'est alors fixé comme objectif de réduire le taux global de l'analphabétisme à moins de 20% à l'horizon 2010, pour parvenir à une éradication quasi totale de ce fléau à l'horizon 2015. Un vaste programme qui semble donner ses premiers fruits. Il y a quelques jours, Anis Birrou, secrétaire d'Etat chargé de l'Alphabétisation et de l'Education non Formelle, a livré des chiffres qui incitent à l'optimisme en la matière. Ainsi, en cinq ans, 2.655.000 de nos concitoyens ont bénéficié de cours d'alphabétisation. Ce chiffre dépasse d'un demi-million celui des personnes alphabétisées durant les vingt ans qui ont précédé l'année 2002 ! Pour la seule année scolaire actuelle, ce sont 709.155 qui ont accédé à l'alphabétisation. Un chiffre à comparer avec celui de l'année dernière (600.478). Au chapitre de l'éducation non formelle qui est destinée aux + de 10 ans, 4,5 points ont été gagnés sur le fléau. En effet, en seulement deux ans (2004-2006), le taux des analphabètes a baissé de 43% à 38,45%. Un indicateur remarquable : les femmes devancent les hommes dans cette course contre l'ignorance. Bravo mesdames ! DRISS JETTOU L'honneur de le reconnaître… Dans son discours-bilan du 17 juillet, le premier ministre a reconnu, devant la représentation nationale, les carences et les obstacles qui continuent à marquer le champ de l'éducation et de la formation. C'est à son honneur. Nous reproduisons donc les passages qui campent les insuffisances en matière d'éducation et de formation. M.Jettou dit en substance : « En dépit des performances enregistrées, le système d'éducation et de formation est toujours en butte à des défis majeurs, qu'il est impératif de relever pour l'édification de l'école de demain. Il s'agit en premier lieu de la déperdition scolaire qui sévit particulièrement dans le milieu rural et au cours des premières années de l'enseignement fondamental, du fait d'entraves d'ordre économique et culturel et de l'échec scolaire. Ce fléau demeure à des niveaux inquiétants. Ce qui nécessite l'adoption d'une nouvelle approche, axée sur la lutte contre l'analphabétisme fonctionnel et sur la tranche d'âge comprise entre 10 et 45 ans. Il convient également d'améliorer la qualité de l'enseignement à travers le traitement des facteurs de distorsion constitués en particulier par l'insuffisance des mécanismes de suivi, le phénomène de l'absentéisme et la faible motivation des enseignants, notamment dans le monde rural. Notre ambition ne se limite pas à inculquer les sciences et les techniques modernes; mais nous veillons également à ce que nos enfants acquièrent les qualifications leur permettant de s'adapter aux évolutions mondiales et qu'ils soient initiés à la citoyenneté dans le contexte de démocratie que connaît notre pays. Il est également impératif de relever le défi de l'adéquation des formations aux besoins de notre économie qui évoluent sans cesse et appellent des compétences en nombre suffisant et en qualifications appropriées. L'investissement dans le système de l'éducation et de la formation ne peut être bénéfique que dans la mesure où il est en adéquation avec les exigences de l'économie nationale et où il permet de répondre aux besoins immédiats du marché du travail. Ce qui implique l'orientation des flux dès le jeune age vers les métiers de demain et la mise en place de passerelles entre l'école, l'université et l'entreprise, afin d'assurer à notre jeunesse les conditions idéales d'accès à la vie active». Dont acte.