Tous les pays du monde qui affichent un certain dynamisme économique ou occupent une position dominante dans les échanges internationaux, mettent la politique industrielle au centre de leur politique économique. Nerf de la guerre économique, l'industrie est utilisée par les pays avancés (Etats-Unis, Allemagne, France, Canada, Italie...) comme par les pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Russie, Turquie...), comme une arme pacifique destinée à la fois à assurer la prospérité de leurs citoyens par l'accès à l'emploi et à conquérir le monde en étendant leur sphère d'influence. En effet, la puissance d'une nation ne se mesure plus désormais à l'étendue de son arsenal militaire, mais à sa capacité à créer de la valeur au sein de son territoire et à capter à son profit la richesse qui transite sur les circuits financiers et marchands mondialisés. Investissements massifs dans l'innovation et intelligence économique, recherche permanente de gains de productivité et constitution de grands champions nationaux, sont parmi les ingrédients des politiques industrielles qui ont rendu possible de grandes success stories comme le TGV, Ariane Espace, Airbus, Siemens, Mercedes-Benz, Toyota, Nissan, Arcelor-Mittal, Tata, etc. Comment se positionne le Maroc dans cette compétition économique ? Inutile de se voiler la face : nos résultats sont faibles et nous assistons à une véritable désindustrialisation du pays. La petite industrie naissante créée au lendemain de l'indépendance et consolidée patiemment tout au long des décennies 70, 80 et 90 dans les secteurs du textile et de l'agro-industrie principalement, est en passe d'être totalement laminée par la politique de démantèlement des protections douanières et des accords de libre-échange, tout en subissant de plein fouet les effets de la crise de la demande européenne. Hormis le secteur des phosphates et produits dérivés, dont les exportations évoluent favorablement, grâce à une vraie expertise métier d'OCP, la balance commerciale du Maroc peine toujours à décoller, en raison d'un déficit de compétitivité de l'industrie et de l'absence d'une offre produits exportable, malgré l'existence de débouchés commerciaux (dixit le ministre du Commerce extérieur concernant la filière du textile). Plus globalement, le secteur industriel occupe une part de moins en moins importante dans l'économie nationale : il représente 19,1 % du PIB en 2009 contre 26,8 % en 2000. Ce qui constitue un retard de 57 milliards de dirhams au moins dans la création de la richesse nationale. Sur cette même décennie, la population active employée dans l'industrie s'est accrue de 62.400 personnes (effectif de 1.3 million de personnes en 2009), au moment où la population active employée au niveau national a progressé de 962.000 personnes. Autrement dit, le secteur industriel n'a généré que 6,5% des créations d'emplois ! Ce constat ne doit pas occulter les efforts accomplis par les pouvoirs publics pour relancer l'industrie. Le Pacte national pour l'émergence industrielle bâti autour d'un contrat programme 2009-2015, est là pour témoigner de la volonté du gouvernement de soutenir ce secteur. Des stratégies de filières sont élaborées (l'offshoring, l'automobile, l'électronique, l'aéronautique et le spatial) , tandis que les deux secteurs traditionnels de l'industrie marocaine (le textile & cuir et l'agroalimentaire) sont soutenus avec la volonté d'élargir leur marché à l'exportation. Cette stratégie industrielle prévoit également de développer des plateformes industrielles intégrées (dites P2I), certaines à vocation généraliste et d'autres spécialement dédiées à des activités ciblées, dotées du statut de zone franche et offrant notamment une exonération de l'impôt sur les sociétés sur 5 ans, suivie d'un plafonnement à un niveau d'imposition fortement réduit. L'amélioration du climat des affaires, le renforcement de la compétitivité des PME et la mise en adéquation de la formation avec les besoins des entreprises, complètent le dispositif du contrat programme. Des objectifs ambitieux en termes d'investissement, de création d'emplois et d'exportation sont annoncés. Doté d'un fond de l'ordre de 12,4 milliards de dirhams et soutenu par des investissements privés devant atteindre 50 milliards de dirhams, le plan vise la création de 220.000 emplois, ainsi que la production supplémentaire de 95 milliards de dirhams d'exportation et de 50 milliards de dirhams de valeur ajoutée industrielle. Des projets industriels d'envergure sont déjà lancés et d'autres devraient suivre, grâce à la batterie de mesures d'encouragement (111 au total) décidées par les pouvoirs publics, avec comme corollaire une contractualisation des engagements réciproques de l'Etat et du secteur privé. Le site d'assemblage Renault à Tanger (projet de 1 milliard d'euros d'investissement, destiné à produire à terme 400.000 véhicules par an et à générer près de 36.000 emplois directs et indirects) ou les projets du groupe japonais Sumitomo (12.000 emplois sont prévus), donnent une illustration de la pertinence de cette nouvelle politique industrielle marocaine, mais ils ne doivent pas en masquer les limites. Si ces initiatives sont louables, elles demeurent malgré tout insuffisantes, parce qu'elles ne parviennent pas à transformer radicalement la structure de l'économie du Maroc, ni à embaucher massivement le flot continu de jeunes diplômés arrivant chaque année sur le marché du travail. Face à cette situation, l'Etat ne doit plus demeurer tributaire des seules initiatives privées, qu'elles émanent de groupes nationaux ou étrangers, ni rester prisonnier de dogmes économiques révolus où privatisation et désengagement économique de l'Etat seraient prétendument gravés dans le marbre. Les pouvoirs publics doivent agir directement pour favoriser l'industrialisation de l'économie marocaine. Au rôle de facilitateur déjà assumé, l'Etat doit devenir acteur, par ses financements et ses prises de participation, par ses commandes auprès de fournisseurs marocains et son implication dans la promotion du label Maroc, par ses arbitrages de politique fiscale et ses choix managériaux. L'Etat doit utiliser tous les leviers dont il dispose pour réussir sa politique d'industrialisation : CDG, Al Omrane, Banque Populaire, CIH, Crédit Agricole ... mais aussi SNI et Attijariwafa bank compte tenu de la particularité de leur actionnariat, doivent se mettre au service des pouvoirs publics pour favoriser le développement de l'industrie marocaine. Les performances managériales de ces institutions doivent être appréciées à l'aune de leur capacité à créer des PMI innovantes et à accompagner leur croissance endogène sur le marché local et à l'international. Pour que cette approche puisse réussir, deux conditions sont nécessaires : une audace politique et un volontarisme managérial. Hélas, ce sont là deux qualités humaines exécrées par le système politique marocain !