Suite au discours royal du 9 mars 2011 annonçant une profonde réforme de la Constitution marocaine, l'IMRI a constitué en son sein un groupe de travail pour examiner cette réforme et apporter sa contribution en tant qu'organisation de la société civile. Etant un Institut orienté sur les relations internationales, nous avons estimé intéressant d'examiner quelques Constitutions des pays étrangers. Le but évidemment n'est pas de les copier, mais de déterminer ce qui peut être valable pour nous. Nous avons choisi trois pays : l'Allemagne, l'Espagne et la France. Le choix de ces pays tient à des raisons géographiques et historiques, et aussi au fait que l'Espagne est un royaume comme le nôtre, alors que l'Allemagne et la France ont des expériences de régionalisation intéressantes. Nous avons retenu les grandes lignes suivantes de ces Constitutions. La Constitution allemande dite loi fondamentale a été promulguée le 23 mai 1949 et avait un caractère provisoire, du fait de la division de l'Allemagne entre sphère occidentale et sphère soviétique. Afin d'éviter les déboires de la République de Weimar et la résurgence du totalitarisme, la loi fondamentale allemande a beaucoup insisté sur la protection des libertés fondamentales, le caractère fédéral de l'Etat allemand, et a instauré un régime parlementaire. Il n'y a pas eu de référendum, mais la loi fondamentale a été adoptée par tous les Länder de l'époque, sauf la Bavière qui l'a refusée, mais qui a accepté son application sur le territoire bavarois. Elle autorise le Conseil constitutionnel fédéral à interdire un parti politique opposé à l'organisation démocratique et libérale de la République fédérale. La réalité du pouvoir exécutif est détenue par le (ou la) Chancelier(ère) qui est désigné(e) par le Bundestag à la majorité de ses membres. Le pouvoir législatif est entre les mains du Bundestag, qui est l'instance parlementaire centrale, composé de 622 députés élus dans les différentes circonscriptions électorales. Toutes les lois sont examinées et adoptées par le Bundestag. Cependant, certaines lois doivent recevoir l'approbation du Bundesrat qui est une Assemblée représentative des Länder, dont les membres sont désignés par les gouvernements régionaux selon une règle proportionnelle à la population. À la suite de la réunification allemande, la loi fondamentale a été étendue à l'Allemagne de l'Est le 3 octobre 1990. L'Allemagne est constituée actuellement de 16 Länder qui ont chacun une Constitution, un parlement et un gouvernement régional, et qui disposent de très larges pouvoirs. Le pouvoir judiciaire est exercé par les Cours suprêmes de la Fédération, les tribunaux fédéraux, et les tribunaux des Länder au niveau régional.La Constitution espagnole a été promulguée en 1978 suite à la chute du régime franquiste. Elle a été approuvée par référendum, et a instauré une monarchie parlementaire démocratique respectant les valeurs de l'Etat de droit, de liberté, de justice, d'égalité et de pluralité politique. Les autres dispositions importantes sont la séparation des pouvoirs, et la déclaration d'un Etat sans confessionnalité religieuse. Tout en adoptant l'économie de marché, elle reconnaît les droits sociaux des citoyens espagnols. Elle a organisé le territoire sous forme de communautés autonomes disposant de très larges pouvoirs par rapport au gouvernement central, qui ne garde que les fonctions régaliennes. Trois communautés autonomes appelées nationalités (Catalogne, Galice, Pays Basque) disposent pour des raisons historiques de pouvoirs supérieurs aux 17 autres régions autonomes. Cependant, le tribunal constitutionnel dans un arrêt de juin 2010 a refusé à la Catalogne le terme de «nation», et a rejeté le caractère préférentiel de la langue catalane par rapport à l'espagnol. Le pouvoir législatif est détenu par les Cortes: Congrès des députés et Sénat. À ce titre, ils élaborent et votent les lois, et élisent le président du gouvernement. Le pouvoir exécutif est de la responsabilité du gouvernement, qui dirige les administrations civiles et militaires, ainsi que la politique intérieure et extérieure du pays. Le roi est le chef de l'Etat, chef des armées, symbole de son unité et de sa permanence. Il est l'arbitre et le modérateur du fonctionnement régulier des institutions. Le pouvoir judiciaire est composé du Tribunal constitutionnel, le Conseil général du pouvoir judiciaire et le défenseur du peuple espagnol.La Constitution française instituant la Ve République date du 4 octobre 1958, et avait pour but de mettre un terme à l'instabilité gouvernementale de la IVe République, et de résoudre la grave crise politique née de la guerre d'Algérie. Elle a voulu donner un pouvoir fort au Président de la République, qui est le garant des institutions. Le préambule renvoie à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et au préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Par la suite a été ajoutée la charte de l'environnement de 2004. La Constitution de 1958 contient essentiellement des articles organisant les institutions françaises. Elle fixe les pouvoirs du Président de la République, qui est élu depuis 1962 au suffrage universel direct. Il est le chef de l'Etat, chef des armées, et chef de l'exécutif, en présidant notamment le Conseil des ministres. Ses pouvoirs ont encore été renforcés en 2002 par le passage du mandat présidentiel de 7 à 5 ans. Il dispose du droit de dissoudre l'Assemblée nationale, nomme et révoque le Premier ministre, qui est responsable devant le Parlement. Selon l'article 20 de la Constitution, le Premier ministre «détermine et conduit la politique de la nation». Mais en pratique, le Président accapare l'essentiel des prérogatives du Premier ministre, notamment en ce qui concerne la diplomatie et la défense. L'article 20 de la Constitution n'est véritablement appliqué qu'en cas de cohabitation (victoire du parti d'opposition aux élections législatives), où l'exécutif devient bicéphale. Le Président a en outre l'attribution de nommer aux emplois civils et militaires les plus importants, notamment trois membres du Conseil constitutionnel, et un membre du Conseil supérieur de la magistrature. La Constitution fixe également les prérogatives du Parlement composé de l'Assemblée nationale et du Sénat, qui sont essentiellement le vote de la loi, le contrôle de l'action du gouvernement, et l'évaluation des politiques publiques. Les députés de l'Assemblée nationale sont élus au suffrage direct, et les sénateurs au suffrage indirect. Enfin la Constitution organise les collectivités territoriales de la République en communes, départements, régions, collectivités à statut particulier et collectivités d'outre-mer. À noter qu'après le décret n°2010/146 du 16 février 2010, le préfet de région est devenu le véritable chef de l'administration de l'Etat dans la région, avec un pouvoir accru sur les services déconcentrés régionaux, ainsi que sur les préfets de département. En conclusion, on voit d'après les exemples de ces trois Constitution que chacune d'elles est née dans des circonstances particulières, et tient compte des spécificités de chaque pays. La première leçon à tirer est que la réforme constitutionnelle marocaine doit tenir compte des spécificités de notre pays. La Constitution allemande est intéressante pour ce qui est de l'organisation des Länder, qui sont souvent cités comme des exemples réussis de régionalisation avancée. La Constitution espagnole peut servir de modèle pour le Maroc dans la mesure où c'est une monarchie parlementaire qui a une pratique réussie de plus de trente ans. De plus, l'expérience des communautés autonomes peut être transposée à nos provinces sahariennes. Enfin, la Constitution française montre que même dans une République, le chef de l'Etat peut disposer de pouvoirs très importants par rapport au Premier ministre. L'organisation territoriale française est également à approfondir, du fait des réformes récentes concernant les attributions du préfet. Encore une fois, il est toujours intéressant d'étudier les expériences étrangères, mais il est de notre devoir de nous efforcer de confectionner une Constitution maroco-marocaine. Jawad Kerdoudi, Président de l'Institut marocain des relations internationales (IMRI)