Les Echos : L'Institut Amadeus été invité par l'ONU à participer à l'élaboration de recommandations visant à «améliorer le soutien de l'ONU aux efforts de l'Afrique en matière de résolution de conflits et de développement». Qu'est-ce qui a justifié ce choix de l'ONU et quelle a été la réponse de l'Institut Amadeus ? Brahim Fassi Fihri : Tout d'abord, une précision. L'Institut Amadeus n'est pas devenu un «conseiller» de l'organisation onusienne. Les instances de l'ONU souhaitent établir un bilan sur les dix dernières années en matière de gestion des conflits en Afrique. Le forum MEDays que nous organisons a abordé cette thématique en novembre dernier. Des personnalités politiques africaines expertes et concernées directement par ces questions ont produit en qualité d'intervenants de nombreuses réflexions et recommandations. L'ONU a invité notre institut, au même titre que de nombreux centres de recherche africains et internationaux, à faire une contribution à cette réflexion inclusive, qui concerne le continent. L'objectif est de consulter toutes les recommandations qui permettront de faire progresser les méthodes d'intervention, de prévention et de garantie de la paix. Au regard de ce qui se passe aujourd'hui au Sahel, ce dernier risque-t-il de devenir une plus grande menace pour l'ensemble de la région ? Dans la région du Sahel, les Etats subsahariens comme le Mali notamment, mais aussi la Mauritanie, ont besoin d'une plus grande assistance des partenaires internationaux, mais surtout de leurs voisins. Ils font face à une pénétration plus forte des réseaux de trafics de drogue internationaux et à un activisme des réseaux terroristes. Prenons pour exemple l'avion retrouvé abandonné en novembre 2009 près de Goa (Mali), qui a servi à transporter vraisemblablement de la cocaïne depuis le Venezuela (source UNODC) ou des enlèvements opérés par l'AQMI dans le Sud de la Tunisie, qui ont été résolus au Mali. Il ne faut pas dramatiser la situation, mais elle peut empirer si rien n'est fait. Le forum MEDays 2009 avait d'ailleurs abouti à la conclusion qu'il fallait bâtir un réel partenariat stratégique pour cette zone, avec les grandes puissances et les Etats voisins. Pour ce partenariat, trois axes sont essentiels : consolidation démocratique des Etats, coopération sécuritaire et aide au développement. L'un ne va pas sans l'autre. Concernant le trafic de drogue, le problème est désormais tricontinental. Pourquoi ne pas ouvrir ponctuellement des instances de contact comme le 5+5 aux pays latino-américains comme le Venezuela ou la Colombie, pour coordonner les efforts contre des réseaux capables de déstabiliser des pays entiers ? À l'issue des derniers pourparlers préparatoires d'Armonk pour le 5e round des négociations sur le Sahara, quel regard porte l'Institut Amadeus sur l'avenir de cette question (du Sahara) ? Par principe, il est de la responsabilité de l'Institut de ne pas se prononcer sur des négociations en cours sous l'égide des Nations-Unies. Nous notons avec satisfaction le retour du Polisario et de l'Algérie à la table des négociations. Armonk est certainement, comme l'a déclaré Christopher Ross, l'envoyé personnel du SG de l'ONU pour le Sahara, un outil permettant de rétablir le rapport de confiance entre toutes les parties en vue d'un très probable 5e round de négociations dans les prochains mois. L'Institut Amadeus, comme il est précisé dans ses statuts, œuvre également pour l'intégration politique et économique du Maghreb. Nous pensons, comme la plus grande partie de la communauté internationale, que la proposition marocaine d'autonomie de par son caractère inclusif, est la proposition la plus concrète et la plus crédible en vue d'arriver enfin à une solution politique négociée et à un Maghreb intégré. Peut-on avoir une idée sur le réseau d'influence de l'Institut Amadeus ? Premièrement un think tank n'a pas vocation à se substituer aux gouvernants. Deuxièmement, il ne faut pas voir le lobbying comme le mauvais démon du décideur public. Nous contribuons à mettre les idées sur la table, parfois de manière abrupte et non conventionnelle. Notre influence c'est celle de la proposition, celle de l'impact dans le débat d'idées. Plus nous serons en capacité de proposer, d'expliquer et de valoriser les solutions que nous trouvons bonnes, plus nous serons repris et relayés, plus notre influence sera grande. Aujourd'hui, l'Institut Amadeus peut être à juste titre considéré comme l'un des think tank politiquement indépendants les plus influents en termes de réseaux, dans le monde arabe et en Afrique. Nous bénéficions d'une certaine reconnaissance internationale, grâce notamment à la liberté de ton et d'échange qui règne dans nos débats. Pour ceux qui se complaisent dans la critique facile plutôt que dans la pensée construite et qui s'interrogent sur notre expertise, nous les invitons à dépasser certaines idées reçues, parfois instrumentalisées, en s'intéressant d'avantage à notre travail et en étant présents à nos événements, qui sont, il faut le rappeler, ouverts au public. Concrètement, comment travaillent les équipes du Centre d'analyse et de publications de l'Institut ? Sollicitez-vous la collaboration de chercheurs ou de professionnels externes ? Le centre d'analyse et de publications (CAP), est, pour faire une métaphore anatomique, le «cerveau» scientifique de l'ensemble des activités de l'Institut. C'est le véritable laboratoire d'idées de notre structure. Avec le pôle stratégie et événementiel, il cible, problématise et cadre les thématiques des MEDays et identifie les intervenants potentiels. Il prépare la mouture de la Déclaration de Tanger et sélectionne les recommandations sectorielles qui ressortent du Forum. L'Institut Amadeus publiera, par ailleurs, en mars prochain son travail consacré à la «Classe moyenne et à l'éducation», dans le cadre de la thématique «Développement socio-économique du Maroc». Ce livre blanc est un diagnostic de notre système éducatif sous l'angle du rôle qu'il devrait tenir en matière de formation et de promotion des classes moyennes. C'est le fruit d'une collaboration avec le Club Entreprendre et des chercheurs extérieurs à l'Institut. Multiplier ce type de collaboration pour produire plus de publication a aussi un coût. Aujourd'hui, nous recueillons le sponsoring, surtout pour l'organisation de grands évènements comme le MEDays, plus rentables pour les entreprises en termes de retombées médiatiques. Cependant, nous souhaiterions que celles-ci nous soutiennent également dans nos activités de recherche. Contrairement, encore une fois, à certaines idées reçues, l'Institut Amadeus est une association à but non lucratif, qui ne reçoit pas de subventions publiques. Nous appelons donc les établissements privés à participer au développement du premier grand think tank marocain, pour qu'il puisse porter la voix du Sud à l'international. En attendant, nous construisons des partenariats avec plusieurs universités et think tanks étrangers pour pouvoir échanger avec leur communauté d'experts. Êtes-vous déjà sur les MEDays 2010 ? Nous avons commencé à travailler sur les MEDays 2010 dès l'ouverture de l'édition 2009. Le thème générique, les trois A, Afrique, Amérique latine et Asie a été lancé. L'ambition est d'animer un partage d'expériences entre pays des trois continents du Sud sur des thématiques communes et transversales. Le commerce, la démocratisation, les transferts de technologie, les institutions internationales, il y a beaucoup de sujets sur lesquels les pays en développement peuvent échanger et se concerter. Nous espérons associer largement les pays émergents à ces réflexions. Ils ont un vrai rôle à jouer pour être la locomotive des pays moins avancés qu'eux.