Les sociologues marocains se réunissent pour discuter de l'avenir de leur discipline La faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Aïn Sebaâ organise aujourd'hui et demain un colloque sur la sociologie au Maroc. Intitulée «La pratique de la sociologie au Maroc à l'aube du XXIe siècle : refondation et perspectives», cette rencontre se veut une occasion d'apporter des éléments de compréhension sur les enjeux et les nouvelles dynamiques du métier et de la discipline. Pour Rahma Bourquia, présidente de l'université Hassan II de Mohammédia (qui englobe aussi le pôle de Aïn Sebaâ), ce colloque vient en réponse à un constat : la sociologie n'est pas assez positionnée dans les débats de société. «Il faut faire quelque chose pour que les sciences humaines accompagnent le développement des sociétés. Il y a tout un travail qui est fait en sociologie au Maroc, mais il n'y a pas assez d'espace pour s'exprimer. Ce colloque en est un», explique Bourquia. Une récente évaluation de la recherche en sciences sociales, menée par le ministère de l'Enseignement supérieur, souligne en effet le manque de productions scientifiques dans ce domaine. Une politique d'enseignement très politique Cette matière a en effet connu un parcours tortueux au Maroc. Comme le souligne Noureddine Harrami, professeur d'anthropologie à l'université Moulay Ismail de Meknès, «La sociologie en tant que matière, a été introduite au Maroc dans les années 70. Elle était enseignée dans les deux facultés de l'époque, Salé et Fès. Puis le ministère a voulu l'interdire, mais il s'est désisté suite à la résistance du corps professoral et des étudiants. L'enseignement de la sociologie a été conservé dans ces deux universités, mais aucun poste d'enseignant n'a été mis en place dans celles qui ont ouvert après». Ces propos, Mohamed Serbouti, professeur de sociologie à l'université Chouaïb Doukkali d'El Jadida, les confirme : «En 1975, j'avais demandé une bourse pour étudier la sociologie à l'étranger, et l'on m'avait clairement fait comprendre à l'époque qu'il n'y aurait pas de poste d'enseignant qui m'attendrait à mon retour». Il faudra attendre la fin des années 90 et la montée de l'islamisme pour que l'attitude du pouvoir vis-à-vis de l'enseignement des sciences humaines évolue. «L'attitude de l'Etat vis-à-vis de la sociologie a toujours été commandée par des impératifs de rééquilibrage idéologique de la société», s'exclame le professeur Harrami. Ainsi, la lutte contre les opposants de gauche a laissé la place à la lutte contre les extrémistes religieux, poussant l'Etat à réintroduire la sociologie à la faculté. «Mais la sociologie marocaine a beaucoup perdu à cause de ces volte-face. Résultat, on manque cruellement d'enseignants. À Meknès, nous sommes 6 pour 1.000 étudiants. À Agadir c'est pire, ils sont 4 professeurs pour 1.500 étudiants!», conclut Harrami. Pourquoi un colloque? C'est le décalage entre l'enseignement et la recherche en sociologie qui a poussé le Laboratoire Interdisciplinaire Société et Economie (LISE) de l'Université Hassan II de Aïn Sebaâ à se pencher sur les évolutions du métier. En effet, le contexte actuel est marqué par une structuration plus importante de la discipline (création de département autonome, restructuration de l'enseignement et de la recherche,...), ainsi que par l'accroissement de la demande sociale des savoirs sociologiques et anthropologiques. Mais le Maroc connaît toujours un déficit d'études sociologiques et la question de la formation de nouvelles générations de sociologues se pose avec acuité. «Il existe une non-adéquation entre la demande pour des études et analyses sociologiques, qui émane des besoins de développement, et la production sociologique, qui souffre du manque de compétences confirmées», explique le comité organisateur du colloque.