Auparavant, il fallait faire ses preuves pour prétendre à la notoriété médiatique. Aujourd'hui, les notoriétés sont fabriquées par les médias et précèdent souvent le talent. Cette particularité de la société hypermédiatisée nous oblige à nous demander si le «Mouvement du 20 février» n'est pas hypertrophié par le débat qui l'entoure, sans que ses promoteurs n'aient une réalité précise, correspondant à un discours cohérent et à des porteurs de projet bien identifiés. Il est particulièrement hasardeux de vouloir parler de ce mouvement à une époque où les médias ont mis en rivalité deux expressions antinomiques et exclusives : soit on est avec le «Mouvement du 20 février», soit on est des «baltagiyés». Comme personne ne souhaite figurer dans cette deuxième catégorie, de monstrueux efforts sont déployés pour prouver qu'on n'est bien que dans la philosophie du 20 février. Encore faut-il déterminer les principes et les aspirations de ce mouvement, sans leader et sans manifeste. Un mouvement où toutes les tendances politiques ont élu domicile et semblent s'y trouver à l'aise. J'ai pu mesurer la lourdeur de cette tâche de définition lorsque j'ai lu dans la presse que l'Ambassade de France avait reçu «les jeunes du 20 février». L'expression m'a laissé pantois. Je me suis demandé sur quelle base les invitations avaient été établies. Suffit-il d'être jeune, d'avoir «aimé» la page facebook du mouvement, d'être sorti dans la rue pour être invité à parler au nom de ce mouvement, voire au nom de tous les jeunes ? Dans les débats publics, les représentants du mouvement ont souvent brillé par leur absence. Mises à part quelques impressions données ici et là par ces jeunes, et dont, il faut le dire, la sincérité de l'engagement compense un peu la légèreté du discours politique, ce sont surtout des intellectuels qui ont parlé au nom du mouvement. De l'extrême gauche aux islamistes, en passant par les partis au gouvernement, de nombreuses personnes l'ont soutenu. Il y a de fortes chances pour que ce mouvement ressemble à une auberge espagnole, où chacun retrouve ce qu'il a bien voulu y apporter. Un peu comme le héros du roman de Kafka, «Le Château», qui essayait d'entrer en contact avec des autorités inaccessibles et invisibles, le «Mouvement du 20 février» ressemble à une réalité noble et reconnue, mais portée par une nébuleuse. Cela se voit avec une acuité déconcertante, quand on compare les revendications des autres pays à celles soulevées lors des manifestations au Maroc. Dans aucun pays, les revendications n'ont été aussi éparpillées et aussi locales. Les Tunisiens et les Egyptiens voulaient un changement de régime. Tout le reste, à savoir la démocratie, la justice, la liberté,... découlait de cette première revendication. Chez nous, les revendications sont à la fois politiques, culturelles, sociales, voire même personnelles, comme cette dame qui demandait qu'on traduise devant la justice son notaire indélicat. Il reste peut-être une vérité fédératrice, à laquelle on s'accroche pour donner un sens à ce mouvement : l'envie du changement. Un modèle atypique Malgré cette réalité brumeuse, j'ai lu avec beaucoup d'attention les déclarations de certains «leaders» du «Mouvement du 20 février». Un jeune a déclaré à un journal que le Roi les avait écoutés, mais qu'il n'avait pas affirmé son choix pour une monarchie constitutionnelle. C'est une manière de donner plus de valeur à des réponses ponctuelles et limitées qu'à des principes plus larges qui les englobent. Je ne peux m'empêcher de voir dans cette déclaration une carence politique caractérisée. Puis, il y a cette autre critique, liée à ce qui est considéré comme une entorse à la «démarche démocratique». Une commission a été «nommée» et non élue, peu importe après cela sa composition ou les garanties dont elle a été entourée et notamment la soumission du projet au référendum. Aurait-elle été idéale si des politiques, dont on se plaint tant, y avaient siégé? Nul doute que d'autres voix y auraient vu une erreur. Ou alors peut-on pousser la logique plus loin et jeter systématiquement la suspicion sur toute proposition qui n'émanerait pas de la rue? La crise de confiance peut nous inciter à être vigilants, mais non négatifs. L'enthousiasme est certainement tempéré par la peur de voir ressurgir des forces de résistance et c'est probablement là l'argument le plus solide dont peuvent se prévaloir ceux qui revendiquent le maintien des manifestations. Il ne fait aucun doute que le Roi a perturbé sérieusement le scénario classique de ce printemps arabe : des revendications suivies de répressions, puis du refus du dirigeant de céder, avant d'aller vers une escalade. Un responsable qui anticipe les revendications et propose de tronquer ses pouvoirs pour les transférer au Premier ministre et au Parlement est sans conteste atypique. Cela a certainement déçu ceux dont l'unique gloire est d'être dans la contestation, au point de ne plus savoir comment exister quand les raisons de la protestation disparaissent. J'ai, pour ma part, toutes les raisons d'estimer que mon pays a beaucoup de chance de ne pas payer de sa stabilité l'accès à des droits que tous les Marocains appellent de leurs vœux. Khalil Mgharfaoui Chercheur au Laboratoire d'études et de recherches sur l'interculturel.